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Rencontre avec Romain Semeteys, fondateur de Le Chassis

Temps de lecture estimé : 7mins

Fondateur de la plate-forme Le Chassis, directeur artistique de l’espace Arondit et commissaire pour les Barreaux et autres lieux ou galeries d’art, Romain Semeteys est un jeune homme pressé mais courtois et ponctuel. Ce n’est pas sur l’emblématique site des « Grands Voisins » que nous le rencontrons mais à la galerie Eric Mouchet rue Jacob à l’occasion de son exposition « Va-et-vient ».

9 lives : Comment jonglez vous entre ces multiples activités et avez vous un domaine de prédilection ?

Romain Semeteys :
Finalement tout se rejoint autour de la vocation première du Chassis à savoir le soutien à la jeune création, donc peu importe les moyens ou la casquette pour y arriver ! Au quotidien je me partage principalement entre notre espace-projet Lechassis des « Barreaux » aux Grands Voisins dans le XIVème, l’espace Arondit dans le marais et mon bureau chez moi dans le XVIIIe. Tout finit par s’entrecroiser un peu à l’image des artistes qui sont à la fois plasticiens, régisseurs, professeurs,…
A titre personnel plus j’avance, plus je préfère gérer un lieu comme Arondit ou la résidence des Barreaux de A à Z entre la programmation, l’accueil des artistes, la communication, la médiation, l’intendance, le ménage.. Cela permet de voir le cycle entier. Je réfléchis d’ailleurs à ouvrir un espace plus grand et assez ambitieux avec d’autres partenaires…affaire à suivre !

9 lives : Pourquoi une résidence de création aux Barreaux ?

R. S. :
Nous sommes arrivés aux Grands Voisins au tout début de l’aventure, nous y avions nos bureaux pour recevoir nos collaborateurs et la revue papier. Fin 2015 pour la Nuit Blanche nous avons décidé d’inviter un artiste pour le week-end de façon spontanée, Anne Charlotte Yver, ce qui a suscité beaucoup de curiosité. Un mois après on a renouvelé l’expérience, et de fil en aiguille nous avons décidé d’enlever nos bureaux pour en faire un lieu dédié pour les artistes. Atypique et ne donnant qu’une vitrine de la rue nous sommes arrivés à la conclusion qu’il devait aussi servir à la production, une des premières difficultés que rencontrent les artistes. L’appel à projet a donc découlé de ce constat. Nous avons reçu environ 300 candidatures. Le seul critère était de penser l’espace, d’interagir in situ, pas d’obligation d’âge ou de parcours spécifique. Surtout, nous commençons désormais à recevoir des aides, notamment de la Mairie de Paris, pour pouvoir financer les projets et payer des productions aux artistes. Je me bats vraiment énormément pour ça.

 
9 lives : Vous sentez vous attiré par une famille d’artistes, des affinités particulières avec certains enjeux ou pratiques ?

R. S. : Je ne fonctionne pas vraiment sur des critères de proximité esthétique. Par contre, oui, j’ai beaucoup d’affinités avec des artistes qui font du collectif leur écosystème, qui se mobilisent pour monter des ateliers, des espaces d’expositions;  comme les ateliers Wonder à Bagnolet, Chez Kit à Pantin, Le Doc à Paris ou le futur espace Le Houloc à Aubervilliers. J’aime ce bouillonnement, cette énergie créative. Ça bouge bien !

9 lives : Comment a été conçue l’exposition Va-et-Vient ?

R. S. : C’est avec Léo Marin, directeur de la galerie en charge des aspects jeune création que nous avons envisagé une collaboration il y a 2 ans environ, puis j’ai rencontré Eric Mouchet et décidé de construire ma proposition autour de son profil, son histoire, ses goûts en tant que spécialiste et collectionneur en architecture (expert de Le Corbusier), design, arts premiers, antiquité..Un peu comme un portrait en creux. Le titre « Va-et-vient » plutôt que de renvoyer à la chanson sulfureuse de Gainsbourg désigne l’idée d’un flux, qui nous dépasse comme un mouvement et nous transcende. L’idée de fascination est omniprésente dans l’exposition.

Au lieu de choisir une œuvre pour en parler, je vous laisse ce choix.
Ce sera donc Vincent Voillat qui dans sa démarche artistique et personnelle, accumule un certain nombre de minéraux dans la nature ou en milieu urbain. Il a une large collection de pierres qu’il garde souvent telles quelles pour leurs caractères anthropomorphes ou leurs puissances esthétiques.  Pour cette exposition il leur donne une dimension très spirituelle et ésotérique avec ces croissances chevelues. Au final une certaine ambigüité se dégage devant de tels objets entre vestiges antiques ou fétiches africains, presque animiste. Le fond comme un décor minéral a été constitué d’ardoises découpées en tranche par la seule entreprise en France qui a ce savoir faire. Les signes qui apparaissent sont liés à des codes particuliers utilisés en télépathie. Il faut savoir que pour Vincent ces deux pierres communiquent entre elles, comme deux cerveaux. Le titre de l’œuvre « les Céphalophores » renvoie à la représentation de ces saints qui une fois décapités reprennent leur tête et marchent avec. La composition est révélatrice : Pierre trouvée, cheveux, support acier.

Toutes les pièces se répondent comme avec Cyril Aboucaya (Salon de Montrouge 2012) qui travaille lui aussi sur une certaine ambiguïté avec ces caisses auto réfléchissantes entre préciosité du reliquaire ou caissons de transport posées sur un simple aggloméré. Sa colonne totem qui s’allume de temps en temps joue aussi de cette fascination et confusion entre minimal art, design et symboles funéraires.

L’intervention in situ est signée Justine Bougerol qui a interprété ce passage comme un vestibule de temps. Son côté scénographe ressort face à ce trompe l’œil, ce faux décor avec cette sphère qui génère une illusion d’optique. Une fascination de nouveau comme devant toutes les œuvres, une idée de transcendance. On imagine facilement un temple grec ou tumulus égyptien.

Flavie L.T qui est présente décrit sa pièce entre univers de l’enfance : la cabane au fond du jardin et les règles entre les jeux qui peu à peu se durcissent comme le tipi qui est devenu lance dans une idée de rituel guerrier de passage, d’archaïsme. Un aspect violent et masculin où s’organise autour un paravent créé à partir d’un détournement de tôle ondulé qu’elle fait basculer vers le bois. Des tensions surgissent également entre ces jeux de cubes en marbre intitulés urne avec une toute autre connotation. Et le coquillage qui  avec cette spirale renvoie à un élément féminin et contrebalance le côté architecturé des cubes.
La photographie fait écho aux arcs de triomphe monumentaux ramenés à une plus petite échelle. Pour résumer le concept est d’assembler des contraires et les rendre cohérents. (L’artiste diplômée des Beaux Arts de Paris, faisait partie de l’exposition Jeune Création cette année).
 
On termine ce cheminement avec Mélanie Villemot qui a fait une performance le jour du vernissage. L’ambiance relaxante est procurée par la scénographie reproduisant une chambre et la video d’une séance de nail art pour s’évader vers un rituel précieux ou sacré. « Êta, septième lettre de l’alphabet grec, désigne la viscosité dynamique des fluides. Concept, méthode et produit, Êta est l’initiateur d’un voyage spirituel entrepris lors de la métamorphose d’un ongle ».

9 lives : Comment jugez vous la scène française et la visibilité des jeunes artistes à l’international ?

R. S. : Si on parle de Paris car c’est bien de cela dont il s’agit principalement dans mon cas, tout est à portée de main pour s’installer en s’en donnant les moyens. C’est l’une de plus belles scènes au monde avec une concentration d’artistes, la banlieue qui explose aussi offrant des plus grandes surfaces et une plus grande mobilité de chacun.
Pour la scène internationale où nous ne sommes clairement pas au niveau, il faudrait sans doute créer plus de ponts, de passerelles en invitant des artistes étrangers chez nous. Pour les artistes il ne faut pas forcément partir systématiquement et tout de suite à l’étranger mais d’abord confronter son regard à d’autres formes de création et de mentalités. Le web peut aussi être un accélérateur de visibilité notamment pour faire tourner les expositions à l’étranger.
De notre côté nous visons Bruxelles pour une première étape et transformons la revue papier en anglais exclusivement pour une meilleure diffusion.

INFOS PRATIQUES :
Va-et-Vient
Une exposition de Romain Semeteys
Jusqu’au 7 octobre 2017
Galerie Eric Mouchet
45, rue Jacob
75006 Paris
En savoir plus sur Le Chassis,
magazine, les Barreaux, les expositions…
Le Chassis#3 bientôt disponible !
http://lechassis.fr/

Suivre les actus de Romain Semeteys :
https://romainsemeteys.com

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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