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Nous terminons cette visite guidée sonore avec Claire Pathé, membre du comité artistique de nous dévoiler une partie de la programmation de la douzième édition du Festival Circulation(s). Manifestation dédiée à la jeune photographie européenne qui accueille, jusqu’au 29 mai prochain, une trentaine d’artistes au 104 – CENTQUATRE, à Paris. Cette semaine, chaque jour, une curatrice est venue nous présenter l’ensemble des projets exposés.

Alexandra Dautel
May You Continue to Blossom

© Alexandra Dautel

Je commence par vous présenter Alexandra Dautel, photographe française née en 1996 à Paris. Elle a passé une licence de photographie à l’ECAL en Suisse et elle utilise principalement la photo comme un outil de recherche. Elle aime particulièrement enquêter sur la structure du pouvoir, les manipulations mentales et les nouveaux modes de vie. Sa série intitulée « May You Continue to Blossom » a été éditée chez CPress en 2021. Il s’agit d’une investigation qu’Alexandra a réalisée en Israël. Elle s’est rendue dans le kibboutz du Neot Semadar basé dans le désert du Néguev. Ce lieu a une architecture très singulière, visuellement très attrayante, très colorée, avec des formes intrigantes. C’est ce lieu qui a été le vrai point de départ de ce travail. Une fois sur place, elle s’est rendue compte qu’il y avait une vraie communauté qui y vivait et elle a eu envie d’en savoir plus et de comprendre ce qu’il s’y passait. Malheureusement l’accueil n’a pas été celui attendu, et elle n’a pas eu la possibilité de rentrer en contact avec les gens qui y vivaient. Elle ne sera restée sur place que le temps d’un week end, mais une fois rentrée chez elle, le covid et le confinement sont arrivés et Alexandra a décidé de continuer ses recherches sur ce kibboutz grâce à internet.

© Alexandra Dautel

Images d’archives

Elle a réussi à entrer en contact avec des gens qui ont vécu dans ce kibboutz il y a plusieurs années, mais aussi avec des gens qui y vivent actuellement. Elle a ainsi pu recueillir leurs témoignages. Il en résulte une réelle dichotomie entre ce que disent ceux qui ont vécu dans ce kibboutz et ceux qui y vivent aujourd’hui. Ces derniers le décrivent comme un endroit utopique, de bonheur et de liberté, alors que ceux qui en sont sortis témoignent d’un vrai cauchemar. Ils parlent de cette communauté comme d’une secte dirigée par un gourou et ont la sensation d’avoir été victimes d’abus en tout genre. Certains ont été abusés psychologiquement, d’autres ont été violentés physiquement, par des abus sexuels. Alexandra a été surprise d’un tel écart de versions. Elle a donc décidé de pousser plus loin son enquête sans jugement. Au sein du festival, elle partage une partie de son enquête en mettant au mur à la fois ses propre photos mais aussi des photos d’archives envoyées par ceux qui ont vécu dans le kibboutz. Elle a également retrouvé des interviews et des images du fameux gourou, dont elle a fait des captures d’écran qu’elle joint à l’exposition.

Dominique Fleischmann
Algernon’s Flowers

Algernon’s Flowers 2019-2021 © Dominique Fleischmann

Dominique Fleischmann est né en Allemagne en 1989, il est à la fois photographe et écrivain. Aujourd’hui, il vit à Helsinki et son travail explore le lien entre les hommes et la nature. Il aime inspirer son travail de récits naturalistes, éco-féministes ou de poésies. D’ailleurs, la série que nous présentons, Algernon’s Flowers, est tirée d’un livre qui s’appelle « Flowers for Algernon » de Daniel Keyes mettant en avant l’expérience commune d’un rat et d’un homme qui vont être les cobayes de la science pour essayer d’accroître leur intelligence. En s’appuyant sur cet ouvrage, Dominique a choisi de témoigner de la vie des souris et des rats utilisés au nom de la science et de mixer des images d’animaux de laboratoire et de fleurs fanées. À travers ce comparatif, il espère ouvrir un dialogue sur les problèmes d’éthique qui accompagnent ces expérimentations sur les animaux dans les laboratoires. Il y a une réelle maltraitance qui s’opère et Dominique a souhaité leur rendre hommage en nous faisons prendre conscience que ces animaux sont sacrifiés et que toute vie est sacrée.

Ana Nuñez Rodriguez
Cooking Potato Stories

© Ana Nuñez Rodriguez

Ana Nuñez Rodriguez est une photographe née en 1984 qui vit entre l’Europe et la Colombie. Elle a étudié la photographie à l’IDEP de Barcelone, a obtenu un master en photographie documentaire à l’université colombienne et a étudié aux Beaux-Arts de La Haye, aux Pays-Bas. Elle a ce parcours d’études très singulier qui correspond à son parcours de vie. Ana a décidé de nous parler de la pomme de terre à travers une série qu’elle a appelée Cooking Potato Stories. Qu’est ce que la pomme de terre ? Qu’est ce que la pomme de terre raconte de nous ? Quel est le lien entre ce légume et certaines identités nationales ? C’est en partant de ces questions qu’Ana a construit sa série. Elle a choisi de suivre le parcours de la pomme de terre, de l’Amérique latine à l’Europe, parcours qui est aussi celui d’Ana dans sa vie personnelle. Et à travers cette étude, elle a voulu mettre en avant les questions autour des rapports de pouvoir et de colonisation. Sa série contribue à ouvrir un regard décolonial sur l’histoire et à créer une nouvelle mémoire collective à travers cette question de qui a conquis qui ? C’est un travail qui a un très grand corpus d’images, nous n’en exposons qu’un extrait.

Ali Saltan
Araf

© Ali Saltan

© Ali Saltan

Ali Saltan est un photographe turc né en 1982, il a étudié la sociologie à l’université des Beaux-Arts de Mimar-Sinan à Istanbul, il a également un master en études de genre de l’université d’Ankara. Son travail tourne autour des notions de frontières, d’identités et de migration sous le prisme géopolitique et culturel. Et c’est dans cette démarche qu’Ali est parti à la rencontre de réfugiés afghans qui vivent aujourd’hui en Turquie pour mener sa série intitulée Araf – qui signifie les limbes. Aujourd’hui, on compte à peu près un million de migrants afghans sur le territoire turc. Ils ont fui leur pays à cause de la guerre civile, certains attendent depuis plus de dix ans, d’autres ont perdu leur famille, certains sont morts… Une partie d’entre eux arrivés mineurs sont aujourd’hui devenus adultes, ils n’ont pas été à l’école et n’ont pas reçu d’éducation, ce qui les amène à faire face à une pauvreté et une précarité extrême. Ce qui est étonnant quand on va à leur rencontre, c’est qu’ils gardent encore l’espoir, ils vivent dans l’espoir d’une vie meilleure. À travers ce travail, Ali nous raconte que tous ces réfugiés afghans sont coincés dans les limbes en attendant l’accès au paradis…

Sari Soininen
Transcendant Country of the Mind

© Sari Soininen

Sari Soininen est une photographe finlandaise née en 1991, elle est diplômée de l’Institut de design de Lahti. Elle a débuté sa carrière en tant que graphiste et photographe, avant de se concentrer totalement sur sa pratique artistique en 2019 en faisant son entrée à l’UWE de Bristol. Sa série s’appelle Transcendant Country of the Mind, et elle témoigne de sa propre expérience. À l’âge de 20 ans, Sari prenait régulièrement du LSD à de très fortes doses. Ce LSD l’a amenée vers une réalité parallèle, mais malheureusement, cette réalité a fini par l’enfermer et l’a menée à une crise psychotique. Cette crise lui a donné la sensation qu’elle avait été appelée par Dieu et qu’elle était devenue son élue. Elle avait la sensation d’appartenir à une forme de caste, qu’elle était d’une certaine manière au dessus du monde, au dessus des autres et dans une autre réalité que la nôtre. Cela a été difficile pour Sari de rejoindre notre réalité mais une fois cet épisode psychotique surmonté, elle a décidé de traduire en images ses visions. Elle partage donc avec nous cette expérience de deux mondes parallèles. Ce travail photographique a permis à Sari de mettre un point final à cette période de sa vie et de se détacher de cette expérience qui a été pour elle aussi bien traumatique que révélatrice.

Tytus Szabelski
AMZN

Tytus Szabelski

Pour finir, je vous présente Tytus Szabelski, polonais né en 1991, à la fois photographe, plasticien et commissaire d’exposition. Titus a une licence en journalisme et communication sociale, il a également un master en photographie et un doctorat à l’Université des arts de Poznań en Pologne. Il nous présente une série intitulée AMZN, un projet photo sur Amazon. En 2018, Tytus choisi de se faire embaucher par le géant du e-commerce pour entamer une sorte de mission d’infiltration afin de mener son enquête et d’avoir une vision de l’intérieur. Il a commencé ce projet qui est une œuvre multimédia aux multiples volets. Par ce travail, Titus met en lumière le fonctionnement d’Amazon et les conditions de travail de ses employés. Le PDG d’Amazon, Jeff Bezos, a créé Amazon comme une société interne et en s’y introduisant comme salarié, Tytus s’est aperçu que cette société ressemblait beaucoup à la nôtre et que derrière les murs de ces énormes bâtiments sans fenêtre se cachent l’exploitation, mais aussi l’inégalité des richesses, l’inégalité des connaissances et de l’influence. Ce projet pose la question : Amazon n’est il pas simplement le miroir de notre propre société ?

https://www.festival-circulations.com/

RENDEZ-VOUS…
12ème édition du Festival Circulation(s) : Visite guidée par Clara Chalou (lundi 4 avril)
– 12ème édition du Festival Circulation(s) : Visite guidée par Marie Guillemin (mardi 5 avril)
12ème édition du Festival Circulation(s) : Visite guidée par Emmanuelle Halkin (mercredi 6 avril)
12ème édition du Festival Circulation(s) : Visite guidée par Carine Dolek (jeudi 7 avril)

INFORMATIONS PRATIQUES

sam02avr(avr 2)14 h 00 mindim29mai(mai 29)19 h 00 minCirculation(s) 2022Festival de la Jeune Photographie Européenne104 – CENTQUATRE Paris, 5 Rue Curial, 75019 Paris

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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