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Après une annonce abrupte au début de l’été de l’arrêt de la galerie Le Réverbère après 43 ans d’activité, nous avons décidé de rendre un hommage particulier au travail de Catherine Derioz et Jacques Damez. Nous avons interrogé leurs photographes, dans l’ordre chronologique de leur arrivée à la galerie. Cette semaine, nous touchons à la fin de ce partage de témoignages. Aujourd’hui, voici notre rencontre avec Julien Magre, représenté par Le Réverbère depuis 2017. Il revient sur cette aventure photographique et se confie sur l’arrêt de cette institution qu’était la galerie lyonnaise.

Caroline, histoire numéro deux, 2000 © Julien Magre / Courtesy Galerie Le Réverbère

Exposition « S’il y a lieu je pars avec vous » – Sophie Calle, Stéphane Couturier, Julien Magre, Alain Bublex et Antoine d’Agata / Du 11 septembre au 5 octobre 2014 – Le Bal / Paris

Troubles, 2014 © Julien Magre / Courtesy Galerie Le Réverbère

Ericka Weidmann : Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec Catherine et Jacques et comment avez-vous intégré la galerie ?

Julien Magre : En 2016, je suis dans une impasse personnelle et artistique. Je déjeune un midi avec Fannie Escoulen, alors commissaire d’exposition indépendante. Je connais Fannie depuis plus de 20 ans. Elle connaît très bien mon travail et j’ai toujours eu une confiance aveugle en son regard. On déjeune donc ensemble et elle me demande « alors où en es-tu ? ». Je lui réponds « nulle part ».
Je lui dis que j’aimerais beaucoup montrer mon travail, le travail sur ma famille que je mène depuis 1999. A ce moment de ma vie, j’en ai besoin pour avancer. Je lui dis aussi que j’aimerais trouver une galerie. Elle me parle du Réverbère, à Lyon. C’est une Galerie qui a une jolie réputation et des photographes que j’admire. Elle me conseille donc de prendre rdv avec Catherine et Jacques, les fondateurs. Ce que je fais quelques jours plus tard.
Et chose assez rare dans ce milieu, Catherine me répond au premier coup de fil et un rdv est fixé dans la foulée. J’apprends plus tard qu’ils connaissent un peu mon travail qu’ils  découvrent en 2014 au BAL, à Paris. C’est une exposition collective (« s’il y a lieu, je pars avec vous »). Elle réunit Antoine d’Agata, Alain Bublex, Sophie Calle, Stéphane Couturier et moi-même. C’est une exposition extrêmement importante pour moi. C’est un tournant.

Je prépare ma présentation et je décide de tout montrer (mes photos, mes Polaroïds, mes carnets, mes livres, mes textes, mes lettres). Je pars à Lyon avec mes boîtes, mes valises, mes pochettes.
Je ne l’oublierais pas ce rdv.
Je me souviens que c’était vers 15h.
Me voilà donc dans la Galerie. Avant ce rdv, je n’avais jamais vu ni Catherine, ni Jacques. Je suis donc assez stressé et pas très à l’aise.
Le rdv commence. Je dépose tout devant eux en vrac et je fais cela volontairement (car ces boîtes font parties intégrantes de ma démarche), il doit y avoir en tout 20-30 boîtes, toutes de formats différentes : ils regardent absolument tout, décortiquent tout, ouvrent toutes les boîtes, lisent tous les textes, regardent chaque image et cela dans un silence absolu. Bien qu’ils me disent avant le rdv, «nous regardons toujours les choses en silence», je fais le choix de ne rien dire non plus car, ce silence, même si il est pesant et très long (surtout pour moi évidemment), je le trouve gracieux et élégant, va savoir pourquoi ! Je me souviens avoir beaucoup sué aussi. Et mon Dieu, que je le trouve long ce rdv. Il dure 2h30, peut être 3h. 3 heures de silence, c’est très très long. Je ne sais pas quoi penser de tout cela. Ils ne disent rien, par choix ? Pour ne pas s’influencer l’un l’autre ? Ils ne disent rien car ils n’ont rien à me dire ? Ils ne disent rien car ils n’aiment pas…
J’attends donc, je patiente, je les observe, je sue toujours. Je décide de ne pas rompre ce silence. Quelle insoutenable tension.

Caroline, histoire numéro deux, 2012 © Julien Magre / Courtesy Galerie Le Réverbère

Là, 2013 © Julien Magre / Courtesy Galerie Le Réverbère

Et puis, au bout de ces 3 heures, Jacques me regarde fixement et prend enfin la parole… enfin. Et bien sûr, je m’attends au pire. Mais quelque chose de miraculeux se produit, quelque chose de prodigieux. Il me dit « ton travail m’évoque un peu celui de Robert Frank »… peut on rêver d’un plus beau compliment ?? Incroyable !!!!! Tellement incroyable. Je n’oublierai jamais cette phrase, quel magnifique compliment. Mon quart d’heure de gloire en quelque sorte.
Puis, nous voilà partis, tous les trois, dans des échanges sur ma pratique, mon parcours, la photographie, la vie.
Ils me proposent alors de faire une exposition, une exposition personnelle dans la galerie, pendant la Biennale de Lyon. Ils me donnent rdv dans un peu moins d’un an, le temps que je propose une manière de montrer mes 17 ans de photographie, de trouver un principe, une forme, une scénographie.
L’entretien se termine, je pars et prends aussitôt le train pour Paris et tout le voyage, je ne pense qu’à cette phrase : «trouver une forme, trouver une forme »… Trouver une forme pour montrer 17 ans de mon travail personnel : un sacré défi.

Elles, Galerie Le Réverbère, 2017. Vue d’exposition. © Laure Abouaf

Les mois passent…
Nous nous retrouvons alors, un peu moins d’un an après, cette fois à Paris. Je leur montre deux propositions d’accrochage. Et le rdv se passe merveilleusement bien. Tout est limpide. Comme moi, ils préfèrent ma deuxième proposition. Joie. J’ai alors 6 mois pour préparer l’exposition, produire les tirages, les faire encadrer…
Plus de 350 tirages que Fred Jourda (mon tireur depuis 20 ans) réalise à l’agrandisseur.
Le rdv se passe donc tranquillement et sereinement et, cerise sur le gâteau, juste avant de partir, ils me proposent de me représenter dans la galerie, proposition que j’accepte évidemment sur le champ.

L’exposition « ELLES » aura lieu en septembre 2017.

La poésie abstraite du réel. Exposition collective, Galerie Le Réverbère, Lyon, 2019.
Vue d’exposition © Laure Abouaf

La poésie abstraite du réel. Exposition collective, Galerie Le Réverbère, Lyon, 2019.
Vue d’exposition © Laure Abouaf

En Vie. Exposition personnelle, autour du Prix Niépce, Jeu de Paume, Tours, 2023.
Vue d’exposition © François Lauginie

En Vie. Exposition personnelle, autour du Prix Niépce, Jeu de Paume, Tours, 2023.
Vue d’exposition © François Lauginie

E. W. : Que représente pour vous cette collaboration ?

J. M. : C’est d’abord une rencontre joyeuse , une magnifique rencontre humaine, qui est tombée « au bon moment » dans ma vie personnelle, alors très fragile et cabossée. C’est aussi une rencontre artistique. Catherine et Jacques m’ont fait avancer, ils m’ont solidement et profondément accompagné sur le plan humain et artistique, ils ont pris le temps nécessaire pour cela. Ils ont aussi pris le risque de défendre mon travail qui n’est pas « si facile à vendre ».
J’ai eu une chance inouïe de faire de belles expositions avec eux, que ce soit au Réverbère ou hors les murs (je pense à Paris Photo, à la Scène nationale de Gap, à la BNF ou au Jeu de Paume de Tours). Il y a toujours eu une grande confiance entre nous. Tout a toujours été simple et limpide. Et puis, leur temporalité m’a toujours énormément plu, bien faire les choses et prendre le temps. Catherine et Jacques sont un peu comme des oncles ou tantes, c’est un peu ma famille. J’ai vraiment grandi avec eux, ma photographie a grandi grâce à eux. C’est une rencontre rare. J’ai eu la chance de passer du temps chez eux à Lyon, j’ai de magnifiques souvenirs de discussions autour de la photographie, de l’art, de la musique et de la bouffe aussi. Tout cela autour de bons vins, de rhum et de saucisson. Inoubliable. J’ai juste envie là maintenant, de les remercier profondément pour leur confiance, leur acharnement, leur engagement, leur amitié, les saluer pour le combat qu’ils ont mené, car faire tenir une galerie debout, c’est un vrai combat. Et J’ai aussi tout simplement envie de trinquer avec eux. Car après tout, la vie continue.

En Vie. Exposition personnelle, restitution du Prix Niépce, BNF, Paris, 2023.
Vue d’exposition © François Lauginie

Silence. Exposition personnelle, Galerie Le Réverbère, Lyon, 2024.
Vue d’exposition © Laure Abouaf

Silence. Exposition personnelle, Galerie Le Réverbère, Lyon, 2024.
Vue d’exposition © Laure Abouaf

Là, 2013 © Julien Magre / Courtesy Galerie Le Réverbère

E. W. : Comment voyez-vous la suite, sans Le Réverbère ?

J. M. : Je ne sais pas. Je vais prendre mon temps comme je l’ai toujours fait. Je vais digérer tout cela. Je vais peut être me re-plonger dans un nouveau silence. Attendre un peu. Et foncer quand il faudra.

E. W. : Cherchez-vous une autre galerie pour vous représenter (ou avez-vous déjà trouvé) ? Si oui, que recherchez-vous dans une collaboration avec une galerie ?

J. M. : Je n’ai pas encore cherché. J’aimerais évidemment en trouver une. Je ne suis pas inquiet.
Je crois aux rencontres et je fais confiance au temps.
Mais oui, j’ai très envie de trouver une galerie car pour moi la galerie, au sens physique, spatiale du terme, est le lieu, l’espace le plus juste et le plus approprié pour faire vivre, montrer des images, raconter une histoire.
Ce que je cherche dans une galerie, c’est avant tout une rencontre humaine.
Une rencontre qui nécessite une confiance absolue, de la sérénité, de la pertinence, de la vitalité et évidemment un accompagnement solide. J’irais même jusqu’à dire que je cherche l’amour
de la photographie.

INFORMATIONS PRATIQUES

ven20sep(sep 20)14 h 00 minsam28déc(déc 28)19 h 00 minHistoire(s) sans finExposition collectiveGalerie Le Réverbère, 38 rue Burdeau 69001 Lyon

jeu17oct(oct 17)14 h 00 minven20déc(déc 20)19 h 00 minJulien MagreSilenceGalerie Madé, 30 rue Mazarine 75006 Paris

A LIRE
Galeries photo : des fermetures en cascade…
La fin d’une utopie. Rencontre avec Catherine Derioz et Jacques Damez de la Galerie Le Réverbère

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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