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Pour inaugurer leur invitation éditoriale, nos invité·es de la semaine, les membres de l’agence MYOP, ont souhaité partager avec nous un extrait de l’exposition de « Back to Black », qui a été présentée lors de la dernière édition des Rencontres d’Arles et qui sera soumise au public alsacien, dès le 9 octobre, au sein de Stimultania, pôle de photographie à Strasbourg. Cette exposition réunie une sélection de tirages en noir et blanc issus des archives des photographes de l’agence !

Depuis 2011, MYOP s’illustre dans l’organisation des « MYOP in Arles » : des événements photographiques et festifs proposés en parallèle de la semaine d’ouverture des Rencontres d’Arles (lire notre article : MYOP in Arles  ).

L’édition 2021 fut toute particulière, MYOP s’emparant de trois lieux emblématiques de la ville : la Cour de l’Archevêché, restée vacante cette année, ainsi que les galeries Henri Comte et Arena.

Pour cette première carte blanche, nous avons souhaité vous présenter des extraits de « Back to Black », exposition collective créée à l’occasion de MYOP in Arles et qui sera montrée à Stimultania dès le 9 octobre ! (https://www.stimultania.org/back-to-black/ )

Depuis sa généralisation dans la presse à partir de la fin des années 1980, la photographie en couleur est devenue une norme, renforcée par l’apparition du numérique. Pourtant, nous avons choisi de nous intéresser au « noir » avec une sélection d’images hétéroclites, rassemblées par le lien étroit qu’entretiennent les photographes de MYOP avec cette pratique devenue marginale mais restée essentielle.

Des textes qui accompagnent cette exposition se dégage un attachement viscéral à une pratique qui permet tour à tour d’offrir un refuge dans l’intime lors de bouleversements de vie, une réappropriation du médium lorsque la lassitude s’installe, un choix fort et ambitieux sur des sujets que les photographes jugent importants pour eux, une manière personnelle de voir différemment.

Ainsi cette exposition ne montre pas les « meilleures » images réalisées par les photographes de MYOP mais celles qui révèlent le plus leurs personnalités, leurs parcours, leurs pratiques. Plus que l’analyse d’une technique, elle présente un portrait en creux d’une agence qui fête joyeusement ses 15 ans dans ses « différences collectives » totalement assumées, comme un manifeste.

Mort dans l’après-midi, quartier de l’arenal, en face de la Maestranza, les arènes de Séville, 2012-2015 © Oan Kim/MYOP

« J’ai commencé la photo comme c’est souvent le cas, par le plaisir de voir apparaître une image en noir et blanc dans la lumière rouge d’une chambre noire.
J’étais aux Beaux-Arts et la photo était pour moi un prolongement du dessin, l’appareil photo comme un carnet de croquis qu’on a toujours dans la poche. Admirateur des jeux de lumières et de contraste de Rembrandt, Cézanne ou Seurat, le labo était l’endroit où la subjectivité de l’artiste que j’aspirais à être pouvait imprimer son point de vue sur ce que l’appareil photo avait froidement enregistré. J’ai toujours trouvé que la photo était mensongère dans sa façon de faire disparaître l’essentiel du réel en n’en montrant qu’une seule image, plate et figée. C’est pour compenser cette perte que le photographe peut utiliser tous les outils à sa disposition pour restituer au réel représenté son aura souvent perdue dans le processus technique. Ici l’éblouissement du soleil, là la profondeur des ombres.
Pour la série sur la tauromachie dont ces images sont issues, le choix d’un noir et blanc contrasté était une façon de faire ressortir le tragique au cœur de cette pratique, si souvent montrée sous un jour plutôt folklorique et coloré. »

« Après nous le déluge », dernier jour du premier confinement, Paris, Mai 2020 © Ed Alcock/MYOP

« J’ai commencé à travailler en noir et blanc à l’adolescence, en faisant des tirages dans ma propre chambre noire et en travaillant pour un journal d’étudiants à l’université. Les premiers portraits pour lesquels j’ai été reconnu ont été réalisés en monochrome, et ont contribué à ce que je devienne photographe indépendant pour « The Guardian » à Paris, où je vis maintenant depuis vingt ans.
Je mélange souvent des photographies en noir et blanc – réalisées à l’aide d’un petit mais puissant flash – avec mes travaux en couleur plus formels, pour introduire un changement de rythme dans la construction d’un récit. Cette image est issue d’une série photographique prise entièrement en noir et blanc pendant les derniers jours du confinement. C’est inhabituel pour moi de travailler uniquement en noir et blanc. Je me demande maintenant si mon intention inconsciente n’était pas de me distancier de cette expérience traumatisante (du confinement) en plaçant l’événement dans un passé monochrome. »

Troupe de l’Alliance du Nord, Afghanistan, 1999 © Olivier Jobard/MYOP

« 1999. Voilà déjà huit ans que je travaille pour l’agence Sipa Press, pour laquelle je couvre l’actualité nationale et internationale. Jeune photographe, je tenais à être publié dans la presse magazine. Je me suis obligé à entrer dans la norme : il fallait que je travaille en couleur.
Le noir et blanc, je l’ai gardé pour moi. Je me permettais quelques pas de côté pour réaliser des projets plus personnels. Je prenais congé de l’agence. Je n’avais ni contrainte, ni obligation commerciale, et l’Afghanistan était mes vacances. Comme beaucoup de monde, ce pays, hors normes, m’a happé.
Le rapport au temps a défini mon choix du noir et blanc. Celui-ci me faisait entrer dans un autre rythme. Je n’avais plus à me soucier des contraintes, je prenais le temps que je voulais, j’allais à la rencontre des gens pour discuter et les photographier. Je partais seul, avec un unique boîtier, léger. Quelques rouleaux en poche. Après mon retour, j’attendais encore plusieurs semaines avant de développer et tirer mes images. Il n’y avait pas d’urgence. Pas de bouclage.
Je me fais plaisir. J’y vais pour moi. Cela me ramène à mon adolescence, quand je faisais du noir et blanc en club photo, puis quand j’étais étudiant à Louis-Lumière. J’ai aimé cet instinct du temps long, du vagabondage. »

Installation artistique au bois de Vincennes, Paris, juillet 2020 © Stéphane Lagoutte/MYOP

« Je n’ai jamais opposé la couleur au trait. Pour moi, ce n’est pas l’un ou l’autre – c’est l’un et l’autre. Retirer la couleur du monde, c’est déjà choisir de s’éloigner du document, c’est enlever une information du réel. Même s’il est vrai que, parfois, les vibrations chromatiques se posent comme un obstacle à la force d’un regard ou à la puissance de lignes de forces. C’est une contrainte supplémentaire parfois bruyante, qui exige de jouer avec et s’ajoute aux exigences de la composition.
De ce fait, ma pratique du noir et blanc s’inscrit dans le champ de l’expérimental. La seule fois où je l’ai utilisée en photojournalisme, c’était lors du coup d’État de Jakarta, en 1998, alors que j’étais encore jeune photographe. J’étais sur place depuis trois mois et traitais des sujets de reportage en couleur, à la kodachrome 200, pellicule minérale chargée de matière. Par réflexe, lorsque les émeutes ont éclaté, j’ai instinctivement basculé au noir et blanc. Comme si le surgissement d’un moment historique devait être marqué par l’utilisation du noir et blanc. Immédiatement, je me suis senti un peu stupide, et je n’ai plus eu recours au noir et blanc en photojournalisme. Depuis, les rares fois où j’ai tenté la bascule m’ont toujours donné le sentiment de laisser de l’information sur le chemin.
Plus de vingt ans se sont donc écoulés sans que je ne photographie en noir et blanc, avant que je ne m’y réessaie l’année dernière pour un travail de commande dont passée par la DRAC Ile-de-France. Il s’agissait de rendre compte d’une performance artistique, sonore et visuelle, qui aurait lieu dans le bois de Vincennes à la tombée de la nuit. Pour rendre compte du silence affairé de la phase préparatoire, il me fallait des images sourdes, et pour cela supprimer le bruit de la couleur. Comme je le disais, le noir et blanc relève pour moi du champs de l’expérimental. J’ai basculé mon traitement en une nuit américaine qui change encore la perception du moment et permet de parfaire l’inclusion des protagonistes dans leur environnement. L’artifice de la nuit, l’homme moderne cherchant un retour à la nature pour tenter d’être au monde à nouveau. Finalement, cette extraction de la couleur s’apparente ici à l’affirmation d’un propos. »

Quartier général de l’armée russe, Grozny, vendredi 27 janvier 1995 © Alain Keler/MYOP

« En Tchétchénie, comme dans tous les endroits visités pour mon projet «  Vents d’Est » je ne couvre pas un événement mais cherche des images pour le nourrir. Je reçois l’aide du correspondant à Moscou de TF1, Patrick Bourrat, qui me fait passer pour un membre de son équipe. Nous allons travailler avec l’armée russe.


Dès notre arrivée en hélicoptère, nous suivons une patrouille, et arrivons à la
tombée de la nuit au quartier général de l’armée, dans ce qui fut l’un des plus beaux parcs de la ville et ressemble maintenant davantage à un champ de bataille. Ce qui s’offre à nous en premier est un soldat jouant du piano pour ses camarades. C’est une scène surréaliste, une scène de film. Il n’y a presque plus de lumière. Je fais deux images à vitesse très lente. J’arrive à la fin de mon film, que je change le plus vite possible. Mais la lumière a totalement disparu. Plus de photo. Je n’ai appuyé que deux fois sur le déclencheur. Il me faudra attendre le retour en France pour savoir si j’ai une image. »

Révolution en Roumanie, 1989 © Marie Dorigny/MYOP

« On prend ta voiture ou la mienne » ? Ce jeudi soir, 21 décembre 1989, la petite question de Roberto Neumiller n’est pas si anodine. Nous parlons au téléphone depuis une heure de la situation en Roumanie.
Deux jours et 1 600 kilomètres plus tard (avec ma voiture finalement), nous arrivons à Timisoara. La suite, je ne m’en souviens plus que par bribes d’un film qui se déroule en accéléré. La situation sur le terrain est terriblement confuse. La population est dans la rue, les blindés de l’armée passent en rugissant, il y a des coups de feu sporadiques et la rumeur, relayée par les hommes de la Securitate, voit des « terroristes » à la solde de Ceausescu partout. Au début, je n’ose pas prendre mes boîtiers. Je n’ai jamais vécu ce genre de terrain, je ne comprends pas grand chose à ce que je suis en train de vivre et pire, je découvre dans l’urgence un tout nouveau métier dont je ne connais pas les bases. Alors je mets mes pas dans ceux de Roberto et je me contente de le regarder travailler.
Lorsque j’ose enfin entrer en action, je shoote à l’instinct. Je suis nulle en technique photo, je maitrise à peine les réglages sur mes boîtiers, je n’ai aucune notion de cadrage et c’est guère mieux côté exposition. Je privilégie le noir et blanc car je le sais capable d’encaisser beaucoup de mes erreurs et je me concentre sur ce que je vois, ce que je vis. Je cours d’une situation à l’autre, avide de ne rien manquer.
Fin juin 1990, je quitte la Roumanie et intègre l’agence R.E.A. Je dois renoncer au noir et blanc, tous les photographes travaillent en diapositive, l’agence ne distribue que de la couleur, réalisme économique oblige.
Je ne retrouverai le noir et blanc que bien plus tard et de nouveau, il bouleversera ma vie. »

Géorgie, 2017 © Julien Pebrel/MYOP

« En 2017, ma vie bascule quelque peu : une histoire d’amour naissante m’amène à passer une partie de mon temps à Tbilissi, en Géorgie. Nouvelle histoire, nouveau pays, nouvelle ville. C’est la première fois dans ma vie, relativement linéaire jusqu’alors, qu’opèrent des forces qui me poussent à tourner mon appareil photo vers mon intimité.
C’est l’hiver, Tbilissi est grise. C’est une ville triste à cette saison, et je n’ai rien à y faire de spécial, alors je reviens à mes premiers amours photographiques : du noir et blanc, la rue, des ombres, de la densité. Je repense à Sluban, j’avais commencé à photographier en noir et blanc dans le Delta du Danube après avoir vu son travail, puis j’avais basculé en couleur en découvrant le travail de Denis Dailleux.
Alors, je reprends mon Mju et je vais me promener à Tbilissi. Marcher, beaucoup, déclencher, plus que d’habitude, parfois en visant à moitié, à l’opposé de ce que je fais depuis des années dans mon travail au moyen format. Retrouver un espace de liberté, un instinct photographique, s’autoriser plus de choses, sur- et sous-exposition, pose lente, flou, grain, abstraction, trouver un langage photographique qui suive au plus près les émotions du moment… Mon expérience plus intime de ce pays, je continue à la photographier en noir et blanc. »

La suite de l’exposition est à découvrir dès le 9 octobre et jusqu’au 9 janvier à Stimultania, à Strasbourg.

Commissariat réalisé par Olivier Monge, photographe de MYOP et co-fondateur de la galerie Fermé le Lundi (conf ici : https://www.9lives-magazine.com/53152/2019/05/27/roxane-daumas-olivier-monge-de-ferme-lundi-nos-invites/ ), avec le soutien de Initial Labo, Hahnemühle, Taos Photographic, Awagami et Piezography.

Découvrez la série de podcast réalisé par Mandarine sur l’aventure MYOP in Arles 2021 :

#001 Olivier Monge (MYOP) – Coulisses de l’exposition Back to Black, son histoire et son regard photographique.

#002 Alain Keler (MYOP) – Sa culture photographique, ses voyages et l’histoire de ses photos.

#003 Bilan MYOPinArles2021 – Retour sur édition d’Arles, avis des passants, et l’ambiance festive du collectif

INFORMATIONS PRATIQUES

ven08oct(oct 8)14 h 00 min2022dim09jan(jan 9)18 h 30 minBack to blackAgence MYOPSTIMULTANIA Pôle de photographie, 33 rue Kageneck, 67000 Strasbourg

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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