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Art & déconfinement : Carine Fol, la CENTRALE for contemporary art à Bruxelles : « c’est aussi les invisibles qu’il faut soutenir et engager une réflexion sur l’identité même du centre d’art »

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La CENTRALE fondée par la Ville de Bruxelles a pour mission de soutenir la création locale. Un axe que Carine Fol directrice artistique a complété depuis son arrivée avec une dimension internationale en demandant aux artistes bruxellois d’inviter un/une artiste international.e de son choix à exposer avec elle/lui. Dans les expositions thématiques de groupes elle défend aussi une ouverture aux artistes de la marge ayant dirigé le musée Art et Marges à Bruxelles, et des questionnements qui dépassent les préjugés ou idées reçues dans le champ de l’art contemporain, comme avec les collectionneurs et collectionneuses invité.e.s en 2017, exposition fascinante à plus d’un titre. Elle prépare les 15 ans de la CENTRALE à partir de mars 2021 dont elle nous dévoile les temps forts.

Quel impact a eu cette crise à la CENTRALE en terme de programmation et organisation ?

Les expositions Roger Ballen / Ronny Delrue et les expositions dans la CENTRALE.box de l’artiste français Stéphane Roy The Mental Network et l’artiste belge Leen Van Dommelen Backstage Of The Body dans la CENTRALE.lab se terminant le 14/3, nous n’avons donc dû fermer que quelques jours plus tôt.

Cependant nous n’avons pas pu terminer en apothéose avec la Museum Night Fever que nous avions préparé pendant des mois avec des étudiants de l’ULB !

En ce qui concerne les mesures de soutien et de solidarité aux artistes, les réponses ont-elles été pertinentes et suffisantes selon vous que ce soit des autorités ou d’autres initiatives ?

Insuffisantes. La Ville de Bruxelles a mis quelques initiatives en place entre autres en terme de soutien aux institutions. Mais le secteur des arts plastiques n’étant pas vraiment fédéré, étant une communauté plus individualiste que le secteur du spectacle, leur voix n’est pas toujours entendue. Cette crise du Covid 19 s’ajoute aux mesures drastiques de restrictions budgétaires de la part du ministre de la culture de la Communauté flamande, la situation est dramatique pour de nombreux acteurs du monde de l’art et entre autres les artistes qui ne bénéficient pas d’un travail de professeur et qui ne sont pas soutenus par une galerie. Face à ce constat, il est important de se fédérer entre centres d’art afin de réfléchir ensemble à la manière dont nous pouvons soutenir les artistes. Surtout ceux qui ne bénéficient pas d’une renommée internationale et n’ont pas encore ou pas autant de visibilité. Nous avons vraiment un rôle à jouer pour défendre entre autres les artistes de la marge. Cet avis s’inscrit dans ma philosophie du monde de l’art depuis des années que j’ai notamment développé à la tête du art et marges musée à Bruxelles. C’est aussi les invisibles qu’il faut soutenir et pas seulement les grands noms, ceux qui n’ont pas toujours la chance de pouvoir présenter leur travail au public. Cela rejoint directement l’ADN de la CENTRALE.

Le digital a été l’une des leçons de cette période, quelle a été votre stratégie et votre offre ?

En effet, comme la plupart des autres institutions culturelles nous avons relevé le défi de rester présent auprès de notre public à travers plusieurs initiatives par le biais des campagnes #MuseumAtHome et #trythisathome qui ont permis de communiquer à travers des témoignages dans des petits films ou posts d’artistes, de collectionneurs et des ateliers à réaliser chez soi.

En juin nous proposons une carte blanche sur nos comptes Instagram & Facebook aux étudiants du Master CARE de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, pratique des expositions, avec qui un partenariat existe par la résidence des étudiants à la CENTRALE. Nous consolidons notre collaboration avec eux depuis l’arrivée de Tania Nasielski en charge de développer la création émergente et le développement des partenariats avec, entre autres, les écoles d’art francophones et néerlandophones. C’est une volonté forte de notre part de soutenir les jeunes artistes, qui rejoint notre vocation de centre d’art fondé par une municipalité. En juillet, nous lancerons le Brussels Videonline Festival qui présentera 30 vidéos d’étudiants ayant quitté l’école depuis 2 ans maximum, une manière d’offrir un tremplin à des étudiants avec un Prix du public et un Prix de la CENTRALE, les vidéos des lauréat.e.s seront présentées en live à la CENTRALE dès la réouverture en septembre. L’objectif est que ce festival devienne récurrent.

Cette crise a permis de développer ce type d’initiatives et de réfléchir au lien avec les publics. L’image que nous défendons de la CENTRALE, est celle d’un centre d’art proche des artistes et du public, des publics.

Cet épisode démontre plus que jamais qu’un centre d’art reste un lieu de rencontre et d’échange avec les artistes et le public aussi bien à travers les expositions qu’à travers les activités multiples que nous organisons (concerts, performances, rencontres, ateliers, projections, débats, etc). Bien que les arts plastiques soient encore majoritairement un art qui se crée individuellement les deux projets que nous présenterons à l’occasion du 15ième anniversaire de la CENTRALE soulignent le rôle de notre centre d’art comme interface entre les créateurs et les publics, entre autres par le biais de la médiation et de projets participatifs. Cet anniversaire comportera plusieurs volets, le premier projet BXL Universel II : multipli.city, 2ème chapitre d’une trilogie qui dessine un portrait subjectif de la capitale belge est axée sur la multiculturalité ou plutôt l’interculturalité de Bruxelles et son riche tissu associatif et ouvrira le centre d’art à des initiatives actives et très présentes à Bruxelles depuis des décennies, des artistes d’origines multiples et permettra lors de forums, à tous ces acteurs à échanger avec les publics. D’autre part, nous avons invité l’artiste Els Dietvorst qui bénéficie actuellement d’une rétrospective au M HKA d’Anvers et qui va ouvrir les murs du centre d’art et engagera une réflexion sur l’identité de l’artiste et le rôle d’un centre d’art. Ces projets rejoignent mes préoccupations autour de la vocation de la CENTRALE dans une ville en constante mutation et au sein du champ de l’art contemporain globalisé. Un centre d’art qui n’est plus uniquement un lieu d’exposition mais rempli aussi d’autres rôles dont celui de pointer et de réfléchir et de débattre de sujets sociétaux importants.

Dans cette optique, je suis de plus en plus intéressée par les processus de création et de monstration tout en ne perdant pas de vue que l’un des objectifs majeurs reste la consolidation de notre ancrage bruxellois, au sein d’un quartier qui est le reflet de cette cité multiple. L’engagement du photographe Vincen Beeckman, artiste/médiateur, au sein de l’équipe va nous permettre de développer cet aspect.

Depuis le début de ma carrière j’ai souhaité ouvrir la voie à des collaborations et j’ai souhaité fédérer dans une volonté de décloisonnement et de questionnement des clivages culturels et sociétaux. Depuis mon arrivée à la CENTRALE j’ai continué ma réflexion à ce sujet et je suis de plus en plus convaincue que l’art permet de rassembler les gens et de remettre en question les idées reçues et les clivages, aussi bien à propos de l’art insider et outsider, qu’à propos d’autres acteurs majeurs de la scène de l’art contemporain comme les collectionneurs par exemple avec “Private Choices”, des acteurs majeurs du monde de l’art à propos desquels beaucoup de clichés sont véhiculés. Tous ces projets partent d’une vision ouverte de l’art.

L’exposition Xavier Noiret-Thomé et Henk Visch. Panorama est prévue début septembre, pourquoi cette ouverture à la rentrée alors que les principales institutions bruxelloises ont déjà rouvert ?

Contrairement aux autres institutions, nous n’avions pas d’exposition en cours. Nous avons été interrompus dans le démontage (encore en cours, des expositions Ballen, Delrue, Roy et Van Dommelen) et nous étions dans l’expectative complète vu les évolutions du Covid 19 et du déconfinement de semaine en semaine. L’exposition que nous proposons nécessite un mois de montage.

Ouvrir une exposition à la mi-juillet n’aurait pas été opportun pour organiser une conférence de presse, un vernissage public. Vu la fermeture des frontières, nous ne savions pas quand Henk Visch, hollandais, pourrait entrer en Belgique, ni quand le transporteur reprendrait du service.

La crise du Covid 19 a porté préjudice aux artistes avec l’annulation de plusieurs moments importants pour leur visibilité et promotion internationale comme Art Brussels et la rentrée de septembre nous semblait donc une bonne alternative, notamment avec le Brussels Gallery Weekend. C’est une décision qui a été prise en concertation avec toute l’équipe et les artistes en tenant compte de tous les paramètres en place. En parallèle à l’exposition PANORAMA de Xavier Noiret-Thomé et Henk Visch, nous présenterons dans la CENTRALE.box le lauréat du Prix Art Contest/Prix de la Ville de Bruxelles : Max Kesteloot. Dans la CENTRALE.lab c’est Justine Bougerol qui proposera sa première exposition solo.

Pensez-vous que notre rapport à l’art et aux institutions culturelles change durablement après cette crise ?

Je l’espère mais je crains que non. La prolifération des foires et des biennales internationales ne diminuera pas, entre autre pour des raisons économiques. Ceci dit l’évolution du champ de l’art contemporain a explosé et s’est complexifié pour le meilleur et pour le pire, entre globalisation, mondialisation et marchandisation et je suis convaincue que notre rôle s’en trouve consolidé à travers la vision que nous défendons.

Développer un ancrage au sein de sa ville, en soutien à ses artistes et en lien avec des artistes internationaux et consolider des collaborations entre centres d’art mais aussi avec des institutions partenaires en art plastique et dans le domaine de la musique et des arts vivants.

Cette crise a permis de prendre en compte la notion du temps mais a également permis de prendre conscience que l’art est un élément fondamental pour notre équilibre mental et que l’art est une expérience à vivre en live, en direct, physiquement. Voir une œuvre par le biais d’un écran n’est en aucun cas comparable à une confrontation physique qui favorise un dialogue. Cette crise aura aussi une fois de plus démontré que la culture est un parent pauvre en Belgique, tout comme le secteur de la santé.

INFOS PRATIQUES :
• Panorama
Xavier Noiret-Thomé – Henk Visch.
Vernissage : 01.09.2020, 18:00 > 20:30
Exposition : Du 03.09.2020 au 17.01.2021
CENTRALE for contemporary art
Place Sainte-Catherine 44
1000 Bruxelles, Belgique
+32 (0)2 279 64 52
Mercredi > Dimanche 10:30 > 18:00
Fermé les jours fériés
Tarifs : 8,00 € // 4,00 € // 2,50 € // 1,25 € // 0 €

• Max Kesteloot. GOOD LOST CORNERS, places that appeal to me
Vernissage : 01.09.2020, 18:00 > 20:30
Exposition : Du 03.09 au 08.11.2021
CENTRALE.box
Place Sainte-Catherine 44
1000 Bruxelles, Belgique
Entrée libre

• Justine Bougerol. Strata
Vernissage : 01.09.2020, 18:00 > 20:30
Exposition : Du 03.09 au 08.11.2021
CENTRALE.lab
Place Sainte-Catherine 16
1000 Bruxelles, Belgique
Entrée libre

Plus d’infos : http://www.centrale.brussels/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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