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Depuis le 1er avril, le Parc et le Château de Chaumont-sur-Loire accueille de nouveau une quinzaine d’artistes internationaux à l’occasion de l’édition 2023 de la Saison d’Art. Les œuvres polymorphes sélectionnées se déploieront sur l’ensemble du domaine jusqu’au 29 octobre pour célébrer la nature. Ambiance de conte de fées, mystère et fiction poétique sont donc au rendez-vous de cette nouvelle Saison d’Art de Chaumont-sur-Loire. Chantal Colleu-Dumond, commissaire des expositions, a répondu aux questions de Marie-Elisabeth de la Fresnaye.

Chantal Colleu-Dumond Directrice Domaine de Chaumont-sur-Loire, commissaire des Saisons d’Art © François CHRISTOPHE

Comment définiriez-vous cette nouvelle Saison d’Art ?

L’édition 2023 nous entraîne dans un monde onirique et envoûtant, résolument fantastique. Inspirés par les formes minérales, végétales, animales et anthropomorphes, dessins, peintures, sculptures et installations dessinent un parcours inédit dans les espaces d’exposition comme dans le Parc historique, particulièrement honoré cette année.

La grande rétrospective d’Alechinsky dans les Galeries Hautes du Château nous emmène tout d’abord dans l’univers fascinant de l’oeuvre sur papier de l’artiste.

C’est aussi l’univers des livres que célèbre Stefan Râmniceanu, avec des oeuvres sises dans la Galerie basse, le Vestibule et la Salle de billard.

L’éminent artiste coréen Lee Ufan a tiré, quant à lui, “un fil infini” et mystérieux dans les profondeurs de la Tour du Roi, tandis que Pascal Convert a déposé de somptueux et fantomatiques candélabres immaculés sur la table de la salle à manger de la princesse de Broglie.

L’Ultime Métamorphose de Thétis installation de Grégoire Scalabre au Domaine de Chaumont-sur-Loire, 2023
© E. Sander

Les céramiques enchanteresses et virtuoses de Grégoire Scalabre ont pris place, quant à elles, dans trois espaces des Écuries du Domaine, alors que les délicats envols blancs de l’artiste irlandaise Claire Morgan ensorcellent la Grange aux Abeilles.

Etre seul avec toi / To Be Alone With you installation de Claire Morgan au Domaine de Chaumont-sur-Loire, 2023© E. Sander

Mais outre le blanc, la couleur est présente avec les forêts et leurs sous-sols fantastiques de Fabrice Hyber, dans les Galeries de la Cour Agnès Varda où l’artiste a créé in situ une œuvre de 27 mètres de long. Les vertiges colorés des suspensions du peintre allemand Bernard Schultze, auquel nous rendons hommage dans le Château, les peintures librement végétales de l’artiste belge Yves Zurstrassen et les délicates graminées poudrées d’or de Sophie Blanc, dans l’Asinerie, complètent cette promenade entre rêve, nature et poésie.

Esprit de la pierre, installation de Vladimir Zbynovsky au Domaine de Chaumont-sur-Loire, 2023
© E. Sander

Si Vladimir Zbynovsky a déposé ses oeuvres de pierre et de verre dans le Pédiluve de la Cour de la Ferme, sont apparues, dans le Parc historique, de nouvelles silhouettes hiératiques de Christian Lapie et d’énigmatiques sculptures de Denis Monfleur, tandis que des “Chemins croisés” réalisés in situ par Lionel Sabatté se sont dressés au détour d’un bosquet.

De retour au Domaine, Bob Verschueren a imaginé un intrigant “Clan des voltigeurs” qui s’ajoute aux installations de cette nouvelle édition.

Ambiance de conte de fées, mystère et fiction poétique sont donc au rendez-vous de cette nouvelle Saison d’Art de Chaumont-sur-Loire.

La rétrospective Alechinsky : les partis pris

Alechinsky Michel Butor, Le rêve de l’ammonite, 1975 suite de 16 lithographies sur Arches
(imprimerie Clot, Bramsen et georges, Paris Fata Morgana, éditeur, Montpellier 33 x 50,2 cm)

Dessins, gravures, lithographies, estampes murales, ouvrages de bibliophilie, liés au livre et à la nature constituent la rétrospective, de 1948 à 2020, proposée par Alechinsky au Domaine de Chaumont-sur-Loire, avec pas moins de 274 pièces exposées, de façon à la fois chronologique et chromatique.

Fasciné depuis toujours par le papier et les techniques d’impression, puisqu’il fut d’abord typographe et illustrateur, l’artiste en connaît, de longue date, tous les secrets et toutes les virtualités. Sa passion pour ce type de création, sa totale maîtrise de cette délicate méthode d’écriture et d’expression à l’envers sur la pierre ou le cuivre, sa connaissance sans faille des règles mystérieuses et chimiques liant l’encre et l’acide, qui vont donner naissance à l’image, ne se sont jamais démenties au cours des années.

Passant insensiblement et constamment de l’écriture, la sienne – car il est aussi écrivain – et celle des autres, au dessin, à la gravure et à la peinture, l’artiste a toujours joué avec une virtuosité extraordinaire avec les motifs, mais aussi les lignes et les signes.

Ce qui frappe immédiatement dans l’œuvre d’Alechinsky, c’est l’élan, le dynamisme, la fluidité du pinceau, du crayon, de la plume, le courant immédiat et continu du cerveau à la main, comme une intense et persistante jubilation créative.

Ce qui touche, c’est aussi la grâce, l’infinité des nuances, des formes et des couleurs, la légèreté, le lien constant entre les images et les mots, issus d’une intelligence graphique en fusion permanente. C’est ainsi qu’apparaissent des arbres et des astres, des sphynx et des volcans et bien d’autres figures liées à la nature et à l’art, dans ce panorama passionnant de plus de 70 ans de création, où règnent sans partage le génie, l’humour et l’esprit d’Alechinsky.

L’installation de Lee Ufan dans la Tour du château : pouvez -vous nous la décrire ?

Le fil infini, installation de Lee Ufan au Domaine de Chaumont-sur-Loire, 2023 © E. Sander

Lee Ufan a été fasciné par le château qui surplombe la Loire, son histoire, les paysages alentour et les nombreux artistes accueillis ici. Il est très heureux de la proximité de l’œuvre de Jannis Kounellis dans les cuisines du château qui réunit, au sommet de poutres en bois, des cloches qui ne sonnent pas.

Il a cherché dans la Tour du Roi le motif de rencontre entre le lieu et son environnement. A l’instant où il s’est rendu dans cet espace, plongé dans la pénombre, une idée lui est venue. Il en a conçu une dimension de l’infini représentée par un fin fil blanc de presque 7 mètres, tendu entre la voûte et son reflet dans un miroir circulaire, d’environ 3 mètres de diamètre, reliant la réalité à l’irréalité, l’extérieur et l’intérieur.

C’est une profonde réflexion sur le cours du temps et le cycle de la vie, un appel à la méditation pour le visiteur qui approche et peut à son tour s’observer dans le miroir à ses pieds.

Lee Ufan a introduit ce fil et ce miroir dans une pièce où la lumière provenant des fenêtres et l’air créent pour lui une harmonie. Si, pour les hommes modernes, le miroir sert à se mirer, il sert pour lui de métaphore, en reflétant le monde et en mettant le temps en relief.

De cet espace figé se dégage une émotion qui subsiste à jamais, avec la même résonance que les cloches muettes de Kounellis.

En termes de visitorat avez-vous retrouvé la fréquentation pré-Covid ?

Nous sommes extrêmement reconnaissants, car nous avons en effet retrouvé une belle fréquentation en 2022 (536 000 visites) et même légèrement dépassé le nombre de visiteurs accueillis en 2019 (535 000), qui était pour nous une année record. Avec la 5e édition de Chaumont-Photo-sur-Loire proposée à partir du mois de novembre, nous avons même enregistré le meilleur dernier trimestre du Domaine. Les visiteurs ont compris que nous étions ouverts toute l’année, avec des propositions différentes à chaque saison. Ils n’attendent plus nécessairement les beaux jours pour venir à Chaumont-sur-Loire.

Le thème du Festival International des Jardins 2023 est le jardin résilient : comment cela sera-t-il décliné ?

Les concepteurs de l’édition 2023 ont envisagé toutes les contraintes de notre temps et envisagé des solutions innovantes qui concentrent imagination, savoirs et savoir-faire. Sans rien perdre de leurs qualités esthétiques et végétales, ces jardins offrent des réponses à la fois scientifiques et concrètes aux défis qu’il nous faut désormais affronter.

S’ils évoquent les “Cendres fertiles”, après un incendie et la reconstruction possible, après la catastrophe, les concepteurs des jardins du concours ont créé des tableaux et des jardins très divers. Ils ont mis en valeur les capacités de régénérescence de la nature, quand elle est subtilement accompagnée par l’homme.

C’est ainsi qu’on verra, dans cette édition, des berges asséchées de rivières, manquant d’eau, des sols craquelés sous l’effet de la chaleur, des lieux confrontés au double défi de la résistance aux incendies et de l’adaptation aux inondations.

Mais on pourra aussi contempler des jardins “Kintsugi”, où le végétal vient à réparer les blessures du sol. On pourra observer la puissance d’une brèche humide et verte et la possibilité de recréation d’un milieu favorisant les alliances interespèces, avec des expérimentations syntropiques.

On pourra emprunter des corridors végétaux, dont l’ombre douce rafraîchira le visiteur. On pourra découvrir des systèmes ancestraux et ingénieux d’irrigation. On pourra pénétrer dans une forêt sacrée, où l’ombre et la fraîcheur apaisent les esprits.

On sera en présence d’espèces d’arbres résistantes, comme les chênes considérés comme l’arbre du futur, des jardins supportant le sel lié à la montée des eaux maritimes, des plantes résistant à la fois au gel et à la chaleur, des réservoirs de biodiversité et de vie pour la faune et la flore, des îlots de fraîcheur, des microclimats, des jardins s’inspirant de techniques animales et des comportements vertueux.

Et l’on redécouvrira des techniques utilisées avant l’introduction de la chimie, comme l’électroculture qui capte l’énergie atmosphérique et dynamise les racines des plantes.

À ces expériences de résilience proposées par les participants au concours, s’ajouteront de passionnantes propositions faites par les invités du Domaine auxquels est donnée Carte Verte. C’est ainsi qu’a été conçu un Jardin du Verstohlen par la philosophe Cynthia Fleury et le designer Antoine Fenoglio. Le paysagiste belge Bas Smets a, quant à lui, imaginé La forêt du futur, tandis que James Basson a créé un jardin sec et naturaliste dans la Cour de la Ferme. Enfin Evor et le collectif “Nantes est un jardin” a aménagé une incroyable jungle au cœur du Festival.

Liste des artistes Saison d’Art 2023 :

Alechinsky, Stefan Râmniceanu, Lee Ufan, Pascal Convert, Grégoire Scalabre, Claire Morgan, Fabrice Hyber, Bernard Schultze, Yves Zurstrassen, Sophie Blanc, Vladimir Zbynovsky ,Christian Lapie, Denis Monfleur, Lionel Sabatté et Bob Verschueren.

Les Chiffres clés du Domaine :
– 12 000 m2 de surface totale (bâtiments) 32 hectares de Parcs
– Plus de 170 artistes contemporains et photographes invités entre 2008 et 2022
– 1 “galerie digitale” de 350 m2 au 3ème étage de l’aile Est du Château
– Plus de 20 galeries d’exposition, soit plus de 2 000 m2 6 restaurants, dont un atelier de création culinaire, gérés directement par le Domaine et répartis entre le Château, la Cour de la Ferme et le Festival International des Jardins.
– 1 hôtel “Le Bois des Chambres” et 1 restaurant gastronomique “Le Grand Chaume”
– Une fréquentation du Festival International des Jardins et du Château toujours à la hausse Plus de 530 000 visites en 2022 (200 000 en 2007)
– Plus de 20 000 enfants accueillis pour des activités pédagogiques en 2022
– 1 propriétaire : la Région Centre-Val de Loire 363 jours d’ouverture annuelle 75% d’autofinancement
Depuis 2018, le Domaine de Chaumont-sur-Loire bénéficie de 3 étoiles dans le Guide vert Michelin des Châteaux de la Loire.

INFOS PRATIQUES :
Saison d’Art 2023
Jusqu’au 29 octobre 2023
Festival International des Jardins 2023
Du 25 Avril au 5 Novembre 2023
Horaires : Le Domaine de Chaumont-sur-Loire ouvre tous les jours de l’année, dès 10h00, y compris les jours fériés (sauf le 1er janvier et le 25 décembre). Une journée entière de visite reste nécessaire pour effectuer la visite complète du Domaine.
Tarifs
Billet journée
Du 1/05 au 31/10/2023
Plein 20 € / Réduit 12 €
Du 02/01 au 30/04/2023 01/11 au 31/12/2023
Accès En Train – De la gare de Paris-Austerlitz – arrivée gare d’Onzain / Chaumont-sur-Loire, durée : environ 1 h 40 + navette à certaines heures
En Voiture – Autoroute A10, direction Bordeaux : sortie n°17 Blois – 30 mn / direction Paris : sortie n°18 Amboise – 30 mn. – Autoroute A85 : sortie n°12 Saint Aignan – 30 mn
https://domaine-chaumont.fr/

 

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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