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L’exposition Sourtna صورتنا pour l’inauguration du Musée de la Photographie de Rabat

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La Fondation Nationale des Musées du royaume du Maroc annonce l’ouverture du Musée de la Photographie de Rabat, dans l’enceinte du Fort Rottembourg situé dans le quartier de l’Océan. À cette occasion, une carte blanche a été confiée au photographe Yoriyas (de son vrai nom, Yassine Alaoui Ismaili) pour organiser l’exposition inaugurale sobrement intitulée Sourtna صورتنا. Dix-huit photographes de la scène contemporaine marocaine sont ainsi rassemblés dans ce lieu incroyable. Aux commandes de cette aventure artistique, le photographe Yoriyas et la commissaire d’exposition Carine Dolek.

La capitale du Maroc agrandit sa palette culturelle avec l’ouverture d’un musée consacré à la photographie. Un médium particulièrement apprécié par le roi Mohammed VI, fervent collectionneur de photographie. Choisir un écrin comme le Fort Rottembourg, dont la construction a débuté en 1888, n’est pas un hasard. De par sa localisation, il permettra d’offrir un lieu de culture à tous les quartiers de bord de mer de Rabat. Et c’est le jeune photographe de 35 ans Yoriyas qui a été choisi pour inaugurer ce nouveau lieu dédié à l’image.

« Je suis convaincu que le développement visuel fait partie du développement socio-économique d’un pays. Pour moi, cela veut dire que le Maroc est capable de se raconter lui-même en images, que nous sommes capables de produire des images, de les défendre, de les partager, de les montrer et de les regarder » – Yoriyas.

Comme le dit le jeune photographe et commissaire « Dans ma sélection, j’ai rassemblé des auteurs reconnus, des photographes émergents, et des jeunes regards à encourager. C’est important, pour moi, de les montrer ensemble, pour mettre en valeur leur cohérence, leur dynamisme et leur complémentarité, et encourager la transmission d’une génération à l’autre. C’est une chance historique ». Avant d’ajouter « Depuis quelques années, de plus en plus de photographes marocains travaillent et s’expriment, de plus en plus de lieux d’exposition les accueillent et attirent du public. Il n’y a pas encore d’École de la photographie marocaine, mais il y a le désir et la volonté d’auteurs et d’acteurs de la culture pour en poser les fondations ». Dans cette programmation, il est question d’identité, de jeunesse, de sexualité mais aussi de famille et de culture. À travers les regards de ces jeunes auteurs, c’est avant tout une percée objective de la société marocaine d’aujourd’hui.

AU PROGRAMME

AIT WAKRIM Zakaria
« Mon père habite à Dar Bouaza. Il a pour règle d’aller se baigner chaque jour. Et ce, même avec le cancer.
En 2014, quand il m’a dit qu’on lui avait diagnostiqué un cancer, ça a d’abord été le choc.
Tout le monde a la même histoire avec le cancer: d’abord le choc de la fatalité, puis l’acceptation.
L’acceptation, ce n’est pas la passivité. C’est choisir comment gérer, trouver des options. J’ai voulu imaginer un autre chapitre de cette histoire, dans lequel le mot «vie» était utilisé dans sa pleine signification. Je ne voulais pas censurer le mot «cancer», mais plutôt me concentrer sur ce que mon père pouvait continuer à faire et comment il pouvait continuer à vivre avec une certaine dignité tout en restant fonctionnel. Il a pris des traitements, suivi une chimiothérapie, et a dû s’occuper de lui seul, face aux structures de santé débordées où le récit médical a le monopole de la parole. La conquête du récit devient une nécessité, car elle seule permet de donner un sens à ce qui nous arrive. Avec ces images, je me suis réapproprié le récit, et j’ai aussi pu le lui rendre. C’est un travail réflexif. Il se voit chauve sur les images, ça le fait rire. Il se voit après la chimio, il trouve qu’il a l’air en forme, il va aller nager.»

AMAZZAL Abderrahman
«Passionné de photographie, de l’art d’immortaliser les moments éphémères de la vie, je vis ma passion en tant que photographe amateur adepte de la photographie de rue. Ma finalité est d’arriver à faire ressortir toute la beauté d’une situation éphémère dans mes clichés. J’aime la vie, j’aime la rue marocaine, les Marocains et la vie banale de tous les jours. Ces photographies sereines sont prises dans une quasi annulation de la conscience photographique chez le sujet, dans un but de documentation de l’instant-vie, toujours dans la discrétion. L’humain, l’espace public et le temps sont un trio de composants libres et distincts. Ce trio est une nécessité car c’est de lui que découle toute l’histoire spirituelle de la photo prise, dont seul le photographe est en mesure de garder la trace.»

BEN RACHAD Hamza
Dans «Unwanted Skin», Hamza Ben Rachad observe le plastique avec distance, ce matériau polluant de fabrication non biodégradable le plus produit par l’homme. Une matière qui a pris un pouvoir démesuré, qui a révolutionné le quotidien des sujets de ses mises en scène. Ils ne regardent pas l’objectif mais ailleurs, résignés.
Une matière qui submerge l’intérieur des foyers et recouvre les terrasses, devenant une seconde peau, recouvrant les corps et rongeant les visages. En nous sensibilisant à ce désastre écologique majeur, «Unwanted Skin» participe aux prises de conscience individuelles et collectives.

BENDRA Walid
« Je voulais commencer par la photographie argentique pour l’aventure. J’ai tout de suite été fasciné par l’aspect opérationnel : j’ai aimé la technologie, le mécanisme, avoir une place dans le process de fabrication d’une image. On peut fabriquer des lentilles, on peut tout faire! Avec ses 36 poses, l’argentique laisse du temps et de l’espace à la créativité. L’appareil que j’ai trouvé aux puces en 2012 a été le premier de ma collection, j’en ai aujourd’hui une cinquantaine, des moyens formats, des grands formats, des compacts, qui datent des années 30, des années 90, que j’ai achetés d’occasion sur les marchés, sur internet. Je photographie sans cesse, j’ai toujours un petit appareil point and shoot dans ma poche. J’utilise des pellicules périmées pour leur chimie instable qui fait virer les couleurs, je fais des traitements croisés, des double expositions. Chaque jour, je me rend invisible, je me fais discret, et j’observe les gens investir l’espace. Il y a des personnages récurrents, des inconnus, des petites histoires. Le résultat est comme un rêve.»

BENZAQUEN Déborah
Déborah Benzaquen a beaucoup voyagé, du Maroc en France puis aux États-Unis. C’est à New York qu’elle commence à faire des images et expose en 2002 «Casablanca Stories» à la Bombora Gallery de Chelsea, sa première série argentique en noir et blanc. Rentrée au Maroc, elle travaille avec soin ses mises en scène tout en laissant l’espace de l’improvisation à ses modèles. Elle expose ici la série « Sweet Surrender », sur l’adolescance.

BOUBELRHITI Lhoucine
«On sait bien qu’un mur est muet, mais on dit souvent qu’il a des yeux qui peuvent voir, et des oreilles qui peuvent écouter, en faisant allusion à faire attention en parlant des sujets polémiques. Le mur est muet, certes, mais il peut exprimer ce qu’il est, ce que nous sommes. Il cache mais dévoile aussi, il sépare d’une manière, mais rassemble d’une autre. Dans ce travail photographique en cours, j’essaie de saisir l’état des lieux des murs et, par défaut, celui des hommes, appréhender cette place qu’occupent les murs dans notre vie contemporaine.»

EL MADANI Abdel Ali alias Rwinalife
«À travers mes vidéos, je tente de raconter le mouvement et la beauté de Casablanca. «Casa move 3.33» est une série de cinq épisodes dans lesquels je raconte le journal de Rwinalife dans les rues de Casablanca, comment je m’y sens, comment je la vois. Je m’intéresse au mouvement: les gens, les voitures, les bruits, et tout ce qui se passe dans une grande ville comme Casablanca qui ne peut se capter qu’en vidéo, pour montrer comment Casablanca bouge.»

FEDOUACHE Mourad
«Mes parents vendent des citrouilles sur le marché, je travaille avec eux et j’étudie à l’université. C’est là, sur le marché, que j’ai fait mes premières images de street photography avec mon téléphone, en mode selfie parce que l’objectif frontal ne marchait pas. Mes photographies sont un autoportrait, en parlant de mon quartier, elles parlent aussi de moi. Quand ma mère était enceinte de moi, la grossesse était trop dangereuse et elle m’a gardé, contre l’avis du docteur et de mon père. Et je suis là, je vis ici. »

KILITO M’hammed
Ce projet est une réflexion sur le choix d’une identité personnelle chez la jeunesse marocaine, basée sur une sélection de portraits de jeunes qui prennent leur destin en main.
Ces personnes ont le courage de choisir leurs propres réalités, repoussant souvent les limites de la société. Que ce soit par leurs activités créatives, leur apparence ou leur sexualité, ils véhiculent l’image d’un Maroc jeune, alerte, changeant, revendiquant le droit d’être différent et célébrant la diversité.

MARIOUCH Mehdy
Avec «Hammam Diaries» , Mehdy Mariouch utilise son père, qu’on retrouve sur certaines images, pour documenter un lieu de mises à nu, de transmission culturelle et d’héritage social. Les images invitent à pénétrer un monde de l’intime au sein de l’espace public, un lieu de rencontres sociales, où émergent des moments de repos et de fatigue, de joie et de tristesse, de nostalgie et de gaieté, de mélancolie et d’euphorie. Un lieu du partage, de la détente et des souvenirs, un lieu magique où des ombres pâles et évanescentes traversent la vapeur qui remplit l’espace dans tous ses recoins, où l’eau poursuit son chemin habituel, où les silhouettes défilent à longueur de journée.

OULMAKKI Amine
Il y a presque quatre ans, Amine Oulmakki a été chercher les albums photo de sa famille, ces «livres d’images fondateurs, qui détiennent tous les mythes, les espoirs, les fantasmes et les secrets de plusieurs générations», dans les fonds des tiroirs, sous les lits, dans des cartons abandonnés dans les coins, interrogeant ses proches à leur sujet, s’interrogeant également sur sa propre image et ses propres origines. «Ces moments fixés sur du papier parlent de moi, ditil, de ma famille, de la place que j’y occupe et par extension, de celle qui est mienne dans le monde.»
Il a ensuite associé images et récits à des photos d’identité et des pellicules trouvées dans un ancien studio abandonné de son quartier de Rabat, le quartier de l’Océan. Mêlant photographies de famille et photographies anonymes, il crée de nouveaux liens et de nouvelles histoires aux ramifications poétiques car infinies, qu’il matérialise avec la calligraphie.

SERRI Fatima Zohra
«J’ai commencé la photographie il y a trois ans, par curiosité, pour essayer quelque chose de nouveau et rompre la routine du quotidien.
Je l’utilise comme un outil, pour exprimer ma personnalité et mes sentiments, et pour aborder le sujet de la position de la femme dans la société marocaine, en particulier dans le milieu conservateur dont je suis issue. J’ai grandi dans une communauté conservatrice, où les femmes ne sont pas libres de faire ce qu’elles souhaitent.
C’est ce qui m’a poussé à sortir de ma zone de confort et d’essayer quelque chose de nouveau, d’inhabituel dans ma communauté. J’ai le privilège de pouvoir exprimer mes pensées grâce aux images, et refléter la réalité dans la quelle je vis, en proposant quelque chose d’original, toujours avec une touche marocaine. J’essaie de faire en sorte que chaque image soit autonome, raconte son histoire et transmette son message.»

TOUMI Yassine
Yassine Toumi parcourt le Maroc et le continent en quête de la photographie qui en dira plus long que mille mots. En reportage, ses images sont empreintes de sa démarche intrépide et de son regard discrètement curieux. Elles nous font vivre le réel par procuration au travers de sa narration documentaire.
À Casablanca, ce Casaoui de naissance joue à domicile.
Qu’ils nous montrent ce que nos vies frénétiques ne voient plus malgré l’évidence, ou qu’ils enfoncent les portes fermées des recoins que Yassine Toumi connait bien, ses clichés casablancais cachent toujours un symbole de cette ville aux millions de visages. Yassine Toumi y déniche le beau et le cocasse, l’humain et son temps

Alaoui Yassine alias YORIYAS
«Mes photographies, c’est mon voyage au quotidien, un voyage en conscience qui signifie sortir pour aller vers les autres et montrer ce que la routine a rendu invisible : les rencontres dans la rue, les énergies, ces moments où tous les personnages semblent synchronisés. On ne peut pas percevoir ces instants d’harmonie si on ne fait que passer. On ne perçoit que le chaos. Je veux montrer l’harmonie dans le chaos apparent et le mystère de la simplicité. C’est à la fois un voyage de chaque jour et ma lettre d’amour au Maroc.»

ZAIDY Ismail alias L4artiste
«Mes travaux sont essentiellement basés sur la notion de famille et de travail collectif: les images sont le fruit d’une collaboration entre ma soeur, mon frère, ma mère et moi. Ce ne sont pas que des modèles : nous travaillons ensemble sur les idées et nous nous soutenons mutuellement. Nous voulons partager cette belle énergie et promouvoir une culture marocaine loin des stéréotypes.
Avant ma naissance, ma mère était photographe. Elle m’aide beaucoup pour la technique, la composition et nous montre comment trouver et utiliser les tissus, les haïks et les voiles. Je m’inspire du milieu dans lequel je suis né et de mes souvenirs d’enfance: comment s’habillent les femmes de notre quartier ou comment ma mère et ma grande mère utilisent les tissus et les accessoires. L’inspiration vient de ma culture.»

INFORMATIONS PRATIQUES
Sourtna صورتنا
Exposition à partir du 14 janvier 2020
Fort Rottembourg
R322, Rabat, Maroc
http://www.fnm.ma/

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Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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