Interview Art ContemporainOtherSide

Rencontre avec Anne Vierstraete, directrice générale d’Art Bruxelles

Temps de lecture estimé : 9mins

A la tête de la foire depuis 2013 Anne Vierstraete a su affirmer son style et innover pour imposer Art Brussels dans un paysage très concurrentiel comme une foire dont la valeur ajoutée se mesure à sa singularité. Elle a répondu à nos questions.

Quelle est la recette du succès d’Art Brussels ?

Depuis son origine en 1968, Art Brussels est soucieuse de proposer une plateforme montrant la diversité des tendances observées sur le marché de l’art contemporain. Art Brussels est une foire de taille humaine, qui se déroule dans une atmosphère conviviale au sein du magnifique site de Tour et Taxis, dans un lieu baigné de lumière naturelle. La foire profile une identité forte qui est alignée sur l’ADN du collectionneur belge. La Belgique compte historiquement un nombre très important de collectionneurs qui sont reconnus pour avoir une grande connaissance de l’art, de la curiosité pour défricher de nouveaux talents et de l’audace pour acheter tôt dans la carrière d’un artiste dont la renommée est encore à établir internationalement. Art Brussels est bien entendu également une vitrine qui rend hommage à la richesse, la diversité et la haute qualité de la scène des galeries belges, qui représentent cette année 27% des participants, soit 40 galeries belges sur un total de 157 galeries. La foire est à la fois très internationale avec 32 nationalités représentées parmi les galeries participantes. Enfin, le caractère résolument contemporain d’Art Brussels est à souligner ; sur les 800 artistes représentés, 93% sont vivants et près d’un tiers ont moins de 40 ans.
Les points forts d’Art Brussels résident dans la force de son ADN, dans son adhésion à travers les années à son profil distinctif de foire de découverte réservant une place prépondérante aux talents les plus émergents, mais aussi dans sa réputation de place de marché valable où l’art est montré pour sa qualité intrinsèque. Art Brussels perpétue une approche passionnée et singulière de l’art contemporain, qui attire les amateurs et les collectionneurs fuyant les tendances commerciales du moment et l’art déjà vu dans d’autres grandes foires.

Directrice générale de la foire depuis 2013, comment maintenir les fondamentaux de la foire et en garantir le renouvellement ?
Les fondamentaux d’Art Brussels, traduits dans une identité distinctive, servent de rails pour nous guider dans nos choix stratégiques quant au développement de la foire et à son inscription dans les tendances actuelles. Nous ne perdons jamais de vue les exigences de qualité que nous souhaitons traduire à tous les niveaux de l’organisation de la foire. Il est essentiel de rester informé en permanence sur tous les sujets qui touchent au marché de l’art et à la création artistique contemporaine, à un niveau tant national qu’international. Tous les membres de l’équipe sont des passionnés d’art et l’information circule bien en notre sein. Nous sommes toujours à l’écoute de nos publics cibles et nous voyageons autant que possible afin de visiter d’autres foires d’art à l’étranger en intégrant dans ce programme de voyages des séjours dans des villes présentant une forte concentration de galeries intéressantes. Les membres de nos comités de sélection contribuent également à nous fournir des conseils quant aux personnes à contacter et partagent leurs dernières découvertes de nouveaux venus intéressants parmi les galeries.
Enfin, nous n’hésitons pas à questionner la pertinence de notre propre modèle et d’explorer éventuellement de nouvelles pistes ; quitte à sortir de notre zone de confort, ce qui rend l’expérience de notre métier d’autant plus passionnante.

Quels temps forts pour cette nouvelle édition ?

Chaque nouvelle édition d’Art Brussels est l’occasion de s’interroger quant à la justesse du positionnement de la foire par rapport aux dernières tendances observées sur le marché de l’art contemporain. Notre volonté est d’être à l’écoute et en phase avec le marché. C’est ainsi que pour l’édition 2019, nous inaugurons une nouvelle section, nommée INVITED, qui nous permet d’accueillir des galeries qui ne passeraient pas l’étape de notre processus de sélection ; les critères y sont calqués sur le modèle traditionnel de la galerie d’art qui, entre autres, possède une adresse fixe où exposer les artistes représentés en permanence par la galerie. D’autres modèles de fonctionnement font leur apparition et nous souhaitions pouvoir les intégrer à la foire. INVITED comprend dès lors 9 galeries qui opèrent selon un mode soit nomade, soit collaboratif ou encore temporaire, de même que des galeries jeunes défendant une ambition internationale mais n’ayant pas aujourd’hui les moyens financiers nécessaires pour se déployer internationalement, notamment par la participation à des foires d’art. Ces 9 galeries jouissent d’une totale carte blanche pour la présentation de leur stand.
En outre, par rapport à l’édition 2018, nous avons décidé d’augmenter la proportion de la section DISCOVERY, qui passe de 33 galeries en 2018 à 38 galeries en 2019. Nous avons également fait un travail de fond au niveau de la section REDISCOVERY, dédiée à l’art du 20ème siècle, qui se connecte au profil de « Découverte » de la foire, mais dans un sens plus historique. La section propose des œuvres d’artistes importants du 20ème siècle, vivants et décédés, issus de l’avant-garde historique, dont l’oeuvre est restée sous-estimée, négligée ou indûment oubliée. Depuis son lancement en 2016, nous avions observé un appauvrissement du nombre de dossiers pour cette section mais celle-ci retrouvera toute son ampleur dans l’édition 2019, avec d’intéressantes propositions de la part de 11 galeries.
Au sein de PRIME et de REDISCOVERY, notre sous-section SOLO, qui compte cette année 23 projets, est un must où les galeries et leurs artistes rivalisent pour proposer des stands qui sortent du lot, au travers par exemple d’un caractère performatif ou d’une d’installation spécialement conçue pour Art Brussels. De nombreux projets artistiques, des performances et des interviews d’artistes viennent encore compléter cette offre déjà abondante.

En quoi l’écosystème de Bruxelles favorise t-il toute cette effervescence et dynamisme du marché ?

Le marché des foires d’art contemporain est véritablement mondialisé et le succès d’une foire est aussi étroitement lié à sa localisation, la ville où elle se tient et la scène artistique dans laquelle elle s’inscrit. A ce niveau-là, Bruxelles représente une localisation de choix, au cœur de l’Europe, une ville excessivement cosmopolite et multiculturelle. La taille de Bruxelles et son nombre d’habitants lui confèrent une dimension humaine et permettent une grande interaction entre différentes strates de la ville, tant sur le plan géographique que sur le plan des échanges interhumains. Bruxelles a beau être la capitale de l’Europe, elle a l’avantage de proposer encore de nombreux espaces pour de potentiels ateliers d’artistes dans des quartiers centraux mais à des prix infiniment compétitifs par rapport aux normes dans les grandes villes comme Berlin, Londres, New-York et Paris.
Le caractère peu institutionnalisé et peu hiérarchisé de Bruxelles fait que les interactions entre différents réseaux et groupes d’intervenants de la scène contemporaine sont particulièrement aisées. Les contacts s’établissent spontanément, des initiatives se discutent librement et l’on observe l’émergence de projets nouveaux, des collaborations entre artistes, commissaires d’exposition, collectionneurs, galéristes, etc. Ce n’est donc pas un hasard que de nombreux artistes émergents désirent s’installer à Bruxelles après y avoir été invités pour une résidence d’artiste. Cette présence des artistes attire vers Bruxelles de nombreux professionnels de la scène artistique internationale et favorise l’éclosion de nouveaux espaces souvent gérés par des artistes et/ou de jeunes commissaires d’expositions, ou encore, des collectionneurs. En outre, Bruxelles voit régulièrement émerger de nouvelles galeries ainsi que des espaces d’art opérant sous un nouveau modèle, par exemple collaboratif ou nomade, qui choisissent la capitale européenne lorsqu’ils décident de s’implanter dans un lieu permanent ; ce fut le cas récemment avec La Maison de Rendez-Vous et B.R. Club. Bruxelles et la Belgique comptent également des institutions de plus grande envergure qui ont largement contribué au niveau international à la promotion de l’art contemporain, tels par exemple BOZAR – Palais des Beaux-Arts, WIELS, Centre d’art contemporain à Bruxelles et le S.M.A.K. à Gand, seul musée d’art contemporain de Belgique à l’époque de sa création en 1975, où Jan Hoet officia comme directeur jusqu’en 2003 pour rapidement le faire connaître internationalement pour son programme avant-gardiste. Enfin, récemment le Centre Pompidou a confirmé l’intérêt que représente la place de Bruxelles en s’associant au projet Kanal – Centre Pompidou situé dans un bâtiment à l’architecture exceptionnelle.
Art Brussels, depuis sa création en 1968, a joué un rôle central notamment au niveau de l’internationalisation de cet écosystème artistique si particulier, en drainant un public international vers la foire et en l’incitant à visiter plus largement les initiatives artistiques présentes en ville. Nous observons qu’il faut souvent être patient pour attirer les amateurs vers Bruxelles mais que la magie opère très vite lors d’une première visite et garanti l’inscription d’Art Brussels dans leur agenda comme un rendez-vous incontournable pour les années futures. C’est vraiment la spécificité d’Art Brussels, la base historique des collectionneurs belges et l’atmosphère très particulière de Bruxelles qui nous distinguent de nos voisins européens. L’ouverture à l’art contemporain, la faim de défricher de nouveaux possibles et le goût de l’audace semblent inscrits dans le terreau naturel historique belge qui sous-tend l’écosystème artistique bruxellois en permanente mutation.

Etes-vous collectionneuse et quels sont vos derniers coups de coeur ?

Personnellement, il ne me viendrait pas à l’esprit de me présenter comme une collectionneuse même si j’achète régulièrement de l’art contemporain, plutôt d’artistes émergents, depuis longtemps ; mon premier achat remonte à mes 19 ans ! Dans le cadre de ma fonction au sein d’Art Brussels je suis bien sûr en permanence exposée à des découvertes et mon intérêt est attisé par des disciplines très diverses. Mon regard se porte volontiers actuellement sur des œuvres d’artistes travaillant le textile mais j’avoue que j’aime beaucoup également me plonger dans l’univers des vidéos d’artistes ; l’ère digitale dans laquelle nous vivons est également très porteuse de nouvelles formes d’art qui ne manquent pas d’être fascinantes. Je suis en fait ouverte à toutes les disciplines et j’aime tout simplement être intriguée, captivée, surprise, voire éventuellement perturbée à la vue d’une œuvre d’art. L’important c’est que l’œuvre suscite quelque chose en moi, qu’elle soit le sujet d’une vraie rencontre…

A LIRE :
Art Brussels 2019 et écosystème bruxellois effervescent !

INFOS PRATIQUES :
37ème édition Art Brussels
Jeudi 25 – Dimanche 28 avril 2019
Tour & Taxis
Avenue du Port 86c
1000 Bruxelles, Belgique
Horaires :
Vendredi 26 avril: 11h – 19h
Samedi 27 avril: 11h – 19h
Dimanche 28 avril: 11h – 19h
Tarifs : Journée : 18 € (en ligne) / 20 €
Vernissage : 50€ (avec catalogue)
https://www.artbrussels.com/fr

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

You may also like

En voir plus dans Interview Art Contemporain