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Rencontre avec Christian Lacroix, Mirabilis à Avignon, désirs de collectionneur et les Rencontres d’Arles

Temps de lecture estimé : 7mins

Alors qu’il a une actualité foisonnante, au théâtre, à l’Opéra, au Louvre Lens où il met en scène avec faste la dynastie perse des Qajars, Christian Lacroix a répondu à l’invitation de Pascale Picard, directrice des musées de la Ville d’Avignon de révéler la richesse des collections des musées patrimoniaux à travers MIRABILIS dans la grande chapelle du Palais des Papes. Un véritable manifeste qui prend la forme d’un parcours inédit de 400 œuvres rassemblées de la préhistoire à l’art moderne en passant par l’archéologie, l’ethnographie, les sciences naturelles d’Europe mais aussi d’Afrique et d’Asie, puisées dans les trésors avignonnais dont les collections, distribuées en 5 musées (le Petit Palais, Calvet, Requien, le Palais du Roure et le Lapidaire), sont estimées à plus d’un million d’ oeuvres d’art, d’objets et documents, dont 10% seulement accessibles au public.

Il a répondu à nos questions sur ce nouveau défi, ses sources d’inspiration et les Rencontres d’Arles qui ouvrent dans peu de temps (il est l’invité du tout nouveau City Guide Louis Vuitton) avec passion et générosité. C’est un retour pour le créateur qui avait participé à la formidable manifestation « la Beauté » en Avignon en 2000.

1. Les défis de Mirabilis

-contrainte du lieu, du budget et du temps imparti
Il est certain qu’un cabinet de curiosité a une forme plus intime qu’une chapelle.
La contrainte principale était le lieu même si comme pour le Grand Palais avec Lucien Clergue, nous avions, avec Véronique Dollfus, su dépasser ce lieu assez rétif au départ. De plus il y avait aussi ici la mission de ne pas interférer ou polluer avec l’architecture et le nouveau support de visite.
En ce qui concerne le côté chromatique, je suis très content d’être resté dans la neutralité avec ce beige, du fait du coût qu’aurait représenté d’avoir des soieries de très belle couleur dans les vitrines, selon mon souhait initial. Nous avions pensé au début à de petits autels, de petits temples, même si au final cela n’incitait pas assez à la circulation des visiteurs.
J’aurais aimé pouvoir aller jusqu’à la période contemporaine avec des commandes passées à des artistes mais il aurait fallu plus de temps.
Mon idéal aurait été une tapisserie comme Pénélope avec un format pérenne et évolutif pour continuer à donner aux gens l’envie de découvrir ces trésors, même si mais au bout du compte les mélanges, les duos, les conversations fonctionnent très bien.
Je pensais mettre en écho quelques modestes pièces en ma possession comme des céramiques contemporaines, des textiles XVIIIème, des foulards.
De plus mes liens avec Pascale Picard qui remontent au musée Arlaten expliquent en grande partie ma réponse favorable et confiante à ce qui ressemblait à un véritable tour de force !

– L’affiche
Même si elle est le résultat d’un premier collage, elle a un côté jubilatoire et surréaliste dans lequel je me reconnais. Entre le côté un peu naïf du cabinet de curiosités et très scientifique avec des personnalités marquantes comme Esprit Calvet ou Esprit Requien qui, sans le vouloir étaient des surréalistes avant l’heure ! Enfant, je fantasmais devant les cabinets de curiosité des livres d’histoire avec ces animaux extravagants, ces faux monstres marins suspendus, ces bizarreries intrigantes et effrayantes.

– Les sources d’inspiration, Jean-Hubert Martin
Plus que d’inspiration, une véritable source de jalousie !
Depuis l’enfance je colle chaque week-end des choses semblables et dissemblables.
Plus que « Carambolages » au Grand Palais, la première exposition de Jean-Hubert Martin m’ a directement impacté, pensant détenir un univers exclusif.
Comme tout adolescent des années 1960-70 je vénérais des idoles, le duc de Windsor, l’artiste Aubrey Beardsley, et je me sentais riche de ces histoires. Or j’arrive à Paris, j’achète Vogue qui avait confié son numéro de Noël à Karl Lagerfeld et je découvre alors qu’il présente les mêmes références que les miennes ! Un peu vexé dans un premier temps, je me dis que c’est tout de même bon signe..

2. A quand remonte la 1ère scénographie décisive dans votre parcours ?

Mon rêve d’enfant était décorateur et costumier de cinéma d’abord et de théâtre ensuite.
Celle qui a vraiment compté dans mon parcours sous forme d’une véritable renaissance a été à la carte blanche au musée Réattu à Arles, en 2008 avec Michèle Moutashar, directrice du musée.
J’y ai pris un réel plaisir car en plus des collections du musée, des photographies contemporaines en lien avec les Rencontres de la photographie, des commandes à des artistes contemporains, j’ai pu introduire mes propres robes, étant encore couturier à l’époque.

3. Si j’étais un vrai collectionneur

Je me dirigerai vers tout ce qui est brut, primitif, anonyme comme l’univers de Judith Scott par exemple.
Pendant « la Beauté » à Avignon en 2000 j’avais conçu des ateliers avec les équipes de patients de l’hôpital psychiatrique de Montfavet, là où a été internée Camille Claudel. Les malades ont ensuite proposé une exposition anonyme de leurs créations, j’ai acquis une petite barque en béton avec 2 personnages, l’un qui regarde par dessus le bastingage, l’autre le ciel, offrant un résumé parfait de l’histoire de l’homme, de l’univers et du monde. Je garde toujours une vraie émotion quand je la contemple.
De même en matière de mode, personne ne pourra rivaliser avec ce qui a été fait en Afrique comme les coiffes ou certains costumes traditionnels de l’Europe Centrale avec cette folie pure dans la forme, le bijou.

4. En tant qu’arlésien, que pensez-vous de l’évolution des Rencontres ?

J’ai l’impression que cela se réduit un peu bizarrement.
L’esprit va, selon la tendance générale, vers l’audimat, avec une place de plus en plus réduite pour la découverte.
J’aime cette citation « il ne faut pas donner aux gens ce qu’ils attendent mais ce qu’ils ne savent pas encore qu’ils vont aimer » et cette démarche a bien été présente pendant de nombreuses années aux Rencontres.
De grands étonnements ont eu lieu avec les grands maîtres, alors qu’aujourd’hui les grands photographes n’ont plus cette même trempe. On assiste à une uniformisation avec de grands formats qui appartiennent à de grandes galeries pour de grands collectionneurs. Le tout d’une vraie froideur. Le choix de l’affiche par exemple pour William Wegman qui est un grand mais n’incite pas à la découverte !

Je connais Maja Hoffmann depuis l’adolescence et j’apprécie ses choix et sa collection. Elle a été notamment à l’origine de l’invitation à l’artiste sud africain William Kentridge dans les Ateliers, cette grande fanfare animée, une histoire de l’Afrique des primitifs jusqu’à Obama. D’une grande puissance.
Les Ateliers comme petit fils de cheminot c’est une autre histoire. Je regrette qu’ aucune trace du passé du lieu n’ait été conservée, en faveur d’une ambiance très aseptisée. C’était l’un des premiers ateliers du XIXème siècle sous Napoléon III. On aurait pu garder certains endroits, comme les vestiaires des cheminots ou des machineries.

Quant à l’architecture de Gehry, quelle est sa destination réelle ?
Par contre la grande réussite est la Fondation Van Gogh que les habitants se sont accaparés. Le bâtiment a été remarquablement rénové, cet ancien hôtel particulier du XVème siècle transformé en Banque de France en 1924. Cela tient beaucoup à la démarche de Bice Curiger, actuelle directrice.

Le musée Réattu malgré un manque de moyens parvient à tirer son épingle du jeu. J’ai beaucoup de tendresse pour ce lieu.
A Arles la municipalité n’est pas très riche car le manque de grandes sociétés installées ne permettent de ressources régulières.
Le tourisme reste !

5. Si vous aviez un rêve.. inachevé

J’ai réalisé un bon nombre de rêves avec les musées, les décors et mon grand dilemme de l’année 2017 a été : quel est le prochain ?
Un livre et une exposition sur la Princesse de Clèves vont sortir chez Gallimard, dans leur nouvelle galerie.
Au Centre National du Costume de Scène, j’ai le projet d’exposer ma création, cette fois de 2006 à 2018 autour d’ une quarantaine de productions ayant beaucoup travaillé en Allemagne.
La céramique sans doute est un territoire que j’aimerais explorer.

INFOS PRATIQUES :
Mirabilis
Jusqu’au 13 janvier 2019
Palais des Papes, Grande Chapelle
www.palais-des-papes.com
Billetterie
http://www.avignon-tourisme.com/

A noter que les musées municipaux deviennent gratuits !
Arles, Les Rencontres
jusqu’au 23 septembre 2018
https://www.rencontres-arles.com/

Le City Guide Louis Vuitton fait escale à Arles : must have !
https://fr.louisvuitton.com/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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