Pour l’exposition Intimités de Planches Contact Festival, la série Reflets d’Elle de Carline Bourdelas capture l’atmosphère du célèbre roman Bonjour tristesse. Les images à l’univers cinématographique ne sont pas présentées de façon chronologique. Le parcours invite à des moments suspendus, des souvenirs flous, à la découverte d’une sensualité en éveil.
L’interview s’est déroulée dans la Chambre Françoise Sagan de la Villa Namouna à Deauville, lieu de résidence des photographes, sous le portrait de cette femme écrivain inspirante et au talent d’éternelle jeunesse.

Fatma Alilate : Dans vos séries marquantes, il y a la littérature en filigrane. Qu’apporte la littérature à votre créativité ?

Carline Bourdelas : Je trouve que c’est extraordinaire. C’est une espèce de structure qui se dessine. Quand je lis à certains moments des images montent, je les note et je travaille comme ça. Proust par exemple, je n’étais pas satisfaite d’une lecture simple d’A l’ombre des jeunes filles en fleurs puisque c’était mon point de départ, et j’ai relu toute La Recherche, c’est un monument. Je ne veux pas dire qu’il a changé ma vie, mais il est devenu une référence. C’est vrai que j’utilise beaucoup la littérature. Il y a eu le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac pour Photo Days. Je travaille en ce moment sur un autre projet, très dur. Je me suis appuyée sur un livre lu il y a cinq ans, qui m’a bouleversée. La photo, c’est un langage. J’ai commencé à faire des photos à quatorze ans. C’était une révélation parce que sur l’image on perçoit un certain nombre de choses. J’étais plutôt quelqu’un de timide et j’avais besoin de m’exprimer par l’image. Je communique mieux par l’image parce que ça vient vraiment du fond de moi-même. 

FA : Pour Reflets d’Elle, vous avez choisi Bonjour tristesse de Françoise Sagan en lien avec le Casino de Deauville ?

CB : Exactement. Cette année, il y avait deux sujets, le territoire normand et l’intimité. Françoise Sagan adorait la vie, la liberté, les jeux, la vitesse. Et elle a trouvé tout ça à Deauville. Elle s’amusait beaucoup, elle était très connue ici. Elle a acheté le manoir du Breuil, grâce à un gain au Casino, c’est assez drôle. J’adore sa personnalité. Je suis toujours admirative devant les femmes qui sont capables de vivre leur vie comme elles l’entendent et pas dirigées par les parents ou les normes sociales. C’est un courage dingue. En fait, elle faisait librement ce qu’elle avait envie de faire. Son roman Bonjour tristesse est parfaitement écrit, dans un langage simple avec une acuité rare pour une personne de dix-huit ans. Elle était déjà très mature et elle sentait vraiment les choses. Ce qui est extrêmement intéressant, c’est la légèreté et la gravité mêlées dans le roman. J’essaye de faire passer aux spectateurs l’atmosphère de cet été. Il y a des moments joyeux mais un évènement tragique termine le récit. Le roman bascule et passe de l’insouciance à la tristesse, et puis le sourire peut cacher de la mélancolie. C’est ce que j’ai voulu montrer à travers mes images.

FA : Vous avez fait une très belle série en noir et blanc, il y a cette photo d’un abat-jour, on dirait une ombrelle. Vous êtes allée dans des lieux précis ?

CB : Oui, bien sûr. Je suis allée aux Roches Noires. J’ai réussi à entrer dans le hall. C’est interdit puisque maintenant ce sont des appartements privés. Mais il y a toujours des gens qui comprennent que c’est un travail de faire de la photo. Il y a eu cette maison en Normandie, près de Deauville, où je suis souvent qui a servi de cadre. Il a fait très beau cet été, donc ça me permettait un clin d’œil pour ces photos qui auraient pu être prises dans le Sud de la France. J’ai aussi fait des photos du Casino mais je n’en ai mise aucune parce qu’il faut faire des choix et j’avais vraiment envie de capter la mélancolie. Les photos autorisées l’étaient sans clientèle.

FA : Et au niveau de la technique ? 

CB : Pour donner ce côté atmosphère, il m’arrive de superposer deux photos. Par exemple, la jeune fille qui est allongée et qui a des espèces de nuages sur elle. La photo de départ représente Cécile allongée sur son lit, une seconde avec les nuages est superposée. Je ne le fais pas systématiquement, ça dépend de ce que je recherche.

FA : On retrouve dans votre série différents personnages du roman. Comment avez-vous trouvé ces modèles ? Notamment la jeune fille qui pourrait être la voix de la narratrice.

CB : Elle s’appelle Maëlle dans la vraie vie, je l’ai découverte par le biais d’un ami qui fait systématiquement appel à des modèles. On a fait un test, ça a marché. Anne, c’est une amie que je trouvais tout à fait intéressante pour ce personnage. Et l’homme tel qu’il était décrit dans le roman, élégant, jovial, un peu détaché, j’ai pensé à quelqu’un que je connais. Maëlle fait du théâtre, ce n’est pas son métier mais elle en fait, elle a réussi à faire ce que je voulais, très rapidement. Pour le personnage du père, j’ai fait des tonnes de photos, on en a gardé qu’une, pour montrer qu’il est exactement comme sa fille : le Casino, la fête, la plage.

Toutes les photographies : Reflets d’Elle © Carline Bourdelas

FA : Dans votre titre de série, il y a le mot reflet, l’idée d’un effet miroir. 

CB : Le titre évoque une comparaison entre Cécile, le personnage principal du roman, et Françoise Sagan qui écrit son premier roman à dix-huit ans – Cécile a dix-sept ans. La vitesse, pour Françoise Sagan, ou la voiture, le bolide, c’est une façon de ne pas penser, de repousser la mélancolie. Elle n’est pas Cécile, mais elle a laissé quelques indices qui montrent qu’elles sont proches et que c’est un peu son histoire même si le père de Sagan est vraiment différent du personnage du roman, donc c’est un peu sa personnalité. Il y a un autre élément qui est très important, c’est la période de la jeunesse d’après-guerre, Cécile ne veut pas ressembler aux adultes. C’est aussi le cas de Françoise Sagan qui s’est protégée de cette perspective.

– Propos recueillis par Fatma Alilate

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Fatma Alilate
Fatma Alilate est chroniqueuse de 9 Lives magazine.

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