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À l’occasion de cette troisième édition de la Biennale de l’Image Tangible, nous accueillons dans notre rubrique l’Invité·e de la semaine, son co-fondateur et directeur général, Francois Ronsiaux. Aujourd’hui, nous vous poursuivons notre exploration des expositions satellites de cette Biennale. En marge de l’exposition phare HETEROTOPIA, curatée par les organisateurs de la Biennale, neuf expositions satellites ont pris place dans les lieux et galeries partenaires de l’Est et du Centre parisien. Ce sont 40 artistes qui ont été sélectionnés par un Jury de professionnels du monde de l’art, de l’image et de la photo, suite à un appel à projet. Retrouvez les expositions qui sont encore visibles au public !

À la galerie Charlot

Anne-Lou Buzot, Katherine Melançon, Thomas Paquet, Camille Sauer et Jan A. Staiger & Malte Uchtmann sont exposés à la galerie Charlot jusqu’au 16 décembre.

Anne-Lou Buzot

© Anne-Lou Buzot

La photographie pourrait être considérée comme une langue vivante qui n’a de cesse d’évoluer depuis son invention. Les procédés ou techniques en seraient la syntaxe — le signifiant, la forme déterminant à la fois les possibles et les limites de ce que l’on peut représenter —, quand les sujets en seraient une sorte de sémantique visuelle — le signifié, le sens.
Dans “L’acte photochimique”, je propose une réflexion diachronique sur la linguistique photographique, par le biais de traductions successives. Je pars de textes fondateurs dans l’histoire de la photographie, que je convertis en valeurs numériques hexadécimales. À ces valeurs correspondent également des nuances de gris, ce qui me permet de traduire ces textes pionniers en pixels. J’emploie ensuite un procédé photochimique faisant sens avec chaque texte (papier salé / phytotype / cyanotype) pour tirer d’une part une visualisation du texte en pixels, et d’autre part un aperçu des valeurs hexadécimales intermédiaires.
En l’occurrence, j’ai sélectionné des textes de Talbot et Herschel, faisant écho aux trois parties du livre de Maurice Daumas intitulé “L’acte chimique — Essai du l’histoire de la philosophie chimique”, où il est question des évolutions majeures en chimie, intrinsèquement liées au façonnage du langage chimique. Il s’agit par ce choix de replacer la naissance et les transformations du langage photographique dans l’histoire de l’alchimie et de la chimie. Les tirages des textes convertis en pixels seront insérés dans différents exemplaires de ce livre, en vis-à-vis avec les titres des chapitres. Les tirages des valeurs hexadécimales seront quant à eux présentés de manière à évoquer des écrans d’ordinateur.
Les distances temporelles entre les différentes syntaxes employées — analogiques ou numériques — sont ainsi entremêlées et condensées dans des objets photographiques auto-réflexifs. Les strates de traduction apparentes mettent en évidence les évolutions passées, présentes et futures du médium.

Katherine Melançon

© Katherine Melancon

Par l’intégration de cartes perforées pour automatiser le métier à tisser, le métier Jacquard (1800-1815 env.) est une des inventions majeures ayant mené aux technologies numériques. Depuis plusieurs années, ma pratique s’intéresse à explorer les cycles de mutation entre le naturel, le numérique et le matériel. Pour cette œuvre, j’ai « scanographié » les fleurs du cactus Epiphyllum Oxypetalum qui ne fleurissent qu’une seule nuit; une nature morte à son paroxysme d’éphémérité. L’image créée à partir de ces numérisations a ensuite été tissée par un métier Jacquard ramenant ainsi l’image à la source de sa possibilité d’existence. La tapisserie comporte des fils dont les couleurs changent pour rejouer la naissance et la mort si rapide de ces fleurs-événement. C’est la luminosité du moment, communiquée par un senseur, qui rythme ces changements.

Thomas Paquet

© Thomas Paquet

« L’Observatoire » restitue en temps réel, par un jeu de dégradé de couleur, la position de la lune et du soleil.
À un temps T, dans un lieu spécifique, grâce à une série de calcul astronomique, le programme informatique détermine la position de la lune et du soleil avec 2 coordonnées. Ces coordonnées sont ensuite reportées sur un cercle chromatique et permettent d’attribuer une couleur à chacun des astres. Ces deux couleurs, fonction du lieu de visionnage de l’œuvre et du moment de la journée sont utilisées pour créer un dégradé linéaire qui s’affiche sur un écran circulaire.
« L’Observatoire » est né du désir de plonger le spectateur dans un état méditatif, de le replacer dans le temps long de la danse perpétuelle de la lune et du soleil. et de lui proposer un jeu de couleur unique et non-reproductible en dehors de leur propre espace-temps.
L’une des particularités de cette œuvre est bien son caractère infini: le programme réalise une mise à jour en temps réel des positions de nos astres. Le dégradé de couleur va évoluer de façon très lente et permettre au spectateur de voir les phases de la lune au fil des saisons.

Camille Sauer

© Camille Sauer

L’Industrie artistique est un projet d’opéra audiovisuel qui interroge le rôle de l’artiste au  sein de la société par le biais du cinéma d’animation et de la musique. Dans un monde alternatif  aux environnements dystopiques inspirés d’une forme d’hyper planification architecturale et  industrielle, l’artiste se trouve plongé au sein d’une industrie productiviste à l’enrichissement de  laquelle il participe par son travail, provoquant par ses récits la création de nouveaux imaginaires.  Ces narrations s’accompagnent de réflexions sur la place de l’artiste au sein de nos systèmes  culturels, sur les contextes de création, sur les conditions de subsistance et de monstration.  L’ensemble de ces travaux se retrouve dans ce projet d’opéra audiovisuel, qui donne à voir le  cheminement intérieur de l’artiste, une aventure solitaire au sein d’une industrie ambiguë.
Chacune des scènes de l’opéra est pensée comme une pastille autonome, intégrée dans  une narration générale. Les décors changent donc, ainsi que les ambiances, les sensations  provoquées et les réflexions abordées, dans un univers cinématographique inspiré notamment  par le réalisateur hongkongais Wong Kar-wai. La pièce met en scène un avatar à mon image, qui  constitue mon alter ego. Je travaille depuis plusieurs mois à la création de cet autre moi, qui peu  à peu devient le porte-parole public de mes recherches.
Cet avatar est un personnage virtuel créé par ordinateur qui évolue au cœur de l’industrie  artistique. Il est le protagoniste d’un opéra audiovisuel, une œuvre qui explore les limites de la  création artistique et notre lien avec la technologie. Le spectateur se trouve ainsi plongé dans la  tête et les pensées d’un artiste fictif aux questionnements pourtant bien réels, et d’une grande  portée symbolique – comme toujours dans mon travail, les couleurs, les architectures et les mises  en scène sont toutes porteuses de sens et accompagnent les prises de conscience du spectateur.  La frontière entre réalité et virtualité s’estompe à mesure qu’on s’identifie à ses doutes et  démarches, qu’on l’écoute, qu’on l’observe, créant des ponts entre les disciplines artistiques,  essayant de trouver sa place, de forger son identité, entre recherches personnelles et injonctions  constantes de son environnement.

Jan A. Staiger & Malte Uchtmann
The Perfect Crime: Concerning the Murder of Reality

© Jan A. Staiger & Malte Uchtmann

L’Allemagne est un pays de fiction policière. Il existe plus de 238 séries policières disponibles sur les six plus grandes chaînes de diffusion allemandes, entraînant des meurtres fictifs dépassant largement le nombre de cas réels. Cette surreprésentation marque le point de départ de notre examen des effets de la fiction policière sur notre perception et notre comportement et la corrélation entre fiction et réalité. Dans une installation vidéo à deux canaux, divers acteurs récitent des informations de base sur leurs rôles de victimes et d’auteurs dans des séries policières allemandes. Réfléchissant à l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le cadre des techniques de surveillance et à la création d’images fantômes dans le travail policier moderne, diverses altérations de l’apparence sont appliquées aux visages des acteurs pendant qu’ils parlent. En créant de nouvelles versions d’eux-mêmes, la représentation originale des acteurs n’est plus clairement identifiable, irritant ainsi la perception des spectateurs, évitant une catégorisation claire. L’ouvrage interroge les méthodologies du travail policier historique et moderne, en se référant à l’utilisation de « coups d’identité » pour la catégorisation et la stéréotypage des criminels présumés à travers leurs caractéristiques physionomiques, ce qui a été fait pour capturer et pathologies ce qui était considéré comme un comportement criminel, et Ces hypothèses sous-jacentes concernant la physionomie constituent l’un des fondements des ensembles d’entraînement d’image d’IA contemporains, renforçant la catégorisation humaine basée sur le biais visuel.

À la Galerie Data

Daniel Bourgais et Florence Cardenti sont exposés à la Galerie Data jusqu’au 9 décembre.

Daniel Bourgais

© Daniel Bourgais

Daniel Bourgais utilise la photogrammétrie pour réexplorer les prises de vues collectées dans la nature, offrant ainsi une vision singulière du monde végétal.
La série présentée à l’exposition est extraite d’un projet développé pour le prix Don Papa Art Program, édition 2022, questionnant le lien entre le paysage et le mythe. L’artiste s’inspire de cette thématique dans la série Laho a avalé la lune, composée de photogrammétries de paysages présentées en caissons lumineux – des négatoscopes – appareils de radiographies utilisés en médecine.
À travers des paysages retranscrits en nuage de point, l’artiste offre une perception impressionniste d’un espace à un instant. Ces scènes paraissent être la capture illusoire d’un souvenir. Ce sentiment est exacerbé par la vision en relief, des couches de matières renforcées par le rétroéclairage.
“Laho a avalé la lune est une série de paysages diaphanes où le réel se mélange à l’imaginaire.
L’installation est inspirée par un des mythes fondateurs des Philippines, le Bakunawa.
Le mythe évoque la relation entre le Bakunawa, un dragon, et les 7 lunes qui éclairent les jours de la semaine.
Ce monstre, attiré par la lumière, a commencé à avaler les lunes les unes après les autres.
Face à la disparition de celles-ci, les habitants se mobilisent pour sauvegarder la dernière en plantant des bambous pour la masquer, créant des zones sombres, une éclipse, le « laho ». C’est le regard porté sur son environnement, sa fragilité qui a guidé l’artiste dans la création de l’installation.
A l’aide de centaines d’images prises dans des territoires où la végétation à reconquit sauvagement les lieux, ces tableaux rétro éclairés donnent à voir des paysages évanescents ou le sauvage et l’atmosphère énigmatique prennent place. Chaque point de matières nous guide vers une histoire pour rendre visible, sensible les matières du paysage invisible.
Une histoire qui s’écrit lentement, un récit qui se parcourt, se superpose pour former de nouveaux récits suspendus, propices à un éveil et aux questionnements de nos sens.
Ces territoires transformés, une rivière, une carrière et un tronc d’arbre ont un pouvoir de fascination.
Les tableaux mis en lumière apparaissent telles des éclipses, des traces du sauvage.
Ces éclipses nous rappelant la fragilité du paysage, sa transformation.”

Florence Cardenti

© Florence Cardenti

Florence Cardenti explore la matérialité des images, elle utilise de multiples médiums pour créer des installations, films photographiques et livres d’artiste. Son intérêt pour le vernaculaire, les sciences exactes et humaines, la mène vers un travail d’exploration d’archives, de photographies de terrain et d’expérimentations. Le projet Echo présente le travail réalisé par l’artiste au sein du fond de l’Alpenverein de la ville d’Innsbruck (Autriche), riche d’une archive de plus de 40 000 photographies de montagne et de haute montagne. Florence Cardenti s’est intéressée à ces images et études scientifiques ; dont les données techniques ont permis en leur temps, de réaliser les premières cartes du territoire alpin encore méconnu avant 1930. Dans une démarche relevant de l’archéologie des médias, l’artiste collecte les images stéréoscopiques de la collection, et les réinvestit par des techniques contemporaines de mise en espace. Echo est une invitation à réinventer ou redécouvrir ces archives alpines et scientifiques à travers une approche artistique innovante. L’une des oeuvres qui en découle Vertigo est un montage d’images – que le spectateur découvre à travers un stéréoscope – réalisé à partir de photographies stéréo d’époque complétées des vues d’espaces de l’Alpenverein. Au sol une modélisation 3D filaire complète l’installation, elle est issue de vues photogrammétriques réalisées par l’ancien explorateur alpin, Erwin Schneider. Une autre retranscription des fonds est réalisée par l’artiste avec On the crest line, en réinterprétant des typons d’anciens fonds de cartes. L’installation se compose de 4 jeux de plaques de négatif rouges, de leurs positifs au gélatino-bromure sur verre et d’une photographie prise avec un filtre infrarouge. Pour cette série, elle utilise la technique du cibachrome, procédé spécifique de tirage couleur par destruction de pigment, technique en disparition. L’installation Stone Survey est une variation autour d’une simple pierre rapportée de sommets montagneux. La pierre, sa modélisation 3D, avatar manipulable sur écran tactile et sa sculpture en papier très agrandie, forment un ensemble de déclinaisons visuelles reliant le microcosme au macrocosme, le réel au virtuel.

À la Galerie Nocte

Tomás Amorim, Alain Delorme, Anna Katharina Scheidegger, Mozziconaci Robert-Teyssier et Laure Winants sont exposés à la galerie Nocte jusqu’au 9 décembre.

Tomás Amorim

© Tomas Amorim

Monticolæ est un projet-recherche en cours, initié en 2021 sur la base de différentes expérimentations plastiques/photographiques dont l’objectif primordial est de redonner du volume à l’image photographique. En effet l’image capturée par l’outil photographique est fréquemment représentée sur une surface plate comme la projection ou le papier, or ici c’est justement l’existence d’un relief qui forme l’image. Je souhaite avec cette recherche déployer l’image au-delà de sa planéité habituelle, la travailler en tant que matériau en soi; la sculpter, la plier, l’inciser.
Le travail évoque des paysages naturels, des minéraux, mais également des portions de corps, des muscles contractés; des formes figées dans une plaque de béton qui témoignent à la fois d’un geste manuel de confection et du passage éclair d’une onde lumineuse, c’est le point de rencontre entre le façonnage long de la sculpture et l’instantanéité de l’image photographique. Les photographies et les sculptures témoignent de ma volonté de créer une œuvre photographique qui interroge les sensations et les perspectives et qui crée un désordre visuel entre le plat et le volume, entre deux disciplines de l’art qui sont opposées par principe.
Par froissement d’une feuille de papier j’obtiens donc ces surfaces légèrement accidentées et ondulées, moulées dans le plâtre ou dans le ciment, avec des zones creuses qui au contact d’une source de lumière rasante génèrent des ombres portées sur la surface elle-même. Enduit d’une émulsion photosensible la plaque devient à la fois support et médium photographique, capable d’enregistrer les formes qui prennent la lumière. Je m’inspire pour mes pliages notamment des formes géographiques de toutes sortes de paysages naturels – vallonnés, volcaniques, insulaires, plaines et vallées. A ces reliefs et aux montagnes qu’elles nous inspirent, font référence ceux qui les habitent et que l’on désignait, en latin, monticolæ.

Alain Delorme

© Alain Delorme

Le projet Citadelles est une réflexion sur la relation de l’homme à son environnement. Le sable est omniprésent dans nos sociétés modernes. Ressource naturelle non renouvelable, elle est la plus exploitée au monde après l’eau.
Citadelles fait référence à la place forte, à la dernière ligne de défense des fortifications avant la chute de la place. Dans cette série, la menace est la montée des eaux, résultante du réchauffement climatique mais aussi la problématique du sable comme épuisement des ressources.
Ce projet est réalisé sur le littoral français au rythme des marées. Je dispose de deux heures pour créer chaque sculpture de sable avant que les flots ne l’emportent.
Il s’agit d’une co-création éphémère avec la nature, d’une création comme urgence vaine face aux changements du monde. La citadelle paraît massive autant que vulnérable, imposante et instable face au mouvement inexorable de l’océan, fragile comme l’équilibre planétaire.

Anna Katharina Scheidegger

© Anna Katharina Scheidegger

Cette série se penche sur la disparition du plancton luminescent. Le plancton marin est un des principaux supports de l’existence de notre propre espèce. Il constitue non seulement la base de la chaîne alimentaire marine, mais il capture aussi une part importante du dioxyde de carbone atmosphérique et émettent de l’oxygène par photosynthèse. Ces microorganismes recouvrent seulement 1% de la masse végétale totale de la planète, mais produisent plus que la moitié de tout l’oxygène que nous respirons. Ce poumon de la planète est en danger. Depuis les années 1950, les populations de phytoplancton ont diminué de 40%.
Le travail FRAGILE WARNING LIGHTS, est une recherche en photographie sur les spécificités du phytoplancton dotés de bioluminescence (notamment les Dinophytes (Dinophyta), encore appelées Dinoflagellés). La bioluminescence est l’émission de lumière par des organismes vivants suite à une réaction chimique qui convertit l’énergie chimique en lumière visible. L’émission de ces flashs lumineux est due à une sorte d’accès de stress, généralement lié au remous des vagues.
La technique du photogramme consiste à poser un objet sur une surface photosensible. Après l’exposition, l’objet reste visible sous la forme d’une trace lumineuse. En posant du plancton bioluminescent sur un plan film, celui-ci est exposé uniquement par l’émission de lumière du plancton. Le fait que la lumière vient de l’objet et non d’une source extérieure nous montre le photogramme le plus radical que possible.
L’instantané des flashs de lumineux et l’agitation du plancton, sont ainsi fixés dans une image et capte les dégradés et crée visuellement une profondeur. L’installation de ces images dans des caissons lumineux donne une dimension et une puissance supplémentaires à ces Dinophytes difficilement perceptibles à l’œil nus. Les formats ainsi agencés évoquent l’immensément grand des galaxies.

Mozziconaci Robert-Teyssier

© Mozziconaci Robert-Teyssier

Comme un œil, le lac garde en réserve ce qu’on ne voit plus : il y a un regard à déployer. C’est ce que nous tâchons de faire dans État des lieux: History is straight dont les fragments poursuivent une relecture queer du lac de Naussac.
Le plan d’eau et son barrage se sont trouvés associés aux luttes des années 70 dans le sillage du Larzac, dans cet élan qui cherchait à faire avancer ensemble écologie, résistance, désir face aux forces de destruction (capitalisme, patriarcat). En plus de bouleverser le paysage, cette construction témoigne du devenir des « moins bonnes terres » au 20ème siècle : intégration forcée des petits paysans dans une agriculture globalisée et fin des utopies. Notre série (ré)ouvre ce chantier et matérialise la première étape d’un travail de terrain au long cours : arpentage, entrelacement des temps et juxtaposition des genres (documentaire, archive, fiction).
Cette série cherche à multiplier les preuves, agencer des éclats désirants pour dresser une cartographie radicale du paysage de Naussac : comme autant d’ouvertures possibles sur des récits passés, présents, futurs.

Laure Winants

© Laure Winants

En avril et mai 2023, le collectif composé de Patrick Blenkarn (Canada) et moi-même partirons en Arctique. La première partie du voyage sera une résidence à bord d’un brise-glace avec Arctic Circle, suivie d’une résidence d’un mois au Spitsbergen Artist Center. For Words From a Tongue We are Losing — Je propose de développer une expérience numérique interactive qui s’efforce de donner une voix et une grammaire à une « langue » mourante, la langue glaciaire du glacier arctique. Le terme scientifique « langue glaciaire » transforme la glacier en un organe, anthropomorphisant notre compréhension et notre relation à la glace. Tout comme la langue d’un humain est un récepteur, la glace à la surface d’une « langue de glacier » absorbe les composants chimiques : la poussière poudreuse d’une combinaison de petites particules de roches, de suie et de microbes se dépose sur les couches de glace, assombrit sa couleur, réduire la réflectivité de la glace. Cela absorbe le rayonnement solaire et accélère le processus de fonte de la neige et de la glace. Ça a le goût de la transformation de la Terre. Il contient des histoires qui ne peuvent être traduites que d’une langue ancienne. Et en tant que telle, la langue glaciaire indique également un état critique. Les « langues » des glaciers, cependant, perdent leur capacité à communiquer les histoires dont ils ont été témoins au moment même où nous commençons à les lire. Bientôt aucun de nous ne pourra parler ou lire ces langues maternelles. Pour cette série je souhaite redonner leur voix en créant des œuvres mêlant représentation faite par capteurs et photographie expérimentale à partir de matériaux collectés sur place.

À Plateforme

Karin Fisslthaler / Mathilde Geldhof / Margherita Muriti / Mathieu Roquigny / Brigitte Zieger sont exposés à Plateforme jusqu’au 10 décembre.

Karin Fisslthaler

© Karin Fisslthaler

Karin Fisslthaler est artiste, cinéaste et musicienne électronique.Un grand nombre de ses vidéos, travaux sur papier et installations découlent de sa réaction à la façon dont les médias représentent le corps humain et à la manière dont cela affecte les notions d’identité, de rôles de genre et de communication. Le matériel trouvé est la source principale, qu’elle collecte, déconstruit et réarrange, souvent en coupant le matériel, qu’il s’agisse de matériel audio, de film/vidéo, de livres ou de photographies. Les langages corporels tels que le toucher, les regards, les mouvements et les gestes font l’objet d’une attention particulière.
Karin Fisslthaler a commencé sa carrière de musicienne en 2003, alors qu’elle était déjà active dans le domaine de l’art vidéo. Dans son projet solo Cherry Sunkist, elle produit de la musique pop électronique expérimentale, dans laquelle elle crée son propre style, incomparable, à partir d’une grande variété d’éléments musicaux, allant de la New Wave aux collages sonores en passant par des voix accrocheuses en partie inspirées du punk.

Mathilde Geldhof

© Mathilde Geldhof

(…) Plutôt que d’explorer l’exotique, la photographe plasticienne investit l’endotique à la recherche d’une situation, d’une lumière ou d’une sensation produisant un décalage dans l’apparente familiarité des choses. Que ce soit par l’image seule, l’assemblage ou l’accrochage, elle confère au commun un pouvoir expressif proche du principe « d’étrangéisation » théorisé par Victor Chklovski. (…)
Les œuvres de Mathilde Geldhof convoquent souvent une sensation mystique sans pour autant basculer dans le religieux. (…) Elles proposent de transcender le familier pour en extraire le potentiel narratif et poétique. A travers les manques qu’elles préservent, elles attisent notre curiosité et déclenchent nos imaginaires. Nous sommes ainsi conduit.es à « interroger ce qui nous semble avoir cessé à jamais de nous étonner », pour reprendre la prose de Georges Perec. Il s’agit par-là d’investir l’infra-ordinaire afin d’un côté d’envisager la force poétique de l’habituel et d’un
autre d’analyser l’artificialité des apparences du monde.
Extrait du texte Investir l’infra-ordinaire de Thomas Fort.

Margherita Muriti

© Margherita Muriti

Chaque année, le 19 septembre, des milliers de personne attendent le miracle de la liquéfaction du sang de Saint Janvier. L’archevêque incline l’ampoule contenant le sang solide dans un rituel précis. Si le sang devient liquide, c’est annonciateur
d’une bonne année. Le toucher est une action toujours réciproque: ce qui est touché, touche en retour. Ce projet est né d’une réflexion autour de l’espace vide où deux surfaces semblent presque se mêler, l’espace de contact entre les mains et les images. Dans la Grèce Antique, on croyait que l’acte de voir se produisait grâce à une très fine pellicule à travers laquelle la scène atteignait l’œil. C’était cette pelicula, une peau très mince,
qui rendait les choses visibles.
The blood liquefied at 10 am explore la relation entre l’acte de voir et de toucher ainsi que la transformation de la matière. Des tablettes de cire moulée sont disposées sur des surfaces de verre, chauffées lentement par des ampoules suspendues, elles deviennent transparentes, laissant apparaître les images.
Matière très proche des formes organiques, la cire est malléable. Une fois chauffée, elle n’est ni solide ni liquide. Les images deviennent visqueuses et collantes. Instables et fragiles, il suffit d’un peu de chaleur pour les transformer.
Une partie s’écoule, change de forme, l’autre s’évapore, se mélange à l’air qu’on respire.

Mathieu Roquigny
Fragments

© Mathieu Roquigny

En répertoriant mon environnement, selon un principe d’équivalence, où toute chose est également belle, vraie et sérieuse, c’est avec désinvolture et humilité que je m’empare des petits riens, les déployant de l’image à l’objet, de l’observation à la construction.
Mon « Diary » est constitué de milliers de photographies ritualisées et organisées.
Similaire à une forme d’archéologie contemporaine, j’en isole ici quelques-unes que je mets en scène sur différents supports-débris de chantier récupérés de ci de là.
Ces photographies sont choisies en fonction de leurs supports. C’est la matérialité et la forme du fragment qui m’inspirent dans la sélection de l’image à apposer dessus.

Brigitte Zieger

© Brigitte Zieger

Ces Sculptures 3D ont été réalisées à l’aide d’un outil numérique populaire, capable de reconstituer un volume à partir de quelques images du même objet. Les erreurs et les incompréhensions de ce logiciel sont multiples et les visuels qui en résultent correspondent particulièrement aux problématiques abordées par Brigitte Zieger dans l’ensemble de son travail, confrontant régulièrement images et volumes. Ici, recréer un volume à partir d’une prise de vue photographique et assumer l’incomplétude de la reconstitution, permet à l’artiste de questionner métaphoriquement ce qui reste des événements à travers des documents et des médias numériques contemporains. L’espace représenté produit des formes à la fois typiquement numériques et comme déliquescentes, parlant ainsi simultanément de futur et de ruines, d’un passé (des luttes sociales en l’occurrence) s’abîmant dans une mémoire numérique fragmentée et un monde en phase de dématérialisation. Cette installation sera l’occasion pour le spectateur de se retrouver ainsi physiquement inclus dans une proposition formelle appréhendable autant sur le plan poétique et sensoriel, voire esthétique, que sur le plan conceptuel.
Ce projet a été sélectionné par la commission mécénat de la Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques qui lui a apporté son soutien.

INFORMATIONS PRATIQUES

mer01nov10 h 00 minsam16déc(déc 16)19 h 00 minBiennale de l’Image Tangible de Paris 20233ème édition Organisateurbit20--paris

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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