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Pour sa deuxième carte blanche, notre invité de la semaine, le commissaire d’exposition Philippe Sérénon, nous propose sa vision de la photographie qui repose sur trois piliers spécifiques indissociable: la création, la technique et les moyens financiers. Ce texte est d’ailleurs l’occasion de faire un petit point sur la situation du métier de photographe, qui devient de plus en plus complexe en fonction du secteur d’activité.

Comme toutes les formes d’art, la photographie repose sur trois piliers : la créativité des auteurs, les outils et techniques à leur disposition et les moyens financiers.

Dans le cas de la photographie, la dimension technique est prédominante. Comme les peintres qui ont besoin de pinceaux, les sculpteurs de ciseaux ou l’écrivain de stylo, le photographe a besoin d’un équipement de prise de vue.
Si l’œuvre du peintre ou du sculpteur est unique, prenant parfois une dimension cultuelle (ref. Walter Benjamin), celles de l’écrivain et du photographe, par leur reproductibilité, nécessitent une deuxième intervention technique de restitution sur papier, impression d’un livre pour l’un, tirage photo pour l’autre.
L’invention de Gutenberg, en plein Quattrocento, a permis la diffusion d’un savoir jusqu’alors réservé aux moines copistes, provoquant un bouleversement du monde et la naissance de la littérature et de la culture au sens noble du terme. Puis, il fallut attendre quatre siècles pour que Niepce et Daguerre inventent la photographie (que H.F. Talbot me pardonne, il a aussi sa part). Mais contrairement à l’imprimerie dont la vocation était la diffusion, la photographie était d’abord la capture d’une image, dont la création était jusqu’à lors dévolue aux peintres. Elle les privait de leur travail de portraitiste en s’appropriant le terrain du réalisme et en réduisant drastiquement le temps de pose du modèle. Indirectement, la photographie fut un des facteurs – avec l’invention du tube de gouache permettant de peindre en extérieur – de la naissance du mouvement impressionniste. Non seulement la photographie ne fut pas créditée de cette contribution indirecte mais elle fut rejetée en tant qu’art – et il fallut attendre 2007 pour que la photographie rentre à l’Académie avec Lucien Clergue.

« The Mouth of Krishna #271 », 2015. © Albarrán Cabrera
Actuellement exposés au Bildhalle de Zürich (jusqu’au 18 novembre) et au Foto Colectania de Barcelona (jusqu’au 7 janvier 2024).
Bientôt exposés à Paris à la Galerie Esther Woerdehoff (novembre 2023)

La dimension technique de la photographie pose des contraintes financières lourdes pour les photographes car elle implique du matériel et du consommable couteux en argentique comme en numérique (films et papiers). Or en 30 ans, l’attrition de la commande notamment pour la presse et la publicité n’a pas été compensée par la valorisation croissante de la photographie sur le marché de l’art, illustrée par le succès de Paris Photo. D’autant que pour être vu et connu, il faut passer par l’exposition ou le livre photo qui engendre encore d’autres dépenses.

© Martin Parr / Magnum Photos
Martin Parr est exposé à la Rocket Gallery de Londres jusqu’au 29 février 2024

C’est là que le troisième pilier intervient, celui de la création. Il y a nombre de très bons photographes techniciens qui ont du mal à en vivre et peu d’élus en tant qu’auteurs : Il faut trouver un style reconnaissable (i.e. M.Parr) ou une technique d’impression originale qui ajoute à l’image (i.e. Albarrán – Cabrera) pour émerger dans le paysage. La scénographie a également contribué à mettre en valeur les photographies. Attention toutefois à ce que la mise en scène ne prenne pas le pas sur le contenu …

Heureusement, il y a des institutions ou des entreprises partenaires (mécènes ou sponsors) qui soutiennent des photographes ou des évènements. Dans ce monde où la valeur économique est devenue la seule référence, il faut veiller à ce que ces soutiens, sans être désintéressés, donnent un sens à leur action autre que le seul retour sur investissement.
La relation entre l’art et l’argent a toujours été ambivalente, tumultueuse en ce qu’elle attire les contraires, l’émotion créative de l’artiste faisant face au rationalisme froid du financier. La photographie n’échappe pas à ce paradigme. La France est très, voire trop, pusillanime à cet égard, parfois au détriment des auteurs. L’un n’allant pas sans l’autre, le bon alliage est la sincérité de la relation entre l’artiste et son sponsor.

La Rédaction
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