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Cette semaine nous accueillons, Anna Grumbach, historienne de l’art, spécialiste de photographie, doctorante à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et commissaire d’exposition, comme invitée de la semaine. Pour sa deuxième carte blanche, elle a choisi d’évoquer la disparition systémique des œuvres et des noms des femmes photographes. Si des grandes expositions comme « Qui a peur des femmes photographes » ou des ouvrages tels que « L’Histoire mondiale des femmes photographes » nous ont permis d’ouvrir les yeux sur toutes les œuvres à exhumer, un grand nombre de femmes disparaissent, alors qu’elles étaient il n’y a pas si longtemps, collectionnées, exposées et publiées…

Maryvonne Gilotte, Eva Klasson, Monique Tirouflet, Gladys; les connaissez-vous ?

Ces photographes pour la plupart oubliées aujourd’hui avaient, au cours des années 1970, été collectionnées, publiées, exposées au sein d’institutions d’envergure, de la BnF au MAMVP, en passant par les revues établies comme Zoom ou engagées tel Contrejour.
Ces noms ayant côtoyés les mêmes cercles et rouages que leurs confrères masculins n’ont finalement connu qu’une reconnaissance éphémère.

La « longue tradition de discrédit » telle que l’ont développées Luce Lebart et Marie Robert au sein de l’Histoire mondiale des femmes photographes (2020), aurait pu être dépassée au cours des années 1970, à l’heure de l’émergence des mouvements féministes.
Mais au-delà des circuits traditionnels, insuffisants à leur reconnaissance, les photographes semblent trouver un moyen alternatif à leur légitimation. Parmi les diverses initiatives des années 1970, la revue Sorcière. Les femmes vivent*, créée en 1975 par Xavière Gauthier, devient un moyen de diffusion de leurs productions dans un cadre militant.

« Je voudrais que Sorcières soit un lieu ouvert pour toutes les femmes qui luttent en tant que femmes, qui cherchent et disent (écrivent, chantent, filment, peignent, dansent, dessinent, sculptent, jouent, travaillent) leur spécificité et leur force de femme. »
Xavière Gauthier
Edito, Sorcière, n°1, 1975.

Cette publication, inscrivant au cœur de son projet la promotion de plasticiennes, porte ainsi un double enjeu : celui de la représentation minorée des femmes photographes et de l’autre, la valorisation du médium en tant qu’art.

*entièrement numérisée sur Perséïdes.

(La pauvre qualité de certaines images s’explique par la numérisation des photographies issues de la revue)

Catherine Deudon (1940, Orléans)
Proche des mouvements féministes des années 1970, Catherine Deudon incarne la figure de la photographie militante. Si ses photographies des manifestations et réunions du MLF lui ont permis d’accéder à une certaine reconnaissance (la plupart sont consultables au Centre d’archives du Féminisme à Angers), la revue Socières a fait cependant le choix de publier certaines de ses images qui à mon sens s’inscrit dans un ensemble de productions de l’époque jouant sur l’aléatoire, la flânerie urbaine, la banalité d’un coin de rue, comme pour finalement sacraliser (peut-être inconsciemment) par ce qu’il y a de plus prosaïque le médium photographique.

> Catherine Deudon, Un mouvement à soi : images du mouvement des femmes, 1970-2001, Paris, Syllepse, 2003.

Photo de Catherine Deudon (n°20, 1980, p.71), ©Catherine Deudon

Photo de Catherine Deudon (n°20, 1980, p.56), ©Catherine Deudon

Maryvonne Gilotte (1940, Paimpol – 2012, Bordeaux).
Dessinatrice, peintre et sculptrice, le parcours photographique de Maryvonne Gilotte reste en quelques sortes un mystère. Présente dans les collections du MNAM, de la BnF, de nombreux FRAC, ses photographies démontrent une véritable maîtrise et ses publications au cours des années 1970 illustrent sa présence dans les différents cercles engagés. Ses travaux naviguent entre autoportraits, paysages, jeux d’ombres et de lumières, jouant sur l’insolite et les transparences.

Pour consulter les collections qui l’ont acquise : cliquez-ici

Photo de Maryvonne Gilotte (n°11, 1978, p.34) ©droits réservés

Photo de Maryvonne Gilotte (n°11, 1978, p.7) ©droits réservés

Gladys (Oran, 1950)
Dès 1980, le Château d’Eau de Toulouse lui dédie une exposition et elle obtient en 1989 le Prix Nièpce qui lui vaudra d’être exposée au Centre national de la Photographie (alors au Palais de Tokyo) dirigé par Robert Delpire.Elle est présente dans de nombreuses collections et organise actuellement sa donation à la Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie.
Comme de nombreux photographes de l’époque, le voyage aux États-Unis est un passage obligé. Par cette image, l’influence de la street photography américaine est notable, mais la robe de mariée trônant en vitrine, sa présence presque fantomatique accentuée par les reflets de la ville, invite à un au-delà imaginaire.
http://gladys.fr

Photo de Gladys (n°17, 1979, p.59), ©Gladys, Les mariés de la nuit

Eva Klasson (née en Suède, 1947) :
Établie en France en 1970, les travaux d’Eva Klasson ont été sélectionnés par Michel Nuridsany pour son exposition ayant fait date dans l’historiographie: Tendances actuelles de la photographie en France, en 1977 au MAMVP. À ses côtés, John Batho, Daniel Boudinet, Bruno Réquillart, Keiichi Tahar mais également les désormais inconnues Marie Ponthus et Monique Tirouflet (toutes deux présentes dans les collections du MNAM et de la BnF). Une thèse en 2013 lui a été dédiée (en suédois.. ici), mais celle-ci semble avoir abandonné sa carrière de photographe. L’aspect surréalisant de ses travaux, les gros plans jouant sur la matérialité de son corps, invite à questionner le regard d’une femme sur sa propre anatomie.

Photo d’Eva Klasson (n°8, 1977, p.54) © droits réservés

Photo d’Eva Klasson (n°8, 1977, p.53) © droits réservés

La Rédaction
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