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Carte blanche à Françoise Paviot : Gilles Gerbaud, De l’aire au Cabanon vertical

Temps de lecture estimé : 7mins

Pour sa deuxièmes carte blanche, notre invitée de la semaine, la galeriste et commissaire Françoise Paviot, nous présente le travail de l’artiste pluridisciplinaire Gilles Gerbaud. Il réalise des projets artistiques participatifs à caractère social en région.

Les forces vives et créatrices au niveau des régions sont bien souvent, sur le plan national, passées sous silence et pourtant elles participent, à leur façon, à la construction de la culture. A l’occasion de mes déplacements, j’ai régulièrement découvert des initiatives artistiques mises en place par des structures qui prennent en compte une population qui ne pensait pas forcément en être les partenaires. Je l’avoue, j’étais loin de les connaitre toutes. Mais force est aussi de constater que la pratique photographique sur le terrain du social n’accède pas toujours à la visibilité qu’elle devrait avoir et n’est pas toujours considérée à sa juste valeur.

Dans mon « coup de cœur » , Cendrine Genin nous a permis d’en découvrir certaines. Avec Gilles Gerbaud, artiste avec qui je travaille depuis de nombreuses années, je souhaitais continuer cette réflexion sur la lisibilité et la reconnaissance des projets artistiques participatifs à caractère social mis en place en région.

Gilles Gerbaud est diplômé des Beaux-Arts de Paris. Nous nous sommes rencontrés à sa sortie de l’école à l’occasion d’une exposition astucieusement organisée par Yves Michaud, le directeur de l’époque, à l’intention des galeries qui souhaitaient rencontrer les jeunes diplômés. Depuis, nous travaillons ensemble et certaines de ses images ont rejoint, notamment, la collection du FNAC. Il pratique la photographie mais aussi le dessin.

En 2003, Gilles a quitté Paris pour s’installer près de Valence. Chaque semaine il revient vers la capitale pour assurer des cours à l’école d’art plastique mis en place par la ville de Suresnes. Ces cours s’adressent, selon les besoins, aussi bien à des adultes, des adolescents qu’à des classes maternelles et primaires. En région Rhône-Alpes et PACA, il a très vite continué à développer son activité de photographe dans le domaine du « socio-culturel ». C’est ainsi qu’il a rejoint, l’association « De l’aire », créée par Elisa Dumay (1), avec laquelle il collabore régulièrement et participe à des missions qui ont pour objectif de faire le lien entre l’urbanisme, le social et la culture. Ces missions sont élaborées pour des communes confrontées à des programmes de renouvellement urbain qui souhaitent mettre en place une communication effective avec les habitants. Je ne peux que vous conseiller d’aller voir le site de cette association et de regarder en particulier l’exemple de «  Bossieu, un centre bourg vivant réaménagé collectivement ». Il me semble que les images parlent d’elles-mêmes et permettent de comprendre clairement pourquoi et comment cette association s’appuie sur la culture comme moyen essentiel pour faire participer les habitants à un processus de renouvellement dans leur commune.

Bossieu © Gilles Gerbaud

Dans un autre domaine, mais avec le même état d’esprit, Gilles Gerbaud a commencé à intervenir, toujours en photographie, dans le cadre du Cabanon vertical (2) , cette fois-ci en collaboration avec Raphaël Chipault, avec qui nous travaillons également. Le Cabanon vertical est un collectif pluridisciplinaire dont les actions portent sur l’aménagement des espaces publics dans les quartiers en difficulté. Les images reproduites ici prennent l’exemple de la communauté comorienne installée à Marseille où Le Cabanon vertical a été missionné par le service politique de la ville pour agencer un espace, déjà investi par cette communauté, mais qui ne bénéficiait pas d’aménagement spécifiques adaptés à l’échange et à la rencontre .
Ces photographies répondent à une prise de conscience par le Cabanon vertical de la nécessité de mettre en place une documentation visuelle et sonore des lieux tels qu’ils vivaient une fois aménagés. Dans les image suivantes et toujours à Marseille , Gilles et Raphaël ont rencontré, avec Laurence Vidil pour la partie sonore, des enfants dans un espace aménagé selon les besoins exprimés par les habitants, pour en documenter les usages. Cette observation de l’appropriation de l’espace public par les jeunes s’est faite de façon informelle en dehors d’ateliers proprement dits, mais elle s’est construite avec leur complicité. Une façon d’éveiller leur curiosité, de leur faire découvrir aussi ce que peut être la photographie.

Le cabanon vertical © Gilles Gerbaud / Raphaël Chipault

Sans faire de généralisations hâtives, et qui ne seraient pas justes, on peut quand même avancer que ce mode d’action n’est pas toujours porté à sa juste valeur par le monde de la culture et par les médias. Je cite Gilles, « certaines instances culturelles font parfois preuve d’une certaine réserve face aux actions artistiques tournées vers le socio-culturel. » Si le Ministère de la Culture et les Drac apportent un soutien, c’est plus souvent, la ville, le département ou la commune qui vont porter les projets jusqu’à leur réalisation.  Entre le monde de l’art et le monde de l’action culturelle les nuances sont parfois difficiles à comprendre et certains ont plus que d’autres. Comparer ainsi, et toute proportion gardée, le Projet Médicis de Clichy Montfermeil et ceux de l’association De l’aire peut permettre d’entamer une réflexion utile. (3)

Le cabanon vertical © Gilles Gerbaud / Raphaël Chipault

La figure de l’artiste n’est pas uniquement une question de marché ou de classement dans des tableaux d’honneur ou d’excellence publiés par certains médias. Beaucoup d’entre eux s’investissent en région, construisent la culture tout en assurant aussi un quotidien bien souvent très modeste. Dans la récente exposition «  Le rêve d’être artiste » un panneau indiquait : « On compte 150 000 artistes plasticiens en France dont 5% seulement vivent de leur production artistique »(4). Le Rapport récemment élaboré par Bruno Racine est aussi éloquent.(5) En parallèle, il est utile de dire que l’économie de la pratique artistique ne relève pas seulement d’une économie du marché de l’art et ne se traduit pas uniquement dans des œuvres produites par l’artiste. « La production photographique ne s’est pas constitué que sur des objectifs marchands » précise Gilles, « c’est dans un second temps que nombres d’objets photographiques font œuvre ». Mais il tient aussi à dire que si toutes ces pratiques qui accompagnent des réalisations collectives produisent de la culture, elles produisent aussi des objets dont on ne sait si ils trouveront un jour une place, un lieu pour en conserver la mémoire. Et ceci est un autre débat…

Construire la culture ne veut donc pas dire automatiquement produire des œuvres. Par contre, ces expériences localisées dans un processus d’engagement discret et parfois modeste, participent toutes d’une façon concrète et efficace à cette construction assumée avec une grande conviction. Tout en revendiquant leur individualité artistique, ceux qui en sont les acteurs s’interrogent avec générosité et ouverture sur la portée de cet engagement. Dans le cadre de telles interventions, il ne s’agit pas pour eux de se faire accompagner, mais en tant qu’artiste, d’accompagner autrui. « Ce que doit être l’art », conclue Gilles Gerbaud : « cela s’apprend des deux côtés ».

(1) http://www.delaire.eu/
(2) http://www.cabanonvertical.com/
(3) https://www.telerama.fr/sortir/ateliers-medicis-ca-tatonne-a-clichy-montfermeil,n5684218.php
(4) « Le rêve d’être artiste, l’exposition qui raconte comme les artistes sont devenu(e)s des artistes. » Palais des Beaux Arts de Lille – 20 septembre 2019 – 6 janvier 2020. https://pba.lille.fr
(5) https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/L-auteur-et-l-acte-de-creation

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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