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Vous avez jusqu’au 22 janvier, pour découvrir « Echo », la seconde exposition présentée dans le nouvel espace de la Galerie Bigaignon située en plein cœur du Marais. Jean de Pomereu n’est pas un artiste représenté par la galerie, cette exposition est organisée dans le cadre d’un programme curatorial annuel que la galerie propose aux visiteurs et aux collectionneurs. Pour suivre sa volonté d’être « une galerie d’art contemporain photosensible », Thierry Bigaignon a choisi Jean de Pomereu pour sa réflexion autour du médium photographique. À première vue, difficile de déceler ce qui se cache derrière l’abstraction de ces images. Est-il même utile de le savoir ? Nous avons rencontré cet artiste singulier…

Jean de Pomereu est tour à tour photographe, reporter, chercheur, historien… Il est ce qui s’appelle un « polyvalent », mais il a une seule obsession : les régions polaires et plus spécifiquement l’Antarctique. Depuis plus de 20 ans, il se consacre à se territoire en danger, source d’admiration et des questionnements.

« Cette visualité abstraite parle de choses réelles, de choses qui se passent actuellement, la géométrie et la transformation des mondes polaires de façon poétique, non littéral. »

9 Lives : Pouvez-vous vous présenter ?

Jean de Pomereu : Question difficile (rires!)
J’ai fait des études d’Histoire de l’art, d’Histoire et j’ai rédigé une thèse historique sur la science. Depuis plus de 20 ans, mon travail se focalise sur les régions polaires et tout particulièrement l’Antarctique. Mais contrairement à la plupart des gens qui ont un métier qu’ils appliquent à différents sujets, j’ai un seul sujet et différents métiers. Je suis polyvalent, je mêle reportage, recherche historique et photographie. Cela me donne une perspective très large sur l’ensemble de ce continent qu’est l’Antarctique, sur la glace et bien inévitablement sur le changement climatique.
C’est le reportage qui m’a mené sur ce territoire. J’accompagnais des expéditions en Antarctique pour faire des reportages photographiques et accompagner des expéditions scientifiques. J’ai très rapidement été séduit. J’ai donc souhaité approfondir le sujet en rédigeant une thèse sur l’Histoire de l’exploration des calottes glacières, ces grosses masses de glace qui recouvrent l’Antarctique et le Groenland et qui sont les composantes centrales dans la problématique climatique d’aujourd’hui…

© Jean de Pomereu Amplification. Courtesy Galerie Bigaignon

© Jean de Pomereu Anomalie. Courtesy Galerie Bigaignon

Ensuite ma passion pour la photographie remonte à longtemps, à mon enfance. J’avais une attirance particulière pour l’abstraction, à cette époque je réalisais de petites compositions abstraites. Et lorsque je suis arrivé en Antarctique, je me suis retrouvé dans une abstraction englobante à 360°. Dans ces paysages il n’y a aucune végétation, on est dans une sorte de vide sidéral, ça m’a immédiatement passionné. Durant une quinzaine d’années j’ai donc photographié ces régions polaires en cherchant à traduire l’abstraction que l’on retrouve là-bas. J’ai utilisé le Noir et Blanc, la couleur. Lorsque les premiers photographes sont arrivés sur place au début du XXe siècle, ils avaient une vision classique et romantique, ils essayaient justement d’apprivoiser ces étendues blanches en plaçant des personnages ou des objets. Lorsqu’il y avait un bateau, ils le gardaient dans la composition, pour donner un sens de lecture et d’échelle à l’image. Ce qui était tout à fait logique pour l’époque, cela a d’ailleurs donné lieu à des corpus d’images magnifiques. Moi, lorsque j’arrive, 90 ans plus tard, inutile de faire ce qui avait déjà été fait. C’était justement l’absence de personnages et d’objets qui étaient fascinant. Et cela m’a mené vers ce type d’images.

Ensuite, dans le cadre de mes recherches historiques, je suis tombé sur des fonds d’images du début de l’exploration en Antarctique, des négatifs sur plaque de verre qui ont été pris par des photographes qui documentaient ces explorations. Avec un ami éditeur en Belgique, nous avons eu l’idée de travailler avec ces institutions qui possèdent ces archives. Nous sommes aussi tombé des images scientifiques, des images cartographiques qui me servent aujourd’hui de matière première. Ces documents s’inscrivent dans l’histoire, mais aussi dans les questions d’aujourd’hui sur le changement climatique.

© Jean de Pomereu Fragmentation. Courtesy Galerie Bigaignon

© Jean de Pomereu Fragmentation. Courtesy Galerie Bigaignon

« Nous sommes bombardés d’images dans les médias où l’on voit des icebergs et des falaises de glaces qui s’écroulent, mais on nous le présente comme étant les effets du changement climatique, alors que ce sont des processus normaux qui se déroulaient bien avant l’humanité. Le danger, c’est la fréquence de des transformations. C’est cela que je souhaitais traduire visuellement. Et pour être au plus près de ce qui se passe réellement. »

© Jean de Pomereu Anomalie. Courtesy Galerie Bigaignon

9 Lives : Pouvez-vous nous présenter la série « Les Échos » qui est actuellement exposée à la Galerie Bigaignon. Pourquoi ce titre ?

J.D.P. : Pour cette série, je travaille à partir d’images d’archives. Ce sont des images topographiques aériennes utilisées pour la cartographie. Entre les années 50 et 70, des avions balayaient le continent avec des caméras trifocales placées sous le fuselage. Ces avions volaient en ligne droit et les appareils se déclenchaient automatiquement : une vue en plan vertical et deux en plans obliques pour photographier l’horizon. Les clichés ne sont pas de la main de l’homme, il n’y avait pas de photographes, mais cela reste un véritable travail photographique ! Des centaines de milliers d’images sont nées ainsi et ont été utilisées pour tenter de cartographier le territoire, mais ce n’était pas très précis et cette technique a rapidement été supplantée par les satellites. Ces archives ont donc été mises de côté, elles ne servaient plus à rien, jusqu’au jour où ce fond a été numérisé et rendu accessible au public.

Après 15 ans, je sentais que j’était arrivé au bout de mon travail photographique. Celui de capturer l’abstraction du grand blanc, de ce grand vide. Ayant connaissance de cet énorme matière disponible, j’ai pensé qu’il serait intéressant d’en faire quelque chose de nouveau. J’avais la nécessité d’aller plus loin, d’aller vers quelque chose de plus plastique, de m’éloigner de la photographie pure, tout en gardant le médium comme terreau. J’ai commencé à faire des expérimentations. Je voulais transformer ces images de manière à ce qu’elles fassent écho à la façon dont l’humanité impacte ces zones difficilement accessibles.

Nous le savons, nous sommes en train de réchauffer notre planète, l’auteur britannique Ian McEwan le décrit comme « le souffle chaud de la civilisation ». C’est ce que je souhaitais traduire, mais sans le faire de façon littérale, je ne suis pas un scientifique, il ne s’agit pas de montrer les fissures des glaciers, mais de l’évoquer à travers quelque chose de plus poétique. À travers les déchirures, les collages, les incisions et les réassemblages, je voulais que mes gestes fassent écho à l’impact global de l’humanité.

Nous sommes bombardés d’images dans les médias où l’on voit des icebergs et des falaises de glaces qui s’écroulent, mais on nous le présente comme étant les effets du changement climatique, alors que ce sont des processus normaux qui se déroulaient bien avant l’humanité. Le danger, c’est la fréquence de des transformations. C’est cela que je souhaitais traduire visuellement. Et pour être au plus près de ce qui se passe réellement.

9 Lives : Comment est composée cette exposition ?

J.D.P. : La majorité des œuvres présentées sont composées à partir de ces images d’archives prises en plan vertical, c’est de la topographie et ce sont juste des carrés d’abstraction, c’est très difficile à interpréter en fait. L’exposition débute avec une image en plan oblique, où l’on voit l’horizon qui nous permet de nous situer. C’est un peu le point de départ avant de s’aventurer dans ces étendues blanches, et de progresser vers une abstraction plus radicale où il est difficile de savoir où on est, mais on a les clés pour le comprendre grâce à cette première image.

J’ai travaillé sur de la céramique, j’ai utilisé des carreaux de faïence de différentes tailles, sur lesquels j’ai apposé un support transparent, préalablement imprimé en décalcomanie. Le support passe à nouveau au four pour faire fondre la décalcomanie afin qu’elle s’intègre au carreau. Ces photos sont des images de la banquise en formation. C’est le moment où la mer, qui a dégelé pendant l’été, commence à se figer à nouveau. Les températures baissent à l’automne, jusqu’à ce moment très chaotique où la surface se fige. Cette glace créé des formes géométriques très abstraites qui ressemblent à du marbre. Chaque carreau est unique. Volontairement, les carreaux ne sont pas fixés les uns aux autres, j’invite les visiteurs à les déplacer et à les réarranger. On a ce double apport des processus naturels et de la contribution humaine à ce vaste chamboulement de géométrie. Cela fait un nouvel écho à l’impact de l’intervention humaine sur ce territoire.

Au centre, il y a une sculpture, c’est un challenge proposé par Thierry Bigaignon. Lorsqu’il est venu dans mon atelier, il a remarqué un petit découpage en papier que j’avais mis de côté, c’était un rejet de mes découpages, je le trouvais intéressant par sa forme. Il a trouvé cela intéressant et il m’a demandé si j’avais l’intention de faire des sculptures. Je me suis pris au jeu et à partir de ce découpage, j’ai conçu une sculpture qui représente un iceberg, dans un trapèze. J’évoque ainsi cette disparition de la glace…

© Jean de Pomereu Disparition. Courtesy Galerie Bigaignon

© Jean de Pomereu Disparition. Courtesy Galerie Bigaignon

9 Lives : Comment réagit le public ?

J.D.P. : Globalement c’est très positif, les gens qui s’intéressent à la photo sont captivés. Il y a une question d’interprétation. Si vous entrez dans la galerie sans lire les textes et si personne ne vous explique, on ne saura pas nécessairement de quoi il est question. La glace, le papier, la photographie sont les trois éléments qui composent l’œuvre. Ensuite, il y a mes assemblages.
Cette visualité abstraite parle de choses réelles, de choses qui se passent actuellement, la géométrie et la transformation des mondes polaires de façon poétique, non littéral.

© Jean de Pomereu Amplification. Courtesy Galerie Bigaignon

Il se pose une question, est-ce important que les gens comprennent ? La réponse n’est pas évidente car une autre question se pose : est-ce important d’expliquer aux gens ce dont il s’agit ? Certaines personnes sont satisfaites de rester dans cette abstraction sans chercher à comprendre d’où viennent ces images, d’autres personnes vont réagir aux explications et ajouter un sentiment d’intérêt à l’œuvre. C’est très variable.
Cela pose des questions en tant qu’artiste, en tant que galeriste, on s’intéresse à tous les publics, il faut donc a priori s’adapter. C’est un projet hybride, un langage un peu nouveau. Lorsque l’on on va voir des Lucio Fontana ou des Sol Lewitt, cela reste de l’abstraction pure, on n’a pas besoin d’en savoir plus. Quand on voit un iceberg et qu’on vous parle de réchauffement climatique c’est encré dans une logique documentaire. Moi je me situe entre ses deux mondes, ce n’est pas facile, mais les retours sont positifs et ça me donne envie de continuer !

9 Lives : Votre exposition est présentée dans le cadre d’un programme curatorial qui présente des travaux d’artistes non représentés par la Galerie Bigaignon. Comment avez-vous rencontré Thierry et comment ce projet est-il né ?

J.D.P. : Cela s’est fait de la façon la plus simple et la plus directe possible. Cela fait 5/6 ans que je suis la galerie. J’apprécie particulièrement les artistes qu’il représente, et en particulier ceux qui jouent avec la matière photographique. C’est assez rare en France.
J’ai donc tout simplement préparé un dossier et je lui ai envoyé par email en mai dernier. Il m’a répondu pour me proposer de le rencontrer afin de lui montrer quelques œuvres. Il est ensuite venu me voir à l’atelier et m’a proposé une exposition. C’était, je l’avoue, assez bluffant, par sa simplicité. Nous ne nous connaissions pas, nous nous sommes rencontrés simplement. J’aimais sa galerie, il aimait mon travail, et je suis conscient que c’est un pari pour lui, je ne représente pas un choix facile. Je lui en suis vraiment reconnaissant. C’est un vrai galeriste qui a ses convictions et qui croit en son regard. C’est incroyable, car mes séries plus anciennes ont été exposées en France et à l’étranger, mais de manière plutôt confidentielle. Il ne s’accroche pas à des profils déjà connus. C’est un peu un saut dans le vide !

INFORMATIONS PRATIQUES

jeu18nov(nov 18)11 h 00 min2022sam22jan(jan 22)19 h 00 minEchosJean de PomereuBigaignon, 18 rue Bourg-Tibourg 75004 Paris

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Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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