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L’Optimisme contagieux d’Harold Feinstein à la galerie Thierry Bigaignon

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Lundi soir nous avons découvert la nouvelle exposition de la galerie Thierry Bigaignon lors d’une soirée privée avec quelques confrères, une plongée dans l’Amérique des années 40-50. Cette première exposition de l’année 2017 est consacrée aux travaux de jeunesse du photographe américain Harold Feinstein, disparu en 2015. L’exposition est ouverte aujourd’hui au public, pour l’occasion nous avons rencontré Thierry Bigaignon pour un entretien que nous publions aujourd’hui.

9 lives : Vous inaugurez aujourd’hui la quatrième exposition depuis l’ouverture de la galerie, en juin dernier, avec le travail du photographe américain Harold Feinstein, assez peu représenté en France. Expliquez-nous ce choix.
 
Thierry Bigaignon : Pour un passionné de photographie, découvrir l’oeuvre d’un artiste comme Harold Feinstein fait partie de ces moments magiques que l’on chérit, mais pour le galeriste que je suis c’est encore plus délectable ! L’exposition qui ouvre aujourd’hui est en fait le fruit d’un travail de plusieurs années. J’avais en effet découvert Harold Feinstein il y a environ 3 ans, un peu par hasard, grâce à une vidéo du journaliste Ted Forbes dans laquelle il présentait le fabuleux destin de ce photographe hors pair. Je suis immédiatement tombé amoureux de ces images et j’ai cherché à le contacter. J’étais alors commissaire d’exposition indépendant, et je me disais que monter une exposition de son travail chez l’un de mes clients corporate serait intéressant. Puis en poursuivant mes recherches sur ce personnage, son parcours, son œuvre, recherches ponctuées de discussions avec son épouse Judith Thompson, je me suis rapidement rendu compte que sa place était dans un musée et non dans une entreprise. Judith et moi avons alors décidé d’attendre que vienne une opportunité plus adéquate. Entre temps, Harold décéda … Pris d’un tel regret de ne pas avoir pu lui rendre hommage de son vivant, et ayant alors commencé à travailler sur le projet de la galerie, je me suis promis de le faire dès que j’aurais un lieu digne de son oeuvre. C’est désormais chose faite !
M : Cette exposition présentant les œuvres des années 40 et 50 est le premier chapitre d’une rétrospective qui sera composée de plusieurs expositions. Pouvez-vous nous présenter cette première partie et nous dévoiler ce que nous retrouverons dans les prochaines expositions ?
 
T. B. : Lorsque je suis allé à Boston pour sélectionner les clichés qui pourraient faire partie d’une exposition, je m’étais mis en tête d’en choisir 15. Une fois sur place, quelle ne fut pas ma surprise ! Chaque photographie qui passait entre mes mains était un chef d’oeuvre. Je me suis donc vite résolu à faire plusieurs expositions. Nombreux sont les photographes qui peuvent avoir photographié toute une vie, mais lorsque l’on se retrouve devant l’oeuvre d’un tel maître, face à 60 ans de clichés tous aussi incroyables que les autres, on se doit de tout faire pour mettre en lumière ce travail.
Il faut bien comprendre qu’Harold Feinstein est une légende. Il a à peine 19 ans lorsque Edward Steichen achète l’une de ses photographies pour l’intégrer dans la collection permanente du MOMA ! S’ensuivent alors une carrière incroyable, des collaborations fructueuses avec notamment Eugène Smith pour qui il va faire tout le sequencing du célèbre « Pittsburg Project », une association avec Sid Grossman et son « Photo League », ainsi que de très nombreuses expositions en galeries mais également dans d’importants musées aux Etats-Unis. Puis il a continué à photographier toute sa vie, décennie après décennie. J’ai tout de suite senti que l’approche chronologique était la bonne, car il convient de raconter une histoire qui s’étend sur une très vaste période et de montrer à quel point Harold fut le témoin de nombreuses époques. Cette première exposition couvre donc une quinzaine d’années, ses jeunes années, de 1946 (lorsqu’il débute à l’âge de 15 an) jusqu’en 1959. Le deuxième volet de cette rétrospective, qui aura lieu l’année prochaine, se penchera sur les années 60, 70 et 80. Puis, j’espère que j’aurai la chance d’en faire une troisième pour dévoiler son travail en couleur et les nombreuses expérimentations qu’il entreprit durant sa vie. C’est lui notamment qui a inventé la scanographie !
M : Qui est à l’origine du titre de cette exposition « Les années 40 et 50 : L’optimisme Contagieux » et pourquoi ? 
 
T. B. C’est discutant avec son épouse et en l’écoutant me raconter son histoire, que ce titre m’est venu. Il traduit je crois, toute la philosophie de vie d’Harold Feinstein, sa façon de voir le monde et par là-même sa façon de le photographier. Il m’a semblé par ailleurs plus qu’opportun, dans le monde dans lequel on vit en ce moment, de montrer des images « en décalage », des images positives certes mais qui ne furent pas prises dans un monde tendre, loin s’en faut. Il me semblait important de montrer que quels que soient les défis et les menaces auxquels on doit faire face, quels que soient les doutes et les peurs qui nous habitent, nous pouvons toujours regarder le monde de cette façon aujourd’hui.
Décryptage de la photographie « Two boys on pier, 1950 »
Harold Feinstein, « Two boys on pier, 1950 ». Courtesy Galerie Thierry Bigaignon

Harold Feinstein, « Two boys on pier, 1950 ». Courtesy Galerie Thierry Bigaignon

Cette image est emblématique et iconique. Emblématique car elle traduit parfaitement sa vision, son incroyable modernité et sa façon de photographier. Lorsqu’à 19 ans il prend cette photographie et décide de la recadrer à ce point, il fait preuve d’un sens aigu de la composition et d’une réelle liberté. Il ne s’embarrasse d’aucune règle, il veut montrer le monde tel qu’il le voit, et c’est ce qu’il continuera à faire durant 60 ans ! Cette photographie est également iconique, car c’est celle-ci qu’achètera Edward Steichen en 1950. Elle entre alors dans les collections permanentes du MOMA et Harold établit ainsi un record, celui du plus jeune photographe à entrer au MOMA. Il détient à ma connaissance toujours ce record ! C’est une photographie historique, que tout collectionneur qui se respecte doit avoir.
Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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