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Rencontre avec Sophie Kaplan, directrice de La Criée Rennes et Eleonore Saintagnan, artiste

Temps de lecture estimé : 7mins

Après le Crac Alsace Sophie Kaplan a pris le gouvernail de la Criée en 2012 séduite par ce lieu et les synergies potentielles du territoire rennais. Dans le cadre de la programmation sous forme de saison qu’elle a mis en place elle a proposé à Eleonore Saintagnan sa première exposition monographique. Formée au documentaire de création (le Fresnoy), Éléonore Saintagnan découverte notamment au Salon de Montrouge, réalise des films et des installations, où se mêlent réalité et fiction, conte et ethnographie.

Elle investit et transforme l’espace de la Criée en place de village, un lieu imaginaire qui se situe à la croisée des différents endroits où elle a travaillé (Japon, Corée du sud, Ouessant, Montreuil-sur-Mer, parc du Ballon des Vosges, etc.) sur les traces du bibliothécaire de Richard Brautigan.
Elles ont répondu à nos questions.

Quel bilan faîtes-vous depuis votre arrivée à la Criée ?

Sophie Kaplan Depuis sept ans que je suis arrivée à Rennes et à La Criée, la curiosité du public rennais ne cesse de me réjouir! Le centre d’art accueille à la fois un public régulier d’étudiant.e.s et d’amateur.trice.s d’art, très demandeur de propositions expérimentales et un public diversifié, de plus en plus nombreux, que nous avons à cœur d’accompagner au plus près.

Rennes est la capitale d’un territoire bouillonnant. La Criée participe à ce bouillonnement – je l’espère en tout cas!-, en étant un espace laboratoire où s’invente, se produit, se réfléchit et s’expose l’art d’aujourd’hui et demain.

À mon arrivée, j’ai mis en place deux axes forts dans la programmation, qui courent encore aujourd’hui et qui nous ont permis de développer de développer des relations riches et solides avec nos publics comme avec les artistes : les artistes associé.e.s et les cycles thématiques.

Chaque année, depuis 2013, nous travaillons avec un ou plusieurs artistes associé.e.s. Ce format de collaboration, inédit pour un centre d’art quand je l’ai mis en place, permet d’expérimenter une nouvelle façon de travailler dans la durée avec un.e/des artiste/s, d’être au plus proche du processus créatif et de développer des liens privilégiés avec les publics. Jan Kopp, Yves Chaudouët, Ariane Michel, Yann Sérandour, Julien Bismuth et Félicia Atkinson ont ainsi été artistes associés au centre d’art. Pour cette saison, nous avons également, pour la première fois, associé des auteur.e.s à notre programmation.

Les cycles thématiques donnent quant à eux un rythme, une cohérence, une direction à l’ensemble des actions des saisons culturelles du centre d’art. D’accroche directe, ils ont pour volonté de faire du centre d’art un lieu où l’art se raconte. Je suis convaincue de la nécessité et de la pertinence des récits comme outils de compréhension de l’art en particulier et du monde alentour en général.

Le cycle thématique Lili, la rozell et le marimba (création contemporaine et vernaculaire) et la Revue : genèse et perspectives

SK Le cycle thématique Lili, la rozell et le marimba (2019-2021) propose un ensemble d’expositions, d’évènements et de recherches qui interroge les relations entre savoirs locaux et création contemporaine. Il s’intéresse aux rapports entre cultures dominantes et cultures minoritaires, savoirs véhiculaires et savoirs vernaculaires, inscription locale et globalisation ; il propose d’observer et de donner à voir les renversements permanents qu’opèrent les artistes au sein de ces catégories. Ce nouveau cycle porte donc une attention particulière à la façon dont les artistes travaillent non seulement soit avec les matériaux de leurs cultures d’origine, soit avec ceux des cultures des lieux où il séjournent et vivent, mais aussi avec et entres les différentes formes de cultures (artistiques, artisanales, populaires, savantes, etc.). Ainsi la première exposition du cycle, celle de Seulgi Lee, présentait des œuvres nourries de la culture d’origine de l’artiste (née en Corée du Sud), mais aussi de savoirs et savoir-faire ixcatèque, rifains, poitevins et bretons.

Le titre du cycle reflète cet ancrage ouvert, – créole et archipélagique pour reprendre les termes du philosophe et poète Édouard Glissant. La rozell est un ustensile de cuisine breton, le marimba un instrument de musique hybride d’origine africaine (bantoue) dont l’usage est très répandu en Amérique latine, Lili est un petit nom à multiples consonances.

Synergies sur le territoire : le Frac et au delà

SK Les synergies que La Criée développe avec les autres structures de l’art contemporain sur les territoires rennais et bretons sont nombreuses et variées. En voici trois exemples : nous menons de nombreuses actions artistiques et culturelles communes avec le Frac et le Musée des Beaux-arts de Rennes (par exemple l’exposition Sculpter, qui s’est déroulée dans nos trois lieux au printemps 2017) ; La Criée et 40m3 sont associés au commissariat de la grande exposition d’été La Couleur crue, qui se déroulera cet été au Musée des beaux-arts en parallèle de l’exposition de la collection Pinault au couvent des Jacobins ; nous développons depuis trois ans avec le centre d’art contemporain Passerelle de Brest le programme Territoires EXTRA qui, autour de résidences d’artistes bretons et d’ailleurs, articule une inscription locale forte – en partenariat avec différents partenaires sur les territoires – à un volet international.

La Criée collabore également très régulièrement avec d’autres acteurs culturels rennais et bretons : les Tombées de la nuit, le festival de musique contemporaine Autres Mesures, le festival de cinéma Travelling, l’Écomusée, le Musée de Bretagne, etc.

L’exposition L’Œuf pondu deux fois

Éléonore Saintagnan. Sophie Kaplan connaissait mon travail en vidéo depuis l’exposition de groupe Folklore qu’elle avait organisée au Crac Alsace en 2010. Quand elle m’a invitée pour une exposition monographique à la Criée, elle m’a proposé de présenter un ensemble de vidéos mais l’espace étant un grand white cube, on a dû trouver une solution pour créer des espaces de projection. En voyant l’espace j’ai tout de suite pensé à des cabanes. J’ai aussi montré mon travail de céramique à Sophie qui ne le connaissait pas, c’est quelque chose que je n’avais encore jamais montré. Elle a été séduite et a voulu les exposer, et on a choisi ensemble une série de pots à exposer avec les cabanes. Quant au titre, qui sonne comme une énigme, il est tiré d’un livre de Richard Brautigan.

A quand remonte votre 1er contact avec l’art ?

SK Ma première rencontre avec l’art s’est faite à travers les livres. Il y avait dans la bibliothèque de mes parents quelques livres d’art de l’éditeur Skira, dont le petit format carré correspondait à la taille de mes mains d’enfants. J’ai passé de longues heures à regarder ces livres d’images. Je me souviens surtout d’une monographie de Pieter Brueghel l’ancien, dont les peintures de scènes villageoises, et notamment le tableau Les jeux d’enfants ont prodigieusement nourri mon imagination et mes propres jeux. Ensuite est venue la rencontre physique avec les œuvres et les musées. Puis, plus tard, pendant mes études en histoire de l’art, avec les artistes. Comme Eléonore, cette rencontre avec les artistes a été déterminante et m’a donné envie d’être passeuse non seulement de leurs œuvres, mais aussi de leurs paroles et de leurs univers.

ES Mon père était architecte et ma mère rééducatrice du langage, j’ai grandi dans un milieu très ouvert aux arts en général. Mais mon premier choc disons, esthétique, a été quand mon professeur d’arts plastiques au lycée nous a montré un film documentaire sur la vie et l’œuvre de Gérard Gasiorowski. J’ai été complètement fascinée par ce personnage de grand enfant à la fois torturé et plein d’humour, obsédé par l’idée d’embrasser dans son œuvre toute l’histoire de la peinture. Il appelait d’ailleurs cette dernière Peinture, avec une majuscule et sans article, comme une muse insaisissable. À partir de ce moment-là je me suis mise à m’intéresser aux artistes plutôt qu’aux œuvres d’art, et de manière générale, aux gens plutôt qu’aux objets.

INFOS PRATIQUES
Éléonore Saintagnan,
L’Œuf pondu deux fois
Exposition du 14 décembre 2019 au 23 février 2020
La Criée centre d’art contemporain
Place Honoré Commeurec
35000 Rennes
https://www.la-criee.org

Actualités de l’artiste :
http://www.eleonoresaintagnan.com/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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