OtherSide

Rencontre avec Hélène Guenin, directrice du Mamac

Temps de lecture estimé : 7mins

Hélène Guenin a pris la tête l’année dernière du mamac à l’âge de 38 ans, étant auparavant responsable du pôle programmation du Centre Pompidou-Metz depuis 2008.
A l’occasion du partenariat du musée avec Moviementa nous l’avons rencontré autour de la formidable exposition d’Harun Farocki « Parallel I-IV ».

« Inscrire une page contemporaine dans une histoire existante » – Hélène Guenin

9 lives : Genèse de l’exposition Harun Farokci qui bénéficie d’une large actualité en ce moment

Hélène Guenin : Dans les discussions avec l’équipe Movimenta nous avons pensé à cette pièce qui nous semblait entrer de plain pied dans les problématiques du festival et être assez exemplaire de ses enjeux. De nombreuses œuvres existent sur la fascination de la réalité numérique et du jeu vidéo mais peu avec autant d’ampleur et d’ambition que celle de Farocki qui a mené une vraie recherche analytique autour du jeu vidéo, de son évolution et de ce que cela dit aussi en creux de la société d’aujourd’hui et de notre perception des images, C’est un travail tout à fait exceptionnel, qui n’assène pas de position morale mais offre une traversée à la fois onirique et implacable sur le mirage de la puissance technologique, le formatage de ces mondes et leurs stéréotypes.

Farocki est une grande figure du cinéma et  beaucoup d’évènements cette année célèbrent  son travail.

Cette installation nous montre aussi à quel point le jeu vidéo est entré dans la culture. Moi même je n’ai pas de culture du jeu vidéo et pourtant la plupart des références qui sont abordées me sont parlantes. Ce que je trouve très intéressant dans ce projet est qu’à la fois il soulève beaucoup de questions sur le régime des images, ce que signifie cette quête permanente de ressemblance et de simulacre, ce que cela implique sur les comportements, les stéréotypes et les questions morales sous-jacentes.

Tout en montrant cette séduction immense des jeux vidéo et leur progrès fulgurant : quand on voit le langage binaire des origines et 30 ans après les progrès réalisés !

J’ai souhaité participer à ce festival car c’est une belle énergie et cela rejoint ma volonté de travailler en synergie sur le territoire.

9 lives : L’exposition Liz Magor

H. G. : C’est vraiment un pari que je prends de faire découvrir au public niçois une artiste canadienne majeure et toutefois confidentielle. Et cela illustre la manière dont je travaille dans le musée : actualiser – proposer un regard contemporain à partir de l’identité très forte des collections et des gestes/personnalités qui la composent. Pour bâtir la programmation, je m’appuie sur un certain nombre de sujets au cœur des enjeux de la collection : l’appropriation du quotidien, la signature, le détournement d’objets du réel, le ready-made mais aussi un art de geste et d’attitude. Pour moi c’est un véritable contexte à l’intérieur duquel je travaille et que j’essaie de réactiver à travers des enjeux et gestes contemporains.

L’exposition consacrée à Liz Magor s’inscrit exactement dans ces enjeux. Elle est venue après la génération des Trente Glorieuses, dépassant cette fascination des Nouveaux Réalistes pour l’objet industriel ou manufacturé. Eux-mêmes avaient amorcé une posture critique si l’on pense aux accumulations d’Arman, à Spoerri et à ses « tableaux pièges ».

Lorsque l’on découvre le travail de Liz Magor dans le musée, on a l’impression d’une sorte de continuité visuelle et de démarche avec cette génération mais intellectuellement et dans le mode de production nous nous trouvons dans une pratique complètement différente. Liz Magor appartient à la génération d’après : celle consciente du flux de ce qu’on abandonne et préoccupée de redonner une seconde vie à ces objets ou du moins de leur prêter une forme d’âme. Dépassant l’attraction de la possession et de la production de masse, elle révèle l’ampleur et la complexité de notre relation aux objets. Par ailleurs, elle se distingue du simple geste de prélèvement du quotidien, en déployant une pratique sculpturale très méticuleuse, fine, patiente et sensible.

9 lives : Le nouvel accrochage des collections

H. G. : Les collections se déploient sur 2 étages du musée.

J’ai gardé sur le 1er niveau la structure originale qui fait partie de l’identité du musée avec ce face à face entre Pop et Nouveau Réalisme, les salles monographiques dédiées à Yves Klein et Niki de Saint Phalle mais en retravaillant l’accrochage des salles pour donner un nouveau regard comme chez Niki et Yves, afin de faire ressortir les gestes et les processus à l’origine des œuvres d’aujourd’hui.

Au dernier étage c’est un nouveau regard dévoilé au début de l’été qui revient sur des moments clés d’expérimentation à Nice entre 1963 et 1972 avec à la fois la scène de la performance très forte autour de Ben et aussi toutes les performances Fluxus qui se consacrent au rapprochement de l’art et la vie et ancrent, le banal, le quotidien, le geste le plus trivial comme art, comme nous le propose Liz Magor finalement. La rue devient alors le théâtre permanent d’interventions artistiques. Se développe aussi une scène autour de Supports/ Surfaces qui n’est pas un mouvement spécifiquement niçois mais qui regroupe de nombreux artistes du territoire avec beaucoup d’inventions à Nice et dans l’arrière pays. Des expériences d’accrochage en plein air, dans les villages, en pleine nature sont menées et c’est cette liberté là, cette expérimentation, que je souhaite montrer. La dernière salle revient sur un trait d’union local et international avec la présence entre 1965 et 68 de George Brecht et Robert Filliou qui viennent vivre une expérience de rapprochement entre l’art et la vie dans un village de pêcheurs à Villefranche-sur-mer. Ils vont pendant 2 ans et demi de non exposition, entrer dans une démarche où ils préfèrent ne pas faire mais être en permanence dans l’interaction, aussi bien avec les habitants du village, avec les artistes niçois, qu’en faisant venir la scène internationale en lien. C’est la capacité d’invention, l’esprit d’émulation et la singularité de cette scène artistique, bien ancrée dans l’esprit de son temps, que j’ai souhaité mettre en exergue.

9 lives : Qu’est ce qui vous a séduit en postulant à la tête de ce musée ?

H. G. : La collection dans ce qu’elle véhicule de gestes et moments de rupture est riche et très stimulante, or aujourd’hui le passage du temps et de l’histoire font que ces œuvres et leurs auteurs sont devenus des icones. Je trouve extrêmement intéressant et inspirant de revenir à cette origine des gestes et des processus que contiennent ces œuvres comme une façon de ré-ancrer ces objets à la fois dans leur histoire et d’ouvrir des perspectives avec des pratiques contemporaines. Me placer dans un regard presque à rebours, partir de ces racines pour mieux les réactualiser.

D’autre part Nice est une terre d’artistes avec une vraie histoire et scène contemporaine locale et nationale tout en étant connectée à l’international avec un aéroport, une forte fréquentation touristique. Cela créé un mélange assez inédit. Par ailleurs il y a un potentiel immédiat et transfrontalier avec la perspective d’ouvrir  des synergies avec l’Italie, Monaco. C’est tout ce contexte qui m’a donné envie de venir, et aussi parce que le musée était une belle endormie !  Après avoir  fait partie de l’équipe qui a lancé le Centre Pompidou-Metz, accompagné la fin de sa construction, élaboré sa programmation, écrit une page blanche ; tout à coup, je me trouve ici face à  un nouveau défi en arrivant dans un lieu qui a déjà une histoire très belle et en même temps dans un musée peut être un peu en perte de vitesse ces dernières années. Mon pari c’est de lui redonner sa contemporanéité, de le réinscrire dans un réseau international, et plus globalement de repenser l’accueil des publics avec cette nouvelle entrée depuis février 2017, qui met le musée de plein pied avec la ville. J’ai tenu à ce que cette entrée soit tout de suite annonciatrice de la vocation contemporaine du musée et de son soutien à la création à travers un projet d’artiste, celui de Tania Mouraud, et avec une nouvelle boutique pour prolonger la visite.

On se mobilise avec toute l’équipe pour écrire une nouvelle page !

INFOS PRATIQUES :
Harun Farocki
Parallele I-IV
Jusqu’au 18 janvier 2018
(dans le cadre de Movimenta)
Liz Magor
Jusqu’au 13 mai 2018
MAMAC
Musée d’art moderne et contemporain
Dominique Ghesquière,
Galerie des Ponchettes (MAMAC Hors-les-murs)
Du 9 décembre 2017 au 3 juin 2018
http://www.mamac-nice.org/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

You may also like

En voir plus dans OtherSide