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Nous poursuivons aujourd’hui, la publication du journal de bord du photographe Pierre-Elie de Pibrac, actuellement en Israël dans le cadre de son projet « Exil ». Un périple qui le mena à Cuba puis au Japon, en pleine crise sanitaire du coronavirus avant de clore cette trilogie familiale en Israël. Ces pays ont le même point commun, celui d’interroger la place de l’individu au sein du corps social, dans des pays aux frontières fragiles et/ou souvent isolés dans leurs régions.

Shalom, shalom !

Avant de vous raconter la suite de nos aventures, je souhaite préciser que ces correspondances, tout comme mon projet photographique, sont dépourvues de toute dimension politique. Bien que l’actualité soit terrible dans cette région, mon intention est simplement de partager avec vous nos expériences personnelles et professionnelles, sans émettre de jugement. Les événements tragiques au Proche-Orient plongent la région dans la violence, entraînant tous ceux qui aspirent à la paix dans un engrenage de tristesse et de malheur. Veuillez noter également que ce journal de bord est forcément décalé par rapport à l’actualité.

Environ 200 missiles ont été envoyés par l’Iran le 1er octobre. Ils ressemblent à de véritables comètes dans le ciel. Sur la photo de droite, l’un d’eux est intercepté par le Dôme de Fer.

Israël est en deuil. L’attaque terroriste du 1er octobre à Jaffa a fait 7 morts.

Résumé de la première newsletter

Dans notre dernière édition, je vous ai raconté notre arrivée à Tel Aviv, nos premières rencontres et le lancement de notre projet avec Guila et David dans le nord d’Israël. Nous avions conclu sur une note d’inquiétude, marquée par l’attentat survenu près de chez nous et l’attaque de l’Iran, qui avait lancé près de 200 missiles balistiques sur Israël.

De retour à Jérusalem

En seulement un mois, tant de choses ont changé.
Un mois s’est écoulé, mais nous avons l’impression qu’il s’en est passé six.
Suite à l’attaque de l’Iran, Olivia et moi avons pris le temps d’évaluer la situation avec calme, refusant de céder à la panique et nous avons, pour l’instant, décidé de rester.
Avec Guila, nous sommes retournés à Jérusalem pour rencontrer le Père Gabriel, un prêtre éthiopien vivant sur le toit du Saint-Sépulcre. Cette rencontre m’a offert une chance rare d’approfondir ma compréhension de cette communauté, considérée comme transparente dans la société de Jérusalem.
Nous avons également accompagné Ibrahim, un Palestinien du quartier de Silouane, et sa famille dans la récolte des olives sur leurs terres centenaires. Bien que menacée par des colons sous prétexte de « réserve naturelle », une partie de leur propriété reste encore précieusement cultivée par cette famille forte et résiliente.
La journée fut particulièrement riche et intense puisque nous avons aussi échangé avec un prêtre copte, ainsi qu’avec un habitant d’une colonie située sur les toits de Jérusalem.
Le projet avance, mais il soulève sans cesse des questions sur les paradoxes de cette société, peuplée de personnes issues de centaines de pays différents, aux cultures diverses et, souvent, porteuses de visions diamétralement opposées quant à l’avenir du pays.

Un an déjà. Le 7 octobre 2024 Israël se recueillait pour la mémoire des 1 207 victimes de l’attaque terroriste du Hamas et des 101 personnes encore en otage.

Un prêtre éthiopien sur les toits du Saint-Sépulcre à Jérusalem.

Commémorations du 7 octobre

Le 7 octobre 2024 a marqué le triste « anniversaire » du massacre perpétré par le Hamas. Malgré l’interdiction de rassemblements de plus de 300 personnes imposée par le gouvernement, de nombreuses manifestations ont eu lieu, témoignant de la volonté des gens de se recueillir, se souvenir et se faire entendre. L’atmosphère était lourde de tristesse et de désespoir. Un an déjà depuis les massacres, un an que des centaines de personnes sont otages à Gaza, et qu’une guerre ravage cette région à seulement quelques kilomètres d’ici, avec les civils comme principales victimes.

Rencontre avec un survivant du massacre de Nova.

En réponse à cette commémoration, le Hezbollah et le Hamas ont lancé une importante salve de roquettes sur Israël. Lors du retentissement des alarmes, les enfants étaient à l’école, en sécurité dans le mamad, et nous avons été immédiatement informés par la directrice de leur situation. Nous les avons retrouvés à 16h20, en pleine forme et parfaitement sereins malgré l’alarme entendue le matin même. Il est donc vrai qu’on finit par « s’habituer à tout ».
Depuis, d’autres événements similaires ont ponctué notre vie. Les Israéliens ont un mot pour décrire cette réalité quotidienne : « balagan », ce terme évoque le chaos, le désordre, mais un désordre auquel on apprend à faire face, un chaos organisé où, malgré tout, la vie continue.

De formidables échanges

Ce mois d’octobre fut intense, marqué par des rencontres avec des dizaines de personnes passionnantes, aux histoires fortes et éprouvantes. Guila a également été profondément émue par leurs récits et leurs regards chargés de désespoir. Ces échanges nous transportent à chaque fois dans un véritable tourbillon émotionnel.

Une rencontre attendue et authentique

David et Guila se rencontrent enfin!

La rencontre entre Guila et David a enfin eu lieu. Lors d’une soirée organisée par des survivants de Nova, au milieu de témoignages bouleversants et d’œuvres poignantes exposées sur les murs, ils ont tout de suite trouvé une connexion naturelle. Cet échange reste pour moi un précieux moment de partage.

Avec les “déserteurs de Dieu”

Le village palestinien de Lifta. A droite, le portrait de David et moi-même a été pris juste après la photo réalisée dans le mikva de Lifta qui a nécessité un petit bain!

Les oliviers d’Ibrahim dans le quartier de Silouane à Jérusalem.

Mohamed et Gineh après 3 heures de dur labeur et de patience pour la réalisation d’une mise en scène! Photo @ David Kashtan

Le lendemain, avec David, nous sommes partis à Jérusalem pour rencontrer des « déserteurs de Dieu », des ultra-orthodoxes qui ont fait le choix de changer de vie, d’aller vers le monde laïc, un choix difficile que l’on appelle ici « retourner à la question. » Ces échanges profonds et intenses m’ont donné l’envie de raconter l’histoire de l’un d’eux, qui est encore entre ces deux mondes, à travers une mise en scène au mikvé de Lifta, un village palestinien niché au cœur d’une vallée de Jérusalem, un lieu chargé d’histoire qui suscite de nombreuses controverses. Cette mise en scène permet de saisir toute la profondeur de ces vies et la complexité des choix personnels face aux traditions.

Interception, dans le ciel de Haïfa, d’une vingtaine de roquettes tirées par le Hezbollah.

Prière d’un Palestinien sur un parking en haut du Mont des Oliviers.

Prière d’une pèlerine africaine devant le tombeau de la Vierge Marie.

L’Esplanade des Mosquées (ou Mont du Temple pour les Juifs) totalement déserte. Un site au centre de toutes les tensions.

Derrière chaque habitant d’Israël se cache une histoire unique

Il est impossible de raconter toutes mes rencontres, mais certaines m’ont particulièrement marqué. Il y a d’abord Shula, survivante du massacre du kibboutz Réïm, que nous avons retrouvée à Tel-Aviv, déplacée avec 150 autres familles suite au 7 octobre. Puis Mohammed, Abdo et ses enfants, Palestiniens du village de Jisr Al-Zarqa, où j’ai souhaité retourner pour documenter la vie dans cette ville qui semble avoir été mise à l’écart de la société. À Haïfa, j’ai également rencontré Vadim, dont la famille ukrainienne, composée de sa mère et de sa sœur, traverse un récent deuil. Enfin, il y a Ziv, un soldat de réserve ayant servi six mois à Gaza, qui cherche à concilier la défense de son pays avec son désir de paix, en s’investissant dans un programme éducatif prônant la tolérance et l’ouverture.
Chacune de ces histoires m’a inspiré un profond sentiment d’admiration et de respect.

Un temps de fêtes !

Hugo au milieu d’un groupe de cyclistes sur l’autoroute à Tel-Aviv le jour de Yom Kippour.

Début octobre a aussi été marqué par les célébrations de Roch Hachana (le nouvel an juif que nous avons célébré dans une famille de Jérusalem) et de Yom Kippour, le jour du grand pardon. Ce jour-là, l’autoroute est désertée par les voitures, et nous avons profité de cette tradition unique pour y faire du vélo en famille et avec des amis.
Ensuite est venu Souccot, la fête de la joie et des cabanes, un moment festif en Israël durant lequel de nombreuses cabanes sont installées dans l’espace public pour célébrer l’événement. Dans l’après-midi, la mort de Yahya Sinwar, chef du Hamas et cerveau du 7 octobre, fut annoncée. Des cris de joie et de soulagement retentirent sur la plage et dans les rues à l’annonce de sa mort, ravivant un nouvel espoir pour la libération des otages. Même les sauveteurs en mer prirent le micro pour diffuser la nouvelle depuis leur poste de surveillance.
Cependant, quelques heures plus tard, cette ferveur s’était teintée d’inquiétude, alimentée par la crainte de représailles et de nouveaux attentats. Par prudence, nous avons préféré rester chez nous le lendemain, et les enfants ont pu en profiter pour se reposer. Le jour suivant, alors que j’étais à Haïfa avec Vadim et sa famille, 180 roquettes ont été interceptées par le Dôme de fer. C’était à la fois impressionnant et irréel à observer.

Des vacances culturelles

Un Israélien assis sur un mur en ruine de la citadelle de Massada avec, en arrière plan, la mer Morte et la Jordanie.

Les enfants ont eu une dizaine de jours de vacances, et nous en avons profité pour visiter des lieux emblématiques comme le Mont des Oliviers, Gethsémani, le tombeau de la Vierge, le Mur des Lamentations et l’Esplanade des Mosquées. Nous avons été profondément émus par la beauté de ces sites, leur importance dans l’histoire de l’humanité, et leur rôle dans les tensions actuelles.
Il est difficile de comprendre comment des lieux si spirituels, empreints de tant de beauté, puissent être le théâtre d’enjeux idéologiques mettant en péril des populations et divisant des communautés autrefois unies par des racines communes.

Hugo flottant dans la mer Morte.

Nous avons également exploré Beit Guvrin et Massada, des sites historiques impressionnants et succombé au charme du sel de la mer Morte. Les enfants ont flotté avec délectation dans cette eau unique, ravis de cette sensation inédite ! Sur le chemin du retour, nous sommes tombés par hasard sur les ruines d’un parc d’attractions abandonné, englouti par les dolines omniprésentes autour de la mer Morte, ajoutant une touche surréaliste au paysage.

Olivia, Alma et Thao au milieu d’une route totalement détruite par des dolines au bord de la mer Morte. Les dolines sont des crevasses qui se forment lorsque la roche calcaire sous la surface est dissoute par les eaux souterraines. Elles sont apparues autour de la mer Morte à la fin des années 1980.

Conclusion : Un mois d’une intensité folle

En conclusion, ce mois intense a été marqué par des rencontres humaines bouleversantes, des traditions célébrées malgré les tensions, et des événements tragiques qui rappellent la dure réalité de cette région en guerre.
Fin octobre, Israël a riposté à l’attaque de l’Iran. Nous sommes donc à nouveau sous la menace iranienne, qui nous maintient dans un climat de tension élevé. Évidemment, nous espérons tous vivement une désescalade avec l’Iran, le retour des otages et un apaisement des conflits au Liban et à Gaza.

Yalla Yalla

À LIRE
Dernier chapitre d’une trilogie familiale, le photographe Pierre-Elie de Pibrac en Israël


L’aventure de Pierre-Elie de Pibrac au pays du soleil levant Premier Chapitre, l’installation et la découverte
L’aventure de Pierre-Elie de Pibrac au pays du soleil levant Deuxième Chapitre, face au coronavirus
L’aventure de Pierre-Elie de Pibrac au pays du soleil levant Troisième Chapitre à Yūbari
L’aventure de Pierre-Elie de Pibrac au pays du soleil levant Quatrième Chapitre à Fukushima
L’aventure de Pierre-Elie de Pibrac au pays du soleil levant Cinquième Chapitre retour de Fukushima
L’aventure de Pierre-Elie de Pibrac au pays du soleil levant Sixième Chapitre, clap de fin

La Rédaction
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