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Rencontre avec Raphaël Denis, Galerie Sator

Temps de lecture estimé : 5mins

Né en 1979, diplômé des Arts Décoratifs, je rencontre Raphaël Denis la première fois au YIA art fair en 2015 autour de son installation emblématique « La Loi normale des erreurs » menée à partir des spoliations nazies. Le retrouver à la galerie Vincent Sator (qu’il a intégré) pour sa 4ème exposition personnelle « Europa » permet de mesurer le chemin accompli et d’engager un nouveau dialogue..

9 lives : A quand remonte votre 1er choc esthétique ? Le polyèdre de Dürer, peut-être …

Raphaël Denis : Le solide de Dürer a été plus que décisif, ce que j’ai compris près de vingt ans après sa fréquentation quasi quotidienne, puisque j’ai grandi avec une copie de Melencolia I, ou plutôt un hommage datant 17ème siècle, exécuté par Johannes Wierix. Pour l’anecdote, on dit que certains marchands peu scrupuleux grattent soigneusement la signature du graveur pour faire passer sa reproduction pour l’originale de Dürer, tant elle est fidèle en bien des points.

Bref, premier choc esthétique, assez banal : Céline, « Le Voyage » ! Dans un registre bien moins fleuve : Milk it de Kurt Cobain…

9 lives : Quelles rencontres ont été décisives dans votre parcours ?
R. D. : Il y en a tant que j’aimerais un jour dresser une très longue liste de toutes les personnes marquantes rencontrées, vues, regardées ou lues… Ceci dit, à l’évidence, dans mon parcours d’artiste c’est mon galeriste : Vincent Sator !

9 lives : D’où vous vient cette fascination et ces allers retours avec l’histoire qui innerve notamment la série évolutive La loi normale des erreurs ?
R. D. : Procédons méthodiquement : je marque une différence très nette entre les travaux fondés sur des hommages rendus à des maîtres comme Dürer, Proust et Debord par exemple, et les séries bâties autour des oeuvres d’art saisies aux collectionneurs et galeristes juifs sous l’occupation.

Au delà de l’aspect historique et humain qu’on ne peut nier, m’intéressait, à travers des bases de données malheureusement bien fournies, le fait d’avoir accès à ces dizaines de milliers d’oeuvres appartenant à des collections privées, patiemment composées et avec lesquelles leurs possesseurs entretenaient des liens très étroits.

Ceci dit, la série de la loi normale des erreurs et ses développements n’ont pas été seulement motivés par le simple fait d’avoir accès à de l’inédit ; je souhaitais bel et bien parler du triste sort de ces tableaux, fort heureusement restitués dans une grande majorité mais aussi parfois perdus et pire encore, définitivement détruits, lacérés, brûlés…

À dire vrai, par ce travail, j’évoque aussi bien des faits passés que des faits présents et à l’évidence, ce qui trame malheureusement dans l’avenir…

9 lives : Où en êtes vous de votre rapport au collectionnisme, l’autre constante de votre pratique et est ce que cela se soigne ?
R. D. : N’étant pas un grand amoureux de la possession je ne me considère par comme atteint par un quelconque syndrome de collectionnite et ne me damnerai pas pour devenir le propriétaire de telle ou telle oeuvre. Au demeurant, j’en ai une bonne centaine, toutes selon moi de belle énergie et bonne qualité, disposées en plusieurs lieux. J’en obtiens par généreux présents, d’autres par échanges et bien entendu par achats en galerie si l’artiste est représenté(e) !!!

Bien sincèrement, les comportements de « collectionnistes » peuvent se montrer fort dommageables – par exemple lorsque pour étancher une soif de possession, on réserve des pièces sans les acheter, pensant les avoir par substitution, et cela au mépris de l’artiste. De même, certains n’hésitent pas à tenter d’acheter à moindre frais directement à l’atelier et cela dans le plus pur mépris du travail de galeriste.

Au final, je ne suis pas un grand partisan des drogués de la possession ni de quelque autre forme de pathologie obsessionnelle et n’oublions pas qu’il existe des collections de grande et rare qualité se constituant sainement. Je préfère de loin ces derniers !!!

9 lives : L’exposition Europa actuellement présentée à la galerie Sator se veut elle un concentré de l’ensemble de votre œuvre et un passage vers une nouvelle direction ?
R. D. : Europa est la suite logique et chronologique de ce que j’ai pu entamer avec La loi normale des erreurs, et en même temps elle mêle aux oeuvres récentes des travaux exécutés il y a presque dix ans. Europa, tout comme ce que j’ai pu introduire avec les deux autres expositions personnelles de cette année, titrées Endless Collapse I et II, vise donc à faire dialoguer des pièces récentes avec des pièces des années antérieures. L’idée est pour moi de souligner l’existence, dans travail de tout artiste, tout au long de ses productions, de cohérences et constances que le rythme effréné du marché tend à faire quelque peu oublier. J’ai en tête, dans bien des années, une exposition qui regrouperait des fragments de différentes séries, aux conceptions techniques très éloignées mais aux aspects esthétiques et au discours suffisamment proches pour que l’ensemble des pièces crée un dialogue des plus construits et des plus clairs !!!

Quant au prochain passage, pourquoi ne pas travailler sur les fascinantes et vides conspirations qui pullulent sur la toile et corrompent les cervelles. À réfléchir !!!

INFORMATIONS PRATIQUES
Europa
Raphaël Denis
du 13 octobre au 25 novembre 2017
Galerie Sator
8 passage des gravilliers
75003 Paris
https://www.galerie-sator.com

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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