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Covid19-et art : Katell Jaffrès, chargée de l’art contemporain au Musée d’arts de Nantes

Temps de lecture estimé : 8mins

Nous poursuivons notre tour des acteurs du monde de l’art brusquement impactés par cette situation sans précédent avec Katell Jaffrès au musée d’arts de Nantes à l’occasion de l’exposition prévue « Archipel, Fonds de dotation de Jean-Jacques Lebel ». Co-commissaire de l’exposition chargée des collections d’art contemporain au Musée, elle revient sur les conséquences de la crise malgré la richesse des collections du musée qui restent visibles en ligne.

Les liens entre Jean Jacques Lebel et le musée d’arts de Nantes sont nombreux. D’une part à l’occasion de l’exposition « Présenter l’irreprésentable – Alain Fleischer, Jean-Jacques Lebel et Danielle Schirman » que le musée a organisée au Hangar à Bananes et à l’occasion de sa réouverture en 2017, qui fut la première présentation du fonds de dotation Jean-Jacques Lebel dans l’institution, proposant ainsi un portrait de « l’artiste-collecteur ». A présent il s’agit de dessiner des correspondances et dialogues à partir d’ une sélection de plus de 150 œuvres, modernes et contemporaines, d’artistes connus ou méconnus, anonymes ou certains marginalisés par le marché, sur le principe du rhizome cher à Jean-Jacques Lebel et des chemins de traverse.

Curatrice au Palais de Tokyo de 2007 à 2018 Katell Jaffrès est l’auteur de nombreuses expositions telles que :From one revolution to another, carte blanche à Jeremy Deller, en co-commissariat avec Julien Fronsacq, 2008 ; Inside, en co-commissariat avec Daria de Beauvais et Jean de Loisy, 2014 ;Servitudes, Jesper Just, 2015 ; Patrick Neu, 2015 ; L’addition des détails, Jean-Michel Alberola, 2016 ; Nothing at all, David Ryan et Jerôme Joy, 2016 ; Amalgam, Theaster Gates, 2019

Comment vous organisez vous face à cette crise sans précédent au niveau de la programmation prévue et exposition du fonds JJ Lebel ?

La préparation de l’exposition a été stoppée à quelques jours de son ouverture. La suite dépendra de la durée de fermeture des lieux publics. Soit l’exposition pourra ouvrir avec retard, soit, si la situation de confinement se prolonge, nous réfléchissons à réajuster le programme des expositions à venir.

Quelle démarche avez-vous engagé autour de ce fonds qui se compose d’un millier d’œuvres et quel regard portez-vous sur le fonds ?

Le fonds de dotation Jean-Jacques Lebel, créé en 2013, est un ensemble unique, construit depuis les années 1950. Fruit de dons d’artistes, d’échanges avec des créateurs amis, de choix de Jean-Jacques Lebel, il est aujourd’hui composé de plus de 1 000 œuvres.
Nous proposons un regard sur les composantes de ce fonds, les axes qui le définissent, les problématiques qui l’animent. Nous sommes amenés à contempler des œuvres qui vont du XVIIIème siècle jusqu’aux avant-gardes modernes, comme une traversée dans l’histoire de l’art.
Selon moi c’est une invitation à regarder l’histoire de l’art hors de ses catégories, de sa chronologie, suivant des effets d’associations, de ramifications, de polysémie. Le surréalisme par exemple a une place importante dans le fonds autant par des personnalités fondatrices et dont Jean-Jacques Lebel a été proche, lorsqu’enfant il a côtoyé à New York des artistes comme André Breton, que par l’influence de leurs regards sur l’art et le monde. Une idée pleinement en phase avec la démarche du fonds. Jean-Jacques Lebel qui incarne et porte ce fonds, ne se positionne pas en tant que collectionneur mais collecteur.

Quels ont été vos partis pris scénographiques pour organiser le parcours ? 

Le projet à l’image du musée est transversal et permet de regarder plusieurs décennies d’œuvres. C’est un co-commissariat avec Cécile Bargues, historienne de l’art.
Il était important pour Cécile Bargues et moi de rendre compte de ce que le fonds représente comme en tant que parcours, qu’il s’est constitué à travers de nombreuses rencontres artistiques et humaines, amitiés entre Jean-Jacques Lebel et un certain nombre d’artistes de sa génération. Au centre du musée, dans le Patio, lieu incontournable et emblématique du musée, nous avons travaillé et conçu avec les scénographes une structure échaffaudée qui permet de faire se croiser un certain nombre d’œuvres tout en répondant au volume du lieu. C’est un carrefour, une vision en construction, en devenir, qui soutient et confronte des œuvres de différentes époques et provenances géographiques, hors de toute hiérarchie ou de tout courant. Autour de cette structure dans les galeries latérales nous avons créé un ensemble d’espaces qui permettent de faire des focus autour d’un certain nombre de lignes de force comme le regard surréaliste ou d’artistes importants dans le fonds comme Isabelle Waldberg par exemple, proche de Georges Bataille et relativement occultée dans l’histoire qui s’est écrite. Cette volonté de donner de la visibilité à ces artistes est essentielle à Jean-Jacques Lebel pour qui les visibles doivent côtoyer les moins visibles.

Chargée de l’art contemporain au Musée d’arts de Nantes, en quoi cette nouvelle aventure représente-t-elle un défi dans la continuité après le Palais de Tokyo ?

Le musée d’arts de Nantes a toujours eu une programmation d’art contemporain riche et cela a été renforcé lors de sa réouverture en 2017 avec l’inauguration du Cube, nouvelle extension dédiée aux collections contemporaines. L’art contemporain s’inscrit aussi à l’extérieur, sur le parvis et au sein de la Chapelle de l’Oratoire et bien entendu le patio qui a accueilli des artistes internationaux majeurs tels que Susanna Fritscher et James Turell. Le musée qui offre un large panorama en art ancien et moderne a toujours veillé à ce que sa collection reflète les préoccupations de son temps. C’est pour moi une continuité avec en même temps un contexte différent puisqu’ici je m’inscris dans la programmation d’un musée et sa collection, ce qui fait son âme. C’est une perspective nouvelle dans un lieu qui propose autre chose que de l’art contemporain. Bien entendu chaque exposition est toujours une nouvelle aventure, ce qui était déjà le cas au Palais de Tokyo, quand il s’agissait de rendre compte des spécificités du travail d’un artiste. Autant d’expériences qui se suivent et se nourrissent les unes les autres.

A la Chapelle de l’Oratoire « IDIR » Carole Douillard et Babette Mangolte, genèse et enjeux

Ce premier film de Carole Douillard, artiste qui vit à Nantes, de 2018, s’inscrit dans la question de la performance et du corps dans un contexte à la fois social, culturel et politique. Ce jeune homme marche dans la ville d’Alger en rejouant la performance de Bruce Nauman Walking In an Exaggerated Manner Around the Perimeter of a Square avec ce que cela implique dans l’espace urbain. La performance, filmée par la cinéaste franco-américaine Babette Mangolte, révèle le regard et l’attitude des passants observant ce jeune homme. Même si ce lieu, la chapelle, a un décor baroque très présent, ce film seul dans l’espace s’y déploie comme une installation. On finit par oublier assez vite l’espace environnant. De plus le sol de la chapelle, sur lequel est projeté le film, s’offre comme une continuité du sol urbain foulé par Idir, tissant des allers et retours entre Nantes et la ville d’Alger. Cet espace loin du white cube offre une formidable caisse de résonance.
Ce dispositif fait écho à la construction de la collection vidéo du musée avec un certain nombre d’œuvres acquises dans les années 1990 autour de cette question du corps et de l’espace.

A quand remonte votre 1er contact avec l’art ?

Mon intérêt pour l’art a été déclenché alors que je prenais des cours d‘histoire de l’art à l’école des beaux-arts, alors que j’étais au lycée. La passion de la professeur d’histoire de l’art pour la Renaissance Italienne m’a atteinte et conduit à poursuivre des études d’histoire de l’art à l’université.
J’y pense souvent car on rencontre ainsi des gens qui ne mesurent pas toujours l’impact qu’ils ont pu avoir sur notre parcours. J’ai eu la chance depuis de rencontrer cette femme et le lui dire. Une transmission de savoir important qui a en quelque sorte entrainé le reste !

INFORMATIONS PRATIQUES
Dans le cadre de l’épidémie de Coronavirus et des mesures annoncées en lien avec les services de l’Etat le musée est fermé depuis le dimanche 15 mars.
Retrouvez les collections en ligne
Visionner le teaser ici
• Archipel, le fonds de dotation Jean-Jacques Lebel
Prévu initialement du 20 mars au 31 mai 2020
• IDIR Carole Douillard et Babette Mangolte
Jusqu’au 30 août 2020
Musée d’arts de Nantes
10 rue Georges-Clemenceau
44 000 Nantes
Horaires
Ouvert du lundi au dimanche, de 11 h à 19 h, nocturne le jeudi jusqu’à 21 h.
Tarif plein 8€ / Tarif réduit 4€
https://museedartsdenantes.nantesmetropole.fr/home.html

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Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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