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Bilbao, Guggengheim : triomphe de Joana Vasconcelos, Chagall décisif et art contemporain chinois

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Joana Vasconcelos et le défi Frank Gehry

« Une sculpture féminine dans une architecture masculine » tel est le manifeste de Joana Vasconcelos qui se revendique une féministe féminine.

La spectaculaire « Egeria » (série des Walkyries) déroule ses tentacules chatoyants dans tout l’atrium du musée, une sorte de figure mythologique qui signe la marque de l’artiste portugaise (née en France) qui aime tutoyer les lieux symboliques et se lancer de nouveaux défis. « Métaphore de l’occupation des musées par les femmes » l’œuvre fait des heureux parmi les visiteurs ébahis devant une telle prouesse. Instagrammable et à l’impact immédiat, mêlant le savoir faire artisanal et les technologies les plus poussées, le coût de cette pièce n’est pas révélé. Il y a comme une collision entre les arrêtes de l’architecte américain et les courbes et bulbes organiques de l’artiste. De plus se pose la question du devenir d’une telle commande.
Le parcours ouvre sur les premiers travaux le « Lit Valium », « la Mariée » qui avait marqué les esprits à Venise et l’avait révélé, ce lustre controversé constitué de tampons hygiéniques, « Burka » qui pose la question du voile dans la violence avec cette guillotine en toile de fond qui rappelle que Marie Antoinette a payé le prix fort de la Révolution, ou l’urinoir de Duchamp revisité en céramique recouvert de dentelles au crochet présentes dans tous les foyers portugais de la génération des parents de l’artiste.
C’est avec l’œuvre « I’ll Be Your Mirror » qui donne son titre à l’exposition (emprunté à Lou Reed égérie du Velvet Underground) que l’on pénètre dans le coeur du réacteur. Cette image diffractée et démultipliée offerte au regardeur, cette mascarade qui rappelle le théâtre vénitien, cette tradition du baroque des arts décoratifs renvoie aussi à l’exploration psychique et intime. Pessoa qu’elle cite volontiers « J’ai enlevé le masque et me suis vu dans le miroir ».
L’on retrouve « Marilyn » qui avait plus de sens dans les dorures de la galerie des Glaces de Versailles, ces hauts talons que Marilyn a porté pour aller voir les soldats du Vietnam, stéréotype le plus efficace et aliénant pour une femme. Se pose dès lors la question du lieu de réception de l’œuvre et en cela le château de Versailles était un écrin plus subtil et adapté.
Le roead movie drolatique vers Fatima est un morceau d’anthologie à bord de cette motocyclette qui renvoie de nouveau aux traditions des pays méditerranéens. Le pistolet de James Bond « Call Center » et sa cacophonie ambiante est comme le cauchemar de nos communications, ces téléphones en bakélite noire bavards et bruyants. Humour et détournements toujours avec ce manège à actionner à plusieurs « Point de rencontre » surmonté de taureaux, langoustes, ou autres symboles nationaux qui rappelle Bruce Nauman et ses animaux maltraités.
L’exposition se poursuit à l’extérieur de l’armature de Gehry avec « Solitaire » cette bague de fiançailles géante, ce diamant constitué de jantes dorées de voitures de luxe comme on en trouve à Duba,ï couronné d’une pyramide de verres à whisky en cristal. Métaphore des rêves de prince charmant inoculé aux petites filles dès l’enfance. Et le « Pop Coq », autre symbole national des portugais recouvert d’azulejos multicolores kitsch.
« Première femme à Versailles, première femme à Guggenheim » dans ce pays voisin, l’Espagne et rival de toujours de sa patrie, la star portugaise aime les images fortes et références à l’histoire. Reste à savoir ce que l’épreuve du temps réservera à de telles réinterprétations.

Chagall et les années décisives 1911-1919

Reprise de l’exposition du Kunstmuseum de Bâle, co-partenaire de cet ambitieux projet, le parcours s’attache à son arrivée à Paris, sa période à Vitebsk récemment explorée au Centre Pompidou, où il fonde une Ecole des beaux-arts avant d’être évincé par Malevitch qu’il recrute. Aussi bien la provenance prestigieuse des œuvres que l’accrochage, font de cette exposition un peu moment de bonheur et de redécouverte.

L’art et la Chine après 1989 : le théâtre du monde

C’est l’exposition la plus pertinente à mon sens.
Dans un contexte de grands bouleversements entre les protestations de Tiananmen et les Jeux Olympiques de Pékin, la Chine émerge comme nouvelle puissance mondiale et les artistes s’emparant de ce phénomène, deviennent les acteurs de cette perspective à partir de pratiques expérimentales, analytiques et conceptuelles.
Un rôle illustré au fil des 120 œuvres rassemblées tous mediums confondus, réparties en 6 sections thématiques et chronologiques.
A partir de l’oeuvre de l’artiste Huang Yong Ping qui donne son titre à l’ensemble, « Theater of the World » cette cage renfermant différentes espèces de reptiles et d’insectes, on plonge déjà dans un système de surveillance et de contrôle. L’artiste (Kamel mennour galerie) révélé par « les Magiciens de la Terre » en 1989 à Paris, avait investi le Grand Palais pour Monumenta 2016. Fondateur du mouvement Xiamen Dada, il mêle références occidentales et symboles bouddhiques et philosophiques orientaux.
L’on retrouve un autre artiste révélé par l’exposition Magiciens de la Terre, Gu Dexin, exposé la même année à la galerie nationale d’art de Pékin, dans le cadre de « China/Avant-Garde ». Année de contestation comme le rappelle le tableau de Wang Xingwei « Nouveau Pékin » à partir de la célèbre photographie de deux manifestants transportés en hâte sur un porte-bagage.
Dès lors les transformations sont en marche et émergent des pratiques en performance, vidéo et photographie avec Ai Weiwei et son fameux « Lâcher un vase »ou Zhang Peili et « Plaisir incertain » fortement influencé de Bruce Nauman et les Young British Artists.
Au début des années 2000, les Biennales reflètent cette mondialisation et la diaspora chinoise à l’étranger comme avec Chen Zhen (galeria Continua) et son long dragon de carcasses de vélo suspendu, métaphore des dérives de cette globalisation.
Puis avec l’ère d’internet et des réseaux sociaux, les artistes et collectifs organisent leur réponse face au défi remporté d’organiser les Jeux Olympiques de 2008, comme chez Cao Fi et sa ville chinoise dystopique sur Second Life.

Catalogue de 324 pages, 49 Euros, réunissant des essais par les 3 commissaires, en vente à la librairie-boutique.

Autour de l’exposition : Cycle de cinéma

Infos pratiques :
Joana Vasconcelos
jusqu’au 11 novembre 2018
Chagall, les années décisives
jusqu’au 2 septembre 2018
L’art et la Chine après 1989, le théâtre du monde
jusqu’au 23 septembre 2018
https://www.guggenheim-bilbao.eus


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Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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