Temps de lecture estimé : 5mins

Pour sa quatrième et dernière carte blanche, notre invité de la semaine, Éric Cez, l’un des fondateurs de la maison d’édition Loco et Président de l’association France Photobook, a choisi de nous parler de la jeune photographie. Un projet d’édition est d’ailleurs en cours pour réunir les regards de cette jeune génération de créateurs, née dans les années 1990. Il nous présente ici trois photographes rencontrés dans le cadre de son métier d’éditeur : il s’agit d’Arthur Crestani, Théo Giacometti et Cédric Calandraud.

Je disais combien notre position d’éditeur de livres de photographie nous offre une place privilégiée pour observer toute une création en train de se faire. Cela reste, il me semble, la principale motivation de notre métier que de découvrir de nouveaux auteurs, de repérer des œuvres talentueuses et qui nous semblent suffisamment abouties pour faire l’objet d’un livre. J’ai envie de livrer ici quelques-unes de ces rencontres avec quelques représentants d’une jeune génération de créateurs, celle née dans les années 1990, avec lesquels Loco travaille sur un premier livre.

© Arthur Crestani

© Arthur Crestani

Arthur Crestani est diplômé en urbanisme de Sciences Po Paris, et en photographie de l’école Louis Lumière. Cette double formation se retrouve dans le travail qu’il mène depuis 2018 dans le territoire de la Seine-Saint-Denis. Plaine de France explore à travers de longues marches dans ce que l’on pourrait qualifier des « lieux sans qualité » du Nord parisien. Outre sa détermination et l’opiniâtreté à entreprendre un travail au long cours qui doit prendre fin cette année, j’ai été impressionné par la juste distance de son regard sur les gens et les lieux. Malgré un dessein quasiment performatif de vouloir rendre compte de l’ensemble du département, son projet ne tente pas de dresser l’inventaire d’un territoire. Il reprend plutôt à son compte la déambulation urbaine d’un Guy Debord, laissant ouverte la rencontre poétique avec des habitants, avec les formes d’un paysage ou d’une architecture. Il crée ainsi, toujours au format vertical, des situations qu’il peuple de personnages « mythologifiés ».
http://arthurcrestani.com/

©Théo Giacometti

©Théo Giacometti

Théo Giacometti a un parcours professionnel atypique. Il exerce plusieurs années comme chef cuisinier avant de se mettre à l’écriture, qu’une enfance en montagne a nourri de poésie et de grands espaces, et de publier deux romans. C’est par passion et en autodidacte qu’il se met à la photographie. J’ai rencontré Théo autour de son projet Pour qui chanteront les sirènes qui prend comme argument la montée des eaux en Camargue et l’avenir de ses habitants face à la disparition de leur territoire (de Port Saint-Louis du Rhône jusqu’à Aigues mortes et Arles). Attaqués de toute part par la mer qui ronge les plages, les décrets qui veulent raser les cabanons et les touristes qui envahissent les villages, les Camarguais tentent de maintenir debout un rêve qui s’effondre. Mais que restera-t-il de tout cela ?
J’aime comment, malgré son approche documentaire, quelque chose échappe aux codes du documentaires et se fictionnalise. Un récit prend corps. On ne sait pas quand l’eau va briser les digues pour reprendre ses droits, dans ce grand marais où les hommes ont voulu s’installer, on sait juste que cela sera inéluctable…
https://theogiacometti.com/

Dans une ville de 2700 habitants, Charente-Limousine, Novembre 2022.
Amélie et Laetitia, 24 ans, sont belles-sœurs et toutes les deux issues de la communauté des gens du voyage sédentarisés. Je les ai rencontrées à l’occasion d’un atelier photo organisé au centre social du Chemin du Hérisson qui les accompagne dans leurs démarches administratives. Elles ont choisi de poser ensemble et de s’habiller à l’identique. C’était l’une des premières fois qu’elles laissaient leurs enfants à la maison avec leur mari et prenaient un temps pour elles.
© Cédric Calandraud

Sur le chemin de la stabulation dans un hameau d’une quinzaine d’habitants, Est-Charente, Août 2022.
Julie, 14 ans, est fille d’éleveur laitier. Cet été, pendant les vacances scolaires, elle aide son père dans les tâches quotidiennes de la ferme où elle se charge notamment de la traite des 80 vaches. L’année prochaine, elle envisage de faire une formation en pâtisserie.
© Cédric Calandraud

Cédric Calandraud, sociologue de formation, opère par la photographie un retour sur ses origines populaires dans cette petite ville de La Rochefoucauld en Charente. Il dresse le portrait d’une jeunesse restée au village et qui est en apprentissage, travaille comme assistante maternelle ou caissière de supermarché. Ce sont les cousins de Cédric, leurs amis ; il est l’enfant du pays, ce qui change totalement sa position de photographe, il observe tout en vivant avec eux. On sent dans ces images que l’appareil photo est devenu transparent. Et une grande beauté point de ses clichés en noir et blanc, accentuant l’atemporalité de cette jeunesse, son ennui à emprunter toujours les mêmes rues, à se retrouver le samedi soir au Galion, la dernière boîte de nuit des environs. On pense aux récits d’Annie Ernaux. On découvre beaucoup de grandeur dans les portraits posés de ces adolescents et jeunes adultes qui vivent dans ces régions, qui doivent imaginer un après monde rural, un après la fermeture des usines, un après désengagement des services publics.
https://cedric-calandraud.com/

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

    You may also like

    En voir plus dans L'Invité·e