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Carte blanche à Charlotte Boudon : Paulien Oltheten : « the people make the city »

Temps de lecture estimé : 5mins

Pour sa première carte blanche, la co-directrice de la galerie Les Filles du Calvaire, Charlotte Boudon, met à l’honneur l’artiste néerlandaise Paulien Oltheten (née en 1982). Dont la première exposition à la galerie a été inaugurée, puis fermée le 29 octobre dernier, premier jour du deuxième confinement. Cette exposition prolongée jusqu’à la fin janvier, se compose d’installations vidéo et photo, dont « La Défense, le regard qui s’essaye », présentée aux Rencontres d’Arles en 2018 et saluée par le Jury du Prix Découverte.

Ce projet mené lors d’une résidence de l’artiste à la Cité des Arts prend initialement la forme d’une performance où Paulien présente et commente les rencontres successives qu’elle fait avec les habitants ou habitués de ce quartier, dont elle observe les routines. Dans cet espace urbain à la configuration bien particulière, elle repère la répétition des gestes de ceux qui l’expérimentent et l’apparition, parfois hors contexte, de certains objets.

« L’esplanade de la défense est massive et n’invite pas à rester en son centre, il faut la traverser, se réfugier sur les côtés. C’est comme une boucle d’actions répétées. Il y a des petites différences, mais la grande mécanique reste la même. » (P. Oltheten)

« La Défense, le regard qui s’essaye », 2017, extrait.

Dans la vidéo “Non”, Paulien prend pour point de départ un graffiti trouvé dans le quartier des Olympiades à Paris, et capte les réactions des passants face à ce “non” intrusif. De cette déclaration outrancière, elle leur propose de voyager librement entre le social et le politique.

Son film à écran divisé « To those that will, ways are not wanting » présente la persévérance de la déambulation dans deux mondes parallèles. En Iran et en Russie, Oltheten observe et enregistre les personnes manœuvrant face aux obstacles, comme lorsqu’elles traversent les rivières transformées en de nouveaux espaces publics : la Volga gelée devient une infrastructure, et le lit d’une rivière asséchée à Ispahan, une zone de transition urbaine paisible.

De ces constatations élémentaires et ordinaires, elle parvient à extraire la singularité du comportement humain et développe une narration aussi inattendue qu’universelle.

Dans chacun de ces travaux, on s’enthousiasme de la sincérité de la démarche, de la simplicité de la méthode et de l’évidence des images.
C’est un travail très délicat, qui s’intéresse à l’apparence des choses, aux nuances des gens.
La société est son matériau essentiel et telle une chercheuse ou une historienne, elle enregistre ses comportements, détaille ses similitudes, en souligne les différences, dévoile ses petits gestes, en étudie les traces et ainsi l’analyse.
Elle en apporte un reflet. Elle l’observe et l’interprète par la façon dont elle la filme ou la photographie, la cadre, la choisit.

« La Défense, le regard qui s’essaye », 2017, extrait.

Sa méthode combine la captation du réel autant que sa mise en scène. Et avec sa façon d’intervenir, le réel se joue devant nos yeux.

Dans le premier cas, Paulien filme sans que le sujet s’en rende compte, alors qu’il déambule dans l’espace ou manipule un objet de son quotidien.

Et c’est comme si ce cheminement ou cette manipulation répétitive de l’objet avec lequel il joue l’installaient dans un autre espace, celui d’une pensée libre où il arrive à s’oublier.
Ces petits jeux compulsifs d’un être avec un objet opèrent comme un plongeon dans un état méditatif, le conduisent à ne plus ressentir la nécessité de s’isoler dans une certaine intimité pour donner libre cours à ses pensées. Et à les regarder faire, il y a comme un effet sympathique qui nous plonge également dans ce chaleureux état d’introspection.

Caress the bus, 1min14sec loop

Dans le second cas, souvent après une première captation du réel, Paulien intervient dans la scène. Et alors le réel devient un jeu de lui-même.

La caméra tourne, nous observons avec elle. Puis à un instant, Paulien repère quelque chose, de petits gestes, souvent très fugaces. Et lorsqu’elle les surprend, elle demande : « … Could you do that again ? ».

Car lorsqu’elle intervient dans la scène, sollicite une action particulière de la part de ceux qu’elle filme dans leur valse du quotidien, les interrompt dans leurs habitudes, elle le fait sous nos yeux.

Elle leur demande ce qu’ils font, de continuer à faire, de refaire. Un fois la surprise passée, l’incongruité de la question acceptée (« I’m an artist and… »), la personne s’exécute, se prend au jeu d’être à nouveau lui-même.

La plupart acceptent et nous leur en savons gré, car nous nous y voyons, interrompus dans nos pensées, à faire quelque chose dont nous n’avions pas même idée, et prêts à recommencer, à la demande de cette inconnue à la caméra. Nous n’aurions pas forcément dit oui. Mais eux y concèdent. Et l’artiste enregistre, fait durer la scène, demande encore de continuer, cela nous semble trop, mais la demande est accordée. Et la scène est encore plus belle. Puis tout s’arrête. L’artiste remercie. Le sujet nous quitte, l’artiste le filme reprendre le cours de sa vie et à nos yeux disparaitre. Le sourire reste sur nos lèvres.

Ses petites vidéos me font penser à des haïkus, ces poèmes extrêmement bref visant à dire et célébrer l’évanescence des choses.

11 fragments of Japan, 2008 – video, extrait de 2’54’’ (durée total 20’28’’)

INFORMATIONS PRATIQUES

ven30oct14 h 00 min2021sam30jan19 h 00 minSuitcase routines and scenes of the improbablePaulien OlthetenGalerie Les filles du calvaire, 17 rue des Filles-du-Calvaire 75003 Paris

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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