Temps de lecture estimé : 9mins

Les éditions de l’épair portées par Sandy Berthomieu et Soraya Hocine annoncent la sortie prochaine de l’ouvrage consacré à Marie Maurel de Maillé et disponible en précommande. À cette occasion, Frédéric Martin a rencontré la photographe pour nous parler de ses deux séries « Holy Flesh » et « Inconnues de la Scène ». Nous avions fait connaissance avec ces travaux l’an passé à l’occasion de la carte blanche de Soraya Hocine, nous vous proposons aujourd’hui de découvrir Marie Maurel de Maillé et son travail dans cet entretien.

Qui êtes-vous Marie ?
Je suis devenue photographe presque « par hasard », on pourrait dire qu’à un moment c’est la photographie qui s’est imposée à moi, je l’ai d’abord approchée par tâtonnements, elle a été mon alliée, avant d’être ma discipline principale.
En effet, j’ai suivi un cursus aux Beaux-Arts de Saint-Etienne durant lequel j’ai travaillé avec différents médiums, mais la photographie n’était pas nécessairement celui que je privilégiais. Je m’y intéressais, mais je ne me sentais pas impliquée complètement. Il me servait dans des installations, à la fois comme support et comme traces de performances, mais n’était pas utilisé en tant que fin en soi. J’ai été l’élève de François Méchain (qui m’a beaucoup soutenue) et je m’inscrivais dans une photographie dite « plasticienne ».
Après mes études je me suis retrouvée sans atelier et peu à peu la photo s’est imposée presque par la force des choses, je me suis enfin risquée à la pratiquer de manière autonome.

Je pense à un projet qui me semble fondateur de ma démarche : C’est un travail intitulé  Prière d’emporter qui m’a permis d’expérimenter de plein fouet la notion de photographe et de modèle.
J’avais passé une annonce où je cherchais des personnes qui accepteraient que je photographie leurs cicatrices. Je me suis soudain retrouvée en face d’inconnus, la plupart, dévêtus, dans l’espace particulier du studio photo avec une proximité très resserrée puisque j’utilisais un objectif macro. Il y a eu cette tension entre désir et embarras, concentration et trouble et le boîtier de l’appareil a été pour moi autant un rempart qu’une cuirasse ! Il m’a tout autant servi à casser qu’à créer une distance entre mes modèles et moi.
Depuis, je m’interroge beaucoup sur le statut, le rôle, du modèle et du photographe et leur relation.

Marie Maurel de Maillé / Editions de l’épair

Marie Maurel de Maillé / Editions de l’épair

Holy Flesh… D’où vient ce titre énigmatique ?
À l’origine, le titre était en français, « Chairs saintes », mais à l’oral, on pouvait confondre chèr.e/chair/etc). Et puis j’appréciais beaucoup la sonorité du mot anglais flesh, et comme tu le soulignes, l’adjectif Holy est très utilisé en anglais, et signifie à la fois béni, sacré, saint… Donc Holy flesh avait un sens plus vaste et aussi plus actuel par rapport à un sujet plutôt suranné qu’est la peinture religieuse.
Ce travail est né de ma fascination pour l’hagiographie et notamment la représentation sexualisée qui a pu être faite des saintes et des martyres. Il y a une ambiguïté entre ce qui est représenté (une sainte), et la façon dont elle est représentée ; le corps est souvent très érotisé, les poses lascives. L’extase sexuelle se rapproche de l’extase mystique, même en termes de langage, le vocabulaire est le même. Le transport mystique, vécu dans la chair, se donne à voir de manière érotique.
Dans le livre de Jacques de Voragine, la Légende dorée, il m’est apparu qu’il y avait quelque chose de particulièrement ambigu entre ces femmes qui avaient fait vœux de virginité, de chasteté et qu’on châtie pour avoir fait ce choix ; elles étaient envoyées au lupanar par leurs détracteurs, on torturait leurs attributs sexuels (Sainte Agathe se fait arracher les tétons, du lait coule de la blessure de Sainte Catherine décapitée…). Les orgies, la débauche sexuelle, étaient un « passage obligé » pour accéder au salut.
Je me suis donc interrogée sur comment notre époque s’approprierait ce sujet, cette représentation des saintes. Par une série d’autoportraits photographiques, aux cadrages serrés, je remets en scène cette possibilité-là, et cette imagerie. Je joue aussi sur des doubles sens : d’une part la dichotomie entre le modèle et le créateur, d’autre part entre la volupté et la sainteté sacrificielle. Il y a aussi ici un jeu d’actrice, l’incarnation d’une figure, puisque les personnages ne sont jamais identifiés, ni identifiables vraiment. Comme dans les figures peintes dont on ne connait pas les modèles, alors qu’on sait, par exemple, comme chez Le Caravage que ce furent des prostituées.

Marie Maurel de Maillé / Editions de l’épair

Marie Maurel de Maillé / Editions de l’épair

De l’eau et des actrices oubliées : qui sont ces Inconnues de la Scène ?
Les Inconnues de la Scène est née d’une collaboration avec Eric Rondepierre.
Il avait collectionné des milliers de photogrammes issus de vieux films en noir et blanc et un jour j’ai décidé de les regarder, par curiosité, mais aussi pour voir ce qu’il était possible d’en faire. Peu à peu ont émergé des visages de femmes en plans serrés. C’étaient des actrices maintenant oubliées, des seconds rôles qui ont peut-être eu une certaine célébrité à leur époque, mais que la nôtre, a totalement délaissé.
Depuis longtemps je voulais travailler sur la légende de l’Inconnue de La Seine, cette jeune femme anonyme, retrouvée morte dans la rivière aux environs des années 1870, et j’avais déjà réalisé un grand nombre de photographies d’eau : de torrents, de mers, de rivières, de lacs etc. mais ne savais pas encore quoi en faire. Le flux des images d’actrices et celui des surfaces liquides se sont entremêlés, et j’ai commencé a amalgamer les images entre elles. Il ne s’agit pas de simples superpositions, mais plutôt d’enchevêtrements, de fusion d’images. A force de voir ces portraits d’inconnues, de personnages incarnés, mais sans corps, elles me sont devenues familières, et je leur choisissais un élément aquatique qui pouvait convenir à l’histoire que je m’étais inventée.
Le flux est toujours lié au mouvement et la photo à l’arrêt. Pour moi, c’était d’une certaine manière, une façon d’arrêter les flux, si l’on peut dire. En même temps, je redonnais une existence beaucoup moins fantomatique à ces femmes inconnues. Je pense que cette idée peut être reliée à l’universalité des figures de l’Actrice et de la Sainte. Ce sont avant tout, pour nous, des représentations, et c’est comme telles qu’elles m’intéressent. L’Actrice, malgré tout, reste anonyme même si son image circule encore. Elle a un visage mais elle n’a pas de nom. D’où le titre de la série et le jeu sur l’homophonie du dernier mot.

Comment est né le projet de livre ?
Sandy Berthomieu et Soraya Hocine, les deux fondatrices des éditions de l’épair dont la ligne artistique s’attache à la matérialité des images, m’ont proposé de publier Les Inconnues de la Scène. J’ai suggéré que l’on y associe Holy Flesh, une série inédite, qui fonctionnait bien de façon formelle (une de mes rares séries en noir et blanc), mais aussi qui faisait écho par le propos.
La question de la forme s’est longuement posée : est-ce que nous allions faire un livre-objet, un coffret avec deux livres… ? Nous avons finalement opté pour un livre chapitré comme un recueil de nouvelles. Nous avons fait le choix d’une couverture sans titre, chacune des séries étant à la fois autonome et imbriquée.
Nous avons beaucoup travaillé le choix des papiers, leur texture, la transparence, la couleur, qui jouent à la fois le rôle d’intercalaires et d’enveloppes, qui dévoilent autant qu’ils cachent l’image imprimée. Nous avons aussi voulu renforcer le côté tactile de l’objet, la page tournée est comme une caresse, un effeuillage.
Le rythme de lecture est plus lent, laisse le temps aux images d’apparaître, une à une, de se dévoiler aux yeux du lecteur, qui peut se constituer sa propre fiction.

Des actrices, des saintes, des femmes. Votre travail est-il féministe au sens politique du mot ?
Initialement, il n’ y a pas de volonté de revendication féministe. C’est plutôt un intérêt pour les figures oubliées, méconnues ou disparues qui m’anime. Mais de fait, la plupart d’entre elles se trouvent être des femmes…
Par exemple dernièrement lors d’une résidence à La Rochelle je me suis intéressée aux « filles du Roy », ces 800 jeunes femmes envoyées entre 1663 et 1673 en Nouvelle-France (territoire d’Amérique du Nord, sous administration du royaume de France) pour peupler la colonie. Elles étaient expédiées sur ordres de Colbert et dotées par Louis XIV afin de se marier, de fonder des familles. En France assez peu de personnes connaissent ce pan d’histoire, alors qu’au Québec elles sont appelées les « mères de la nation », chaque québécois qui fait son arbre généalogique en compte au moins une !

Et demain ?
Mon exposition  Faire voile  à La Rochelle au Carré Amelot jusqu’au 10 juin.
La semaine de l’image à Brive du 28 avril au 14 mai, où je fais dialoguer mes photographies avec les collections du Musée Labenche, je montre également la série des Inconnues de la Scène à l’Empreinte, scène nationale Brive-Tulle.
Et bien sûr la parution de mon dernier livre au éditions de l’épair avec les séries Holy flesh et les Inconnues de la Scène !

Pourquoi cet intérêt pour les personnages oubliés ?
Il est plus facile de redonner corps au mystère, au secret, quand on n’a pas de repères, et peu de traces.
Et puis je crois que j’aime enquêter, une curiosité liée certainement à l’enfance où l’on aime se « faire des films ».
Enfin, c’est une façon, sans doute, de réparer quelque chose, une injustice, par exemple.

https://editions-de-lepair.sumupstore.com/article/precommande-livre-marie-maurel-de-maille

INFORMATIONS PRATIQUES

mer08mar(mar 8)14 h 00 minsam10jui(jui 10)19 h 00 minMarie Maurel de MailléFaire VoileLe Carré Amelot, 10 bis rue Amelot 17000 La Rochelle

A LIRE
Carte blanche à Soraya Hocine : Sommes-nous tous des rêveurs ? Marie Maurel de Maillé une vision surréaliste

Frédéric Martin
Frédéric Martin est photographe, son travail questionne l'intime, la relation à l'autre. Il a publié l'Absente chez Bis Éditions. Frédéric Martin écrit aussi des chroniques de livres de photographies dans lesquelles il cherche à valoriser tout autant le travail du photographe que l'objet livre. Elles sont à lire sur son site : www.5ruedu.fr

You may also like

En voir plus dans L'Edition