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Planche(s) Contact – Deauville 2019 : La Fabrique Warholienne des rêves 1/2

Temps de lecture estimé : 8mins

A parcourir le festival Planche(s) contact de Deauville 2019, sous la magique présence de Sarah Moon, sa présidente, dixième édition, on se dit qu’au-delà de la programmation de sa directrice artistique Laura Serani et de la volonté de son Maire Philippe Augier (secondé par Philippe Normand) ce festival ambitieux vient de gagner tous ses paris, notamment en étendant son champ d’action et sa zone d’influence, gagnant plus de territoires. Question centrale de la périphérie et du centre en Deauville, une force centrifuge s’exerce. Dix ans de croissances et de rayonnements interrogent cette soif inextinguible de productions, de réussites.

Planche(s) Contact confirme son attachement à la commande publique en élargissant son regard. Après avoir invité les plus grands noms de la photographie à capter l’identité de Deauville, il les convie désormais à explorer également les territoires voisins.“  Laura Serani.

Planche(s) contact s’affirme comme un festival débordant de ressources et d’idées, générant dans une politique culturelle dynamique un surcroit d’authenticité, de savoir vivre, de convivialités.

La programmation est centrée autour des confluences entre littérature, musique, installations, mode, cinéma, et photographie.
La mode de Koto Bolofo inscrit durablement sur la plage cette légèreté joyeuse des années 30, dans un esprit Art déco, l’humour décalé et très américain de Larry Fink se saisit de l’autre partie de la ville, ou l’univers hippique domine…..la musique d’un homme et une femme passe en boucle à la villa Strassburger, le Deauville d’Alisa Resnik guttural et sombre en prolonge la mélancolie tandis que les portraits de Carole Bellaïche témoignent de la vraie vie, celle du marché où les maraichers vendent leur production, une façon de faire répondre la terre nourricière aux charmes de l’univers balnéaire.

Tandis que se fait la nuit sur Deauville entre littérature et citations dans un panorama de lieux choisis, Klavdij Sluban s’attache au centre nerveux du Deauville littéraire dans une nouvelle disposition d’esprit. Il précipite une lecture différente entre ses  photographies monumentales en Noir et blanc, vues de la ville, mais surtout de ses éléments emblématiques dont il fait en soi émerger la puissance fictionnelle, le bar du soleil sous une pluie grise, le casino dans l’ombre de la nuit, la plage dernière butée du regard vers l’infini de l’océan,  nuit ouverte comme une promesse de voyages et de fuites, d’écritures, de romans  et les citations de Maurice Rostand, Paul Morand, Françoise Sagan, Georges Simenon, dont elles sont légendées.

© Klavdij Sluban / Festival Planche(s) Contact 2019

Les rapports d’illustration s’en trouvent confondus, pour qu’une autre fréquence, une autre musicalité puisse s’entendre, bousculant le mythe, afin de rendre plus contemporain ces rapports entre les fréquences des témoignages des écrivains , ces espaces du roman où l’écriture prend en épissure toute la sensation de l’être, sa propre fréquence – Simenon concentre ici cette attention plus intensément-  et ces photographies, arrachées à la nuit, dans un aperçu vibré, comme s’il fallait absolument réinventer ce regard pour que ces mémoires inséminent encore leur part de présences et renouvellent le lien au roman.
Ce changement de fréquence implique un changement de statut, de la vision classique banalisée, on passe au statut proprement poétique de l’image, qui rend au casino en feu l’ambiguïté de sa fascination entre enfer et brasier solaire, fontaine de lumières, soleil de minuit. Ainsi va cette série noire et blanche monumentale, comme un travail mutant, plus organique et plus abstrait, plus intime, cherchant une valeur intérieure. Le ciel nocturne de Deauville est vu à travers un toit circulaire, la plage devient une dune tremblée, surexposée. Ces photographies peuvent se concevoir comme des images mentales, des paysages psychologiques, reliés à l’instant  de leur apparition plus que qu’à la permanence des lieux.

Dans cette photographie qui fait corps, écriture sur écriture, de nouveaux espaces intérieurs se dessinent induisant cette prévalence du vibrato, de la fréquence, du flou de bougé, d’un noir et blanc plus essentiel, voire essentialiste. Klavdij Sluban propose d’autres rapports entre sa photographie et les parts de texte attachés en citation à son corps défendant, n’est-il pas question d’un rapport amoureux, rapport de séduction et non plus de soumission ou de hiérarchie entre le texte et l’ image, mais de glissements progressifs.
Les échos de ce balais nuptial se propagent dans l’infini parce que l’Ici et Maintenant de l’instant créatif re-dessine les rapports de hiérarchie des textes à l’image pour en creuser la réception, l’augmenter, comme s’il s’agissait d’un balais amoureux où les corps des textes, des mots et les images se recouvrent, se découvrent, fusionnent puis se lient dans un nouveau rapport de libertés. On sait que le photographe a beaucoup voyagé autour des Balkans, à l’Est, il s’attache ici à réanimer une autre lecture de Deauville, ouvrant poétiquement son architecture à la nuit, ce noir qui fait sens et photographie, où peut se lire à nouveau la lente respiration d’un imaginaire traversé par la fréquence des mots issus d’un Deauville revenu à toute cette inspiration littéraire et romanesque….

Cavale de Nicolas Comment arcades du magasin Le Printemps © Pascal Therme

Quand la ville se serre sur elle même, se dissout, une nuit de l’âme, voyageant dans son invisible manteau, chez Alisa Resnik, vibratoire chez Klavdij Sluban, plus littéraire, proche du roman, Modiano, Mac Orlan, Kessel, Proust, Simenon, il est une autre intervention d’envergure, celle de Nicolas Comment, dont la narration commence  physiquement sous les arcades du magasin le Printemps. Une série de photographies augmentée de textes raconte la Cavale d’une jeune femme qui se libère de ses liens, pour se poursuivre à l’hôtel Le Normandy dans une installation. L’objet n’est pas classique, Nicolas Comment forge une ballade géo-politique à la Debord  avec une fiction centrale, celle photographiée autour de son personnage féminin, pour faire naître un film mental, fait de multiples éléments qui se superposent, voyagent dans ce récit ouvert.

Dans la suite n° 27 du célébrissime hôtel, Le Normandy, château subsumé en bien des points, Nicolas Comment met en scène cette fiction, il y joint livres, vêtements, pistolet, gant, tout un vestiaire issu du roman policier et une bande son. Les photographies  réalisées lors de cette résidence  approchent le corps- décors de la ville dans une résonance sensuelle, sensible, attaché par le rayon de ses yeux à cette Belle Captive robbe-grilletienne qui ne cesse de hanter la ville décor pour s’en extraire et dont sa femme Milo est l’actrice silencieuse et consentante, mêlant ainsi une sorte de privacy à son récit, corps autonome, fantasmatique et fictionnel.
Nicolas s’est lancé dans cette Cavale à mettre en scène, en photographie, en écriture, en musique, en silence, en fièvre et en tension, dans une contamination, tous les éléments de sa composition majeure,  ceux réels et fantasmatiques qui entrent dans cette fiction ouverte et qu’il fait intervenir en les distribuant adroitement au devant de soi, comme les cailloux d’un petit Poucet, au fil de la déambulation nécessaire du spectateur entre extérieurs et intérieurs. De quelle extériorité et intériorité est-il vraiment question? La pluralité des chants sémantiques cités, construit, quoique on puisse en dire, une complexité de lectures aussi bien un jeu intellectuel.
Jouir du jeu fantasmé retourne ce miroir en soi, miroir qui reflète d’autres miroirs, images qui se perdent à l’infini de ces abîmes créés aux seules fins de croiser la conscience du labyrinthe assez active par l’infini de la fuite où abîmes et trompe-l’oeil enchâssent un récit qui commence à rebours. Cavale est une série circulaire, enroulée sur elle même, comme un oeil hypnotique.
Alain Robbe-Grillet n’aurait pas manqué d’ apprécier les contours d’un érotisme secret où ravissements , aventure, complicité établissent un lien discret avec le principe de ce qui se joue alors devant soi, un conte moderne qui disparait à mesure qu’il se dévide et qu’il devient un  film invisible en soi, intérieur.

>>> Nous vous donnons rendez-vous demain, mardi 12 novembre 2019, pour la suite de cet article.

A LIRE :
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Laura Serani, Directrice artistique du festival Planche(s) Contact de Deauville, est notre invitée
Carte blanche à Laura Serani : Le Festival Planche(s) Contact de Deauville 1/3
Carte blanche à Laura Serani : Le Festival Planche(s) Contact de Deauville 2/3
Carte blanche à Laura Serani : Le Festival Planche(s) Contact de Deauville 3/3

INFORMATIONS PRATIQUES

sam19oct(oct 19)10 h 00 min2020dim05jan(jan 5)19 h 00 minFestival PLANCHE(S) CONTACT 2019Festival Planche(s) Contact, 143 Avenue de la République, 14800 Deauville

Pascal Therme
Les articles autour de la photographie ont trouvé une place dans le magazine 9 LIVES, dans une lecture de ce qui émane des oeuvres exposées, des dialogues issus des livres, des expositions ou d’événements. Comme une main tendue, ces articles sont déjà des rencontres, polies, du coin des yeux, mantiques sincères. Le moi est ici en relation commandée avec le Réel, pour en saisir, le flux, l’intention secrète et les possibilités de regards, de dessillements, afin d’y voir plus net, de noter, de mesurer en soi la structure du sens et de son affleurement dans et par la forme…..

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