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Normandie Impressionniste : Bruno Peinado au SHED et Flora Moscovici à l’Académie, symphonies de l’impermanence…

Temps de lecture estimé : 5mins

« La couleur au jour le jour » , fil rouge de Normandie Impressionniste 2020 imaginé par le commissaire Philippe Piguet a remarquablement trouvé un écho chez les artistes contemporains invités par Jonathan Loppin, fondateur du Shed (relire notre interview du 30 juin et hommage d’Antoine de Galbert) : Bruno Peinado dans le bâtiment principal de l’association, ancienne usine de mèches à bougie et Flora Moscovici dans la nouvelle antenne du Shed, l’Académie. Chacun dessine un paysage coloré et miroitant dans le sillage des impressionnistes, repoussant les limites de l’abstraction esquissées par Monet ou Turner.

Avec Bruno Peinado on plonge dans le kaléidoscope du « spectacle d’un feu » , titre référence à Sénèque et clin d’oeil avec Notre Dame, l’usine rouennaise Lubrizol ou les forêts d’Amazonie comme l’artiste nous l’explique. Quand la maison brule, tout s’embrase et nous avec ! Le regardeur devient vite partie prenante de ce jeu d’apparition et de disparition grâce au mécanisme inventé par l’artiste en réponse à ce lieu au passé industriel encore présent : de grands miroirs suspendus à double face qui font danser l’espace et basculer dans une autre dimension. L’alternance entre la surface réfléchissante et ces tableaux abstraits au revers induisent un état de sidération proche de celui traversé pendant toute cette période d’épreuve et d’introspection. L’immersion se poursuit ensuite dans le 2ème temps, avec ce rideau qui serpente et vibre, autres traces de picturalité mises en scène comme un théâtre. Troublant et fascinant à la fois.

Autant de questionnements qui au delà de l’héritage des avant-gardes invitent à penser le devenir du monde pictural de demain par delà les errements du monde d’hier : inclusif et nuancé, « contre l’exclusion systématique des altérités qui touche nos états » comme le résume si bien l’artiste dans un dialogue complice et fécond avec Jonathan Loppin. Assurément cette mise en abyme est une nouvelle remise en cause particulièrement aboutie de sa démarche que nous avions pu apprécier notamment au MRAC Occitanie à l’occasion de l’invitation carte blanche de Sandra Patron en 2016 : « Il faut reconstruire l’hacienda » , au moment de l’extension du centre d’art.

Avec Flora Moscovici « Décoration, quelle horreur ! » citation empruntée à Francis Bacon, le ton est donné dans cette ancienne Maison Pélissier, bâtiment bourgeois à colombages qu’elle met un malin plaisir à déconstruire et réinvestir du nuancier de son invention ! Dès la rue l’exposition est annoncée par des anciennes affiches utilisées comme des socles-palettes, sur les volets du rez-de-chaussée. Puis les traces du passé domestique et patrimonial du lieu (moulin à moudre, salles des fêtes de mariage..) et les différentes portes (qui agissent comme des seuils), sols authentiques, vitres, briques, et marbres ont été soigneusement gardés par l’artiste qui recouvre alors de peinture tous les murs, boiseries et plafonds. Les couleurs choisies renvoient à ses pérégrinations aux alentours et impressions ressenties face au lieu. Les néons ont été volontairement remplacés par de grosses ampoules (installation lumineuse de Nicholas Vargelis) peintes qui ajoutent au côté faux semblant à l’ensemble. Pour cela, elle utilise un gros pistolet à peinture, dont le jet est à la fois brutal et doux dans les mélanges et reliquats fournis. La première salle est conçue comme une salle de bal sous le régime des ultraviolets et des faux noirs afin d’imaginer une performance le soir du vernissage avec Lina Schalgeter et DJ pour les plus fêtards et même si le COVID a empêché cela, l’esprit demeure, comme en résilience…

Depuis la Friche Belle de Mai à Marseille ( « Before the rocks » ), le Voyage à Nantes ( « le temps entre les pierres » ), la Villa Arson ( « dérobées » ) ou New York avec le CNAEI, Flora Moscovici ne cesse de se jouer des ambivalences d’un lieu pour n’en garder que l’essentiel dans une magistrale leçon de peinture.

A noter en parallèle à cette exposition la publication d’un livre édité par le SHED avec la galerie de Multiples qui reprend des textes de trois écrivain.e.s, ami.e.s de l’artiste : Marcel Devilliers, Amélie Lucas-Gary et Théo Robine-Langlois.

INFOS PRATIQUES :
Bruno Peinado, Briller et disparaitre/ Le spectacle d’un feu
Flora Moscovici, Décoration quelle horreur !
du 11 Juillet au 15 novembre 2020
Le SHED, centre d’art contemporain de Normandie
• Site Gresland :
12 rue de L’Abbaye
76960 Notre-Dame de Bondeville
Ouverture du vendredi au dimanche de 14 à 19h
• Site de l’Académie :
96 rue des Martyrs de la Résistance
76150 Maromme
Ouverture tous les jours de 14 à 19h
Soutenir le Shed en adhérant !
http://www.le-shed.com

Normandie Impressionniste c’est aussi au Havre, Caen, Jumièges, …
Jusqu’au 15 novembre 2020
www.normandie-impressionniste.fr

A LIRE :
Selma Toprak et les 10 ans de Normandie Impressionniste
Rencontre avec Sylvain Amic, directeur Beaux Arts de Rouen : « Les musées peuvent devenir un lieu de remédiation possible de la société en prise avec les questionnements qui la traverse »

 

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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