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Carte blanche à Françoise Paviot : Qu’est-ce qu’un vintage ?

Temps de lecture estimé : 8mins

Pour sa troisième carte blanche, notre invitée de la semaine, la galeriste et commissaire Françoise Paviot, prend le temps de nous décrypter les subtilités d’un tirage vintage. Des éléments essentiels pour préserver la mémoire de ceux qui les ont faits et pour mieux appréhender l’histoire de la photographie

Bellatrix Hubert, codirectrice de la galerie Zwirner observait récemment « Nous n’avons pas la mentalité fétichiste du vintage ou de l’attention exacerbée au tirage ». Pierre Gassmann m’avait de son côté déclaré un jour : « le vintage, c’est de la préciosité ridicule ». Quant à Henri Cartier-Bresson, après m’avoir demandé, lors d’une visite à la galerie : « mais pourquoi montrer mes vieux tirages alors qu’il en existe de si beaux maintenant ? », il est reparti en ajoutant : « des vintages j’en ai, mais dans une valise sous mon lit » (1) . Par contre, Michel Nuridsany écrivait à l’occasion d’un de ses articles  : « Ceux qui critiquent les vintages, sont ceux qui n’en ont pas ».

Etymologie et chambre noire

Dans le dictionnaire anglais Webster, le substantif signifie « vendange » mais aussi «  a superior wine from a single year » (2). La forme adjectivale complète cette définition avec les termes : importance, meilleur, qualité, intérêt, durable. Ces différentes dénominations se rejoignent sur deux axes , celui du temps à travers une notion de datation et celui d’une valeur à travers une idée de qualité. Dans le petit guide édité au tout début des années 80 par l’APO, Association pour la défense et la promotion de la photographie originale, le vintage est défini comme « un tirage d’époque, contemporain de la prise de vue ».

Le tirage est un moment qui se révèle bien souvent essentiel dans l’existence d’une photographie. On a coutume de dire que le photographe, à l’image du chef d’orchestre , interprète, dans sa chambre noire, une partition : le négatif. Ce fameux négatif à propos duquel des jeunes étudiants en marché de l’art (3) m’ont demandé un jour : « mais Madame, c’est quoi un négatif ? ». Les mêmes étant stupéfaits d’admiration devant l’image apparaissant dans le révélateur, lors d’une visite au laboratoire Dupon que je m’étais empressé d’organiser grâce à Thomas Consani (4). Maurice Tabard écrivait en 1930, à propos du tirage dans la chambre noire : « Oui, quelle que soit l’expérience que l’on puisse avoir de son métier, la naissance de l’image dans le révélateur est toujours une découverte, une surprise. A ce moment là les idées jaillissent, les analogies s’assemblent et suggèrent la trouvaille d’une superposition ». Inutile d’ajouter que c’est dans son laboratoire que le photographe peut décider ou pas de son cadrage, intervenir sur les basses ou les hautes lumières…. et faire advenir ce que son œil et sa sensibilité lui dictent. Que de fois n’ai-je pas entendu certains d’entre eux me dire : « cette image je ne veux plus la tirer », comme si leur regard l’avait épuisée. « La photographie, un multiple rare » commente souvent Alain Paviot.

L’importance du papier

Un autre élément intervient dans cette définition , c’est le papier. Ce fameux papier qui, au fil du temps, a perdu peu à peu cette richesse en sels d’argent qui en faisait toute la profondeur et le rendu des nuances.


En 2007, c’est ainsi qu’on assistait à l’implosion des usines Kodak de Chalon-sur-Saône, ultime présence de la marque en France. D’autres ont suivi.

« L’argentique se meurt, l’argentique est mort. La technologie numérique a fait basculer la pellicule photographique dans le domaine de l’histoire et du patrimoine ». Ainsi s’exprime le photographe canadien Robert Burley parti ,dès 2005, à la découvertes de ces lieux aujourd’hui vides. Pour le photographe et théoricien Michel Campeau, « les chambres noires sont quasiment des vestiges archéologiques d’une époque qui a construit en grande partie la photographie. Armé d’un appareil numérique, pied de nez aux défenseurs conservateurs de l’argentique, il fixe l’obsolescence des lieux (5) ». Publiée en 2007, son ouvrage Darkroom a été le premier titre de la collection Parr/ Nazraeli Press .

Assiste-t-on à la disparition d’une culture matérielle de la photographie ? Bogdan Konopka, dont j’aime passionnément les tirages, me disait souvent : « Tu vois cette image, c’est un vintage ». Elle avait été tirée sur ce fameux papier japonais Oriental qui faisait ses délices et qui n’existait plus sur le marché. Mark Ruwedel m’a plusieurs fois demandé de lui renvoyer des tirages que j’avais en dépôt car il n’avait plus le papier qu’il souhaitait pour les tirer à nouveau. Quant à Aki Lumi (6), une de ses photographies de très grand format tirée sur un papier Ilford a été détruite dans un transport. Il lui a été impossible d’en produire un nouvel exemplaire, là aussi faute du papier nécessaire.

Les natures dites mortes, 2010 © Bogdan Konopka

Garden © Aki Lumi

Le tirages postérieurs

A la différence du tirage d’époque, il peut exister de la même image des tirages postérieurs exécutés longtemps après la prise de vue, sous le contrôle du photographe, si il est encore vivant, ou non si il est décédé. Prenons l’exemple de Bérénice Abbott tirant dans les années 30 des négatifs d’Atget après le décès de celui-ci. En terme d’objet photographique, les résultats sont différents des originaux, le papier n’est plus le même, l’intention non plus. Mais grâce à ce travail, réalisé il y a presque cent ans, nous pouvons avoir en main des images dont les tirages sont très rares à trouver ou ont complètement disparu. Par contre, on peut lire au dos de ces photographies les informations qui précisent la date, le tireur et le commanditaire.

Tirage original Atget / Tirage Atget Bérénice Abbott

Alors qu’on lui demandait un jour si il tirait lui-même ses images, Robert Doisneau a répondu « Je ne mets pas mes enfants à l’assistance publique ». Cependant, de leur vivant, les photographes n’ont pas toujours tiré ou ne tirent pas eux-mêmes leurs images. Dans ce cas, la figure du tireur devient essentielle car il s’établit entre lui et l’auteur de l’image une complicité et un échange indéfectible. Je tiens à préciser que cette remarque peut aussi s’appliquer aux tirages numériques avec l’exemple de Jocelyne Alloucherie (7). Jocelyne fait réaliser ses images dans de très grands formats et avec des techniques numériques très élaborées. Récemment, elle a dû renoncer à en produire certaines, l’imprimante utilisée ayant été démontée et le conducteur n’était plus là.

Les occidents 2005 © J. Alloucherie

Enfin dernier point, et cela me semble aller de soi, si l’image est vraiment inintéressante ou dans un mauvais état de conservation, le fait d’être un vintage ne lui donnera pas plus de valeur ou d’intérêt.

Opposer argentique et numérique en terme de valeur, esthétique ou marchande, va à rebours de ce qui se passe actuellement. Une bonne partie des artistes avec qui nous travaillons utilisent l’argentique ou le numérique selon leurs choix. Les changements technologiques sont en train de redéfinir de façon irrémédiable le medium photographique et en comprendre les enjeux est passionnant. C’est dans cette intention que j’avais organisé une rencontre autour de L’esthétique de l’argentique et l’esthétique du numérique qui, grâce aux intervenants, s’est révélée d’une grande richesse (8) .

Quel que soit le cas de figure, il est nécessaire de connaitre ce qu’on regarde ou ce qu’on achète et une bonne galerie doit être capable d’expliquer avec précision la nature des oeuvres qu’elle propose. Faire la différence entre un tirage vintage avec toutes ses caractéristiques techniques et esthétiques voulues par l’artiste et un achat sur une borne ou un site internet me semble importante. A ceux qui trouvent que la photographie est trop chère, je conseille de découper l’image de leur choix dans un magazine et de la punaiser au mur. Par contre, comprendre et avoir dans l’œil cette notion de vintage, me semble essentiel à la fois pour préserver la mémoire de ceux qui les ont faits et pour l’histoire de la photographie.

(1) Un vin millésimé et de grande qualité . René-Jacques appelait souvent ses « vintages » des millésimes.
(2) Henri – Brigitte Ollier – Filigranes Editions – 2003
(3) L’ IESA, où j’enseigne depuis plus de dix ans l’histoire et le marché de la photographie.
(4) Thomas Consani est tireur argentique noir et blanc chez Dupon-Phidap.
(5) https://photophiles.com/index.php/ceux-qui-font-la-photo/1079-darkroom-de-michel-campeau
(6) https://akilumi.fr/fr/
(7) http://www.jocelynealloucherie.com/iiix/home/
(8) https://www.cnap.fr/esthetique-de-largentique-esthetique-du-numerique

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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