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Rencontre avec Françoise Pétrovitch : La Villa Savoye, Nuit Blanche et « Forget-me-Not »

Temps de lecture estimé : 8mins

A l’occasion de sa participation à la Nuit Blanche 2020, de son exposition pour la Villa Savoye et de son exposition personnelle à la galerie Sémiose, Françoise Pétrovitch revient la période que nous avons traversé et son impact sur deux expositions majeures l’une à la BNF et l’autre au fonds culturel Hélène et Edouard Leclerc, maintenues mais reportées en 2021.

La villa Savoye que ses propriétaires surnomment la « Villa des Heures Claires » sans doute à cause de cette lumière panoramique diffusée par les fenêtres en bandeau sur la façade libre et immense baie vitrée imaginées par Le Corbusier est considérée comme une icône du modernisme architectural. Le couple de commanditaires désirant une maison de campagne à 30 kms de Paris au milieu d’un grand parc, fait appel à Le Corbusier qui y dépose ses 5 grands principes et la conçoit comme une promenade avec cette rampe qui du rez-de-chaussée au solarium, dessert toute la villa. Découvrir les formes pures et si parfaites de ce parallélépipède posé sur pilotis sous une journée de soleil est un bonheur ! De cette « machine à vivre » et à habiter, l’artiste Françoise Pétrovitch se saisit par petites touches dans le sillage d’Eugénie Savoye, personnalité dont elle fait revivre les choix et les audaces. L’artiste va jusqu’à adapter sa propre palette à celle de l’architecte puriste. Une petite mélodie de l’absence et de l’entre-deux s’installe entre un bouquet qui se fane, le chat qui sommeille dans la cuisine, des gants laissés devant une fenêtre, des adolescents songeurs… dans des gris, des roses, des terres de sienne…Entrez dans la machine à rêver de Françoise Pétrovitch !

Habiter la Villa, Françoise Pétrovitch présentation presse villa Savoye, CMN, photo Marie de la Fresnaye

Pourquoi avoir choisi le lieu parmi d’autres monuments emblématiques possibles ?

J’avais le souvenir de cette maison que j’avais découverte assez jeune et revue ensuite avec autant de fascination. Quand le Centre des Monuments nationaux m’a proposé un certain nombre de monuments dont des châteaux beaucoup plus imposants, je me suis dit que les villas Le Corbusier étaient moins nombreuses et la Villa Savoye, la plus emblématique de toutes à mon sens. Si j’avais déjà investi des châteaux, ici c’était l’unique occasion de ma vie !

Pourquoi la figure d’Eugénie Savoye comme point de départ ?

Cela m’a permis de mesurer à quel point nous étions dans une vraie maison même si elle n’est plus habitée depuis très longtemps et qu’elle est devenue une icône.

Réflexion sur les choix chromatiques de Le Corbusier

J’ai vu que la villa était très colorée finalement avec des bleus très particuliers, terres de sienne, des gris, des roses. Je me suis dit qu’il serait intéressant pour faire corps avec ces murs de travailler à partir de la gamme colorée de Le Corbusier. C’est une gamme encore éditée par le suisse Sadura qui reste assez difficile à trouver.

Habiter la Villa, Françoise Pétrovitch présentation presse villa Savoye, CMN, photo Marie de la Fresnaye

Le caractère volontairement domestique et familier de vos interventions

C’est comme si la maison n’était pas vide mais presque vide avec des traces de présence : un bouquet laissé à l’entrée qui va peut-être se faner, le chat qui est là dans la cuisine..

Sculpture « Jane » pensée pour le solarium au départ

Cette sculpture en bronze doré mêle le végétal et le corps sculpté. Je l’avais prévue pour le solarium qui m’aurait plus intéressé avec son côté solaire très ouvert et jardin suspendu, mais son poids nous en a empêché. Aussi j’ai décidé de la placer en péristyle à l’entrée comme au seuil entre intérieur et intérieur.

Présence de la vidéo pour la première fois

J’ai choisi cette salle de bain qui n’est pas du tout connue, au contraire de celle des parents en bleu qui est reproduite dans de nombreux ouvrages. Elle est toute petite entre la chambre du fils et la chambres d’amis. Elle est commune à ces deux chambres avec cette baignoire et je lui donne une dimension très intime par ce son que l’on entend et qui nous attire de l’extérieur tellement la pièce est discrète. J’ai laissé visible la fenêtre donc on aperçoit le paysage et en même temps je recréé un petit paysage avec des goûtes d’eau, des choses très fines.

Les oiseaux

Ils font partie de mon registre et je trouvais intéressant de les mettre à l’étage car ils se trouvent vraiment à hauteur d’arbres près de ces fenêtres d’où on n’aperçoit que les feuilles. Ces oiseaux viennent comme un écho de l’extérieur comme si l’extérieur rentrait à l’intérieur de nouveau.

Françoise Pétrovitch, Nuit Blanche 2020 courtesy l’artiste

Nuit Blanche au Petit Palais

C’est une adaptation et version plus courte d’un spectacle joué sur scène ( 40mns).Spectacle réalisé avec Hervé Plumet  vidéos et son et Sylvain Prunenec chorégraphe. Comme nous étions dans le jardin du Petit Palais j’ai eu envie de m’installer au-dessus des bassins d’eau pour doubler les images par les reflets. Et laisser la nature interagir avec l’installation.

Le titre « Se laisser pousser les animaux »

Le titre était déjà là. C’était le titre d’une de mes expositions il y a  10 ans où mes sculptures avaient  des protubérances avec un côté animal et humain. Je voulais reprendre cette idée de choses qui poussent, qui prolongent et  nous font être différents.

Françoise Pétrovitch, Nuit Blanche 2020 courtesy l’artiste

Réception par les visiteurs

Le bilan a été très positif des impressions que j’ai pu recueillir et du nombre de visiteurs présents (jauge vite atteinte).

Comment avez-vous pu envisager ce projet malgré la pandémie ?

Jusqu’au bout on ne savait pas si cette Nuit Blanche allait avoir lieu. Ce n’était pas simple car tout s’est décidé assez vite à la fin du confinement, toutes les réunions techniques se sont faites par vidéo-conférences, on ne pouvait pas se rassembler et échanger autour des maquettes, préparer en réel les choses. Percevoir la dimension physique de l’espace.

Françoise Pétrovitch, Nuit Blanche 2020 courtesy l’artiste

Dimension théâtrale du lieu

J’ai en effet joué sur cette dimension en me concentrant sur le bassin, avec le reflet de l’eau qui donnait un aspect assez vertigineux. Le tout était assez magique de nuit. Ce qui a été intéressant aussi était le vent qui soufflait assez fort et faisait bouger les voiles et les images projetées. J’ai voulu rebondir sur les éléments naturels  (eau, vent, végétation envahissante, corps du danseur performatif) comme le suggérait le titre de cette Nuit Blanche avec des éléments sur scène au départ très contrôlés. La performance du danseur Clément Lecigne était aussi fragilisée par le froid et l’eau.

L’exposition à la galerie Semiose

Forget-Me-Not Françoise Pétrovitch à la galerie Sémiose Photo A.Mole

Le titre Forget-Me-Not renvoie aussi au titre de l’une de mes œuvres, une grande sculpture réalisée avec la manufacture de Sèvres, un bouquet géant à partir de myosotis (Forget-Me-Not en anglais). Comme il y avait eu ce temps de pause du au confinement, je voulais introduire cette relation à la distance que nous ressentons tous en ce moment.

Choix des œuvres et parcours

Nous voulions avec Benoît Porcher, exposer des réalisations récentes, réalisées pendant le confinement ou après et beaucoup de peintures et dessins. Nous voulions nous concentrer sur la peinture et le papier sans volumes.

Lucy

J’ai peint cette figure, ma fille, et d’autres ont suivies. Je les trouve assez justes avec le moment que nous vivons. On a l’impression de découvrir des choses du monde que l’on connaissait déjà, sans savoir si on se cache les yeux pour ne pas voir ou si ce sont les mains des autres qui nous empêchent de voir. Tout ce jeu sur ce que l’on décide de voir ou pas. Et ce qu’on peut voir.  Un moment assez incertain comme un geste ambigu.

L’opacité du blanc réduite

C’est une volonté de réduire la lumière dans ma peinture. C’est encore assez nouveau et en phase de recherche.

Impact de la pandémie sur vos projets : la BNF et le fonds Hélène et Edouard Leclerc

L’exposition à la BNF a été reportée au printemps 2021. Elle couvre l’ensemble de mon travail gravé que je réalise depuis toujours  que l’on connait peu.
En ce qui concerne le Fonds Hélène et Edouard Leclerc à Landerneau ils m’ont invité et connaissaient mon travail. J’avais réalisé avec eux de grandes lithographies et gravures par le biais de la maison d’édition Mel Publisher fondée par Michel Edouard Leclerc. C’est aussi une histoire de rencontre et d’amitié. La commissaire sera Camille Morineau. Le parcours sera rétrospectif pour la première fois. La publication d’un catalogue accompagnera l’exposition

Interview à suivre de Benoît Porcher, directeur de la galerie Sémiose…

INFOS PRATIQUES :
Habiter la villa de Françoise Pétrovitch
Jusqu’au 24 janvier 2021
Villa Savoye
82 rue de Villiers
78300 Poissy
Ouvert tous les jours sauf le lundi
http://www.villa-savoye.fr/

Forget me not
Galerie Sémiose
Jusqu’au 24 octobre 2020
44, rue Quincampoix
75004 Paris
https://semiose.com/home/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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