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Cinq histoires de famille
Entretien avec Sylvie Hugues

Temps de lecture estimé : 5mins

Le 6 avril, l’Hôtel de Sauroy accueille cinq femmes photographes autour d’une thématique commune, celle des histoires de famille. Une exposition intitulée « Cinq histoires de famille » réunissant cinq auteures éditées par les éditions Filigranes. À cette occasion, 9 Lives magazine vous propose – tout au long de cette semaine – de rencontrer chacune des artistes exposées et de plonger dans leurs histoires familiales respectives. Aujourd’hui, c’est au tour de Sylvie Hugues ne nous présenter « El Pueblo ». Dans ce travail, elle livre une part de son histoire personnelle, celle de l’assassinat de sa mère par son beau-père mêlant albums de famille et clichés récents. Pour l’exposition, son histoire se dévoile à travers 14 cadres, comme les 14 stations du chemin de croix.

Quelle est votre première rencontre avec la photographie ?

J’ai l’impression que la photo et moi, nous nous connaissons depuis toujours, et que n’avons pas eu besoin d’être présentées. C’est une compagne de vie. Mais tout bien réfléchi peut-être que la rencontre véritablement sérieuse avec la photographie s’est opérée d’abord par le cinéma. J’ai moins de 10 ans lorsque je vois «Johnny’s got his gun » de Dalton Trumbo, une révélation esthétique ! Je suis fascinée par les images en noir et blanc, la façon dont est éclairée la chambre d’hôpital du soldat Joe Bonham . Puis ce sera « M le Maudit » de Fritz Lang, la « Nuit du Chasseur » de Charles Laughton, Bunuel, Antonioni, les films noirs américains… A 18 ans mon père me vend son appareil photo. Le diaph est bloqué à pleine ouverture, je vais photographier à 2,8 pendant des mois, j’adore le résultat… Puis, étudiante et fauchée, je vais faire ma culture photo grâce aux galeries de la Fnac, aux PhotoPoche et
à la carterie (un magasin en face de Beaubourg) où j’achète des cartes postales avec des images de Claude Batho, Bernard Plossu, Raymond Depardon…

Dans quel contexte et comment avez-vous décidé d’entamer cette série ?

Fin 2014 je suis virée brutalement de la revue pour laquelle je travaillais comme rédactrice en cheffe. La violence du licenciement me fait m’évanouir. Au retour de l’hôpital, en ouvrant la porte de mon domicile, je trouve un petit carton avec les seules affaires que je vais pouvoir récupérer de mes 23 ans passés à la rédaction. Cette vision me replonge dans le cauchemar vécu en juin 1978 où, à la descente du car scolaire, on m’annonce l’assassinat de ma mère.
Je croyais avoir réglé cette histoire et voilà que le traumatisme resurgit. Je décide alors de revenir en Espagne, retrouver les personnes encore vivantes, mener une enquête en photographie et en textes pour exorciser les démons du passé. J’ai longtemps hésité à rendre mon histoire publique… En quoi pouvait-elle intéresser les autres ? Je craignais de paraître impudique et ne souhaitais pas inspirer la pitié. Mais j’ai senti que c’était nécessaire comme un élan vital, en priorité pour mon fils. Je suis la dernière dépositaire de cette histoire, et voulais lui laisser ce témoignage pour qu’il puisse avoir des réponses le jour où il se poserait des questions.

Comment avez-vous décidé de traiter ce sujet?

Mon projet, d’abord intitulé « El pueblo » a été pensé pour devenir un livre. Remporter le prix de la Fondation des Treilles en 2019 m’a permis d’avancer en numérisant les images des deux albums de famille et quelques documents en ma possession. J’ai eu aussi du temps pour écrire au calme. Pas assez hélas, car l’écriture demande une disponibilité totale à soi-même. Aussi, j’ai été prise de panique quand la Fondation des Treilles m’a proposé d’exposer le travail. Comment « mettre au mur » cette histoire ?
Comment faire en sorte que les spectateurs comprennent ? Comment matérialiser les absents, les morts ? Il était évident qu’il fallait des légendes un peu longues pour accompagner les photos extraites des albums. Des textes factuels, sans pathos. L’idée m’est venue de raconter l’histoire en 14 cadres, comme les 14 stations du chemin de croix. J’ai vécu en Espagne pendant la fin du franquisme, où la religion était encore toute puissante. Ensuite, c’est en échangeant avec Flore, avec qui j’anime une masterclass, que nous avons fini par trouver la forme définitive. Pour résumer, l’exposition se compose de deux parties : 14 cadres 24×30 (photos et textes), plus des images que j’ai réalisées dans ce village espagnol où j’ai vécu de 6 à 12 ans. Le livre, à paraître au mieux fin 2022, réunira de nombreux textes, des documents, des images issues des albums plus mes photographies.

En abordant le thème de la famille dans votre série, pensez-vous que la photographie joue un rôle de thérapie ?

Dans mon cas, c’est évident. Ce n’est pas par hasard que je suis devenue photographe et que je travaille dans le milieu de la photographie en étant au service des photographes. La seule chose que je vais pouvoir conserver de mon enfance en Espagne, ce sont deux albums de famille… Et ce sera grâce aux images contenues dans ces albums que je réussirai à enquêter sur cette tragédie, retourner en Espagne pour y réaliser des photographies, retrouver les protagonistes de l’histoire, tenter de recoller les pièces du puzzle et essayer de comprendre ce qui s’est passé…

Hormis la thématique, y a t-il un lien qui vous rassemble toutes les cinq ?

Un lien fort puisque nous sommes toutes les cinq chez le même éditeur, Filigranes. C’est d’ailleurs Patrick Le Bescont qui a eu l’idée de cette exposition, j’en profite pour lui exprimer ma gratitude puisqu’il m’a permis de mieux connaître quatre photographes brillantes et très attachantes.

INFORMATIONS PRATIQUES

mer06avr(avr 6)15 h 00 mindim17(avr 17)20 h 00 minCinq histoires de famillecinq regards — cinq artistesHotel de Sauroy, 58 Rue Charlot 75003 Paris

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Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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