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Jeff Koons et le professeur Tournesol

En Haut à gauche "Fait d'hiver de Jeff Kotons et à droite : "Fait d'hiver de NAF NAD. Et en bas à gauche Enfants de Jean-François Bauret et à droite "Naked" de Jeff Koons
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« Père gardez-vous de vos amis, vos ennemis je m’en charge », c’est un peu ce qu’on aurait pu dire à Jeff Koons à la suite de la publication du dernier article du professeur Philippe Dagen paru dans le journal Le Monde (18-19 nov. 2018) et dans lequel le professeur de Paris I tente, mais sans succès, de railler la décision de condamnation de l’artiste américain prise par le Tribunal de grande instance de Paris le 8 novembre dernier au motif énoncé à la première ligne de son article, que « la justice française n’aime pas Jeff Koons » ; outre que si cela était avéré, la justice française  ne serait pas la seule à ne voir dans Jeff Koons qu’un poseur sans importance et un brillant publicitaire, les arguments énoncés par le professeur de Paris I à l’appui de sa déclaration sont pour le moins lacunaires et révèlent une méconnaissance affligeante de la loi et du jugement lui-même.

Le Tribunal a donc dit qu’une sculpture de Jeff Koons réalisées en 1988, représentant deux enfants nus, et titrée « Naked » reproduite au catalogue de son exposition « Jeff Koons, la rétropective » organisée par le Centre Pompidou de novembre 2014 à avril 2015, contrefaisait une photographie de Jean-François Bauret réalisée en 1970 intitulée « Enfants » représentant elle aussi deux enfants nus.

Ce n’est pas pour des raisons de méthode, comme l’écrit le professeur Dagen, que l’artiste américain a été condamné mais bien plutôt parce qu’il s’est exonéré, avec cette arrogance propre à certains, du respect des règles les plus simples de la propriété intellectuelle, un peu comme il l’avait déjà été en 1992, pour avoir copié pour sa sculpture « String of Puppies » une photographie d’Art Rogers. Compulsion de répétition et échec de la mémoire ou plus simplement comportement compulsif ?

Si la photographie de Bauret a été déclarée originale c’est que le Tribunal a reconnu la réalité de plusieurs de ses choix artistiques alors que l’artiste américain avait quant à lui fait l’économie d’un travail créatif et était impuissant à le prouver.

Et peu importe ensuite la question du genre soulevée par Jeff Koons – d’un côté une photographie, de l’autre une sculpture, ce qui aurait eu pour effet de rendre impossible la contrefaçon -, mais reprenant en cela une jurisprudence déjà ancienne, le Tribunal de Paris a justement rappelé qu’une sculpture peut contrefaire une photographie car une œuvre de l’esprit peut se matérialiser sous différentes formes sans pour autant changer de son « unité conceptuelle ».

Jeff Koons a aussi vu rejeter son argument – qu’il avait déjà utilisé sans succès dans l’affaire « Sting of Puppies » – selon lequel sa sculpture était une parodie de la photographie de Bauret, le Tribunal -et nous avec lui- ne voyant aucune trace d’humour dans « Naked ».

Quant à la liberté d’expression évidemment revendiquée –ça ne coûte rien mais ça peut rapporter gros- par Jeff Koons, le Tribunal rappelle qu’à défaut de pouvoir justifier de la nécessité recourir « à cette représentation d’un couple d’enfants pour son discours artistique », il ne saurait valablement en rechercher la protection.

Le Tribunal a enfin justement rappelé que « si créer, c’est transformer » faut-il encore que cette transformation se fasse dans le respect du travail artistique des autres, quand bien même ces autres n’auraient pas atteint une notoriété internationale.

Mais le professeur de Paris I qui décidément va d’incompréhension en incompréhension du sujet, va, à bout d’arguments, chercher à la rescousse les artistes cités dans le rapport de la Mission du CSPLA sur les « œuvres transformatives » (1) comme Elaine Sturtevant, Sherry Levine, Mike Bidlo, ou Richard Prince pour justifier les pratiques de Jeff Koons et d’appeler à ce que la justice française interdise « toute exposition d’œuvres appropriationnistes, par souci de cohérence » par ce que, soutient-il, lorsque Sturtevant, Levine, Bidlo ou Prince « refont » les œuvres originales de Walker Evans, Marcel Duchamp, Warhol ou Johns, ils ne font qu’appliquer le procédé de l’appropriation et l’appropriation n’est pas, à l’en croire, une méthode contrefactrice mais une méthode d’élucidation qui permettrait tout.

On sait depuis « Animal Farm » de George Orwell que :

« Tous les animaux sont égaux, mais (que) certains sont plus égaux que d’autres. »

Mais « Animal Farm » c’est aussi « A Fairy Story », un conte de fées, et le Tribunal de Paris protecteur du droit des auteurs, ne croit pas aux contes de fées, nous non plus d’ailleurs.

Vous croyez aux contes de fées, professeur Tournesol ?

Ah encore un mot, qui a dit que « le réel c’est quand on se cogne de dedans » ?

(1) http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Propriete-litteraire-et-artistique/Conseil-superieur-de-la-propriete-litteraire-et-artistique/Travaux/Missions/Mission-du-CSPLA-relative-aux-creations-transformatives)

A LIRE : Jeff Koons condamné pour contrefaçon d’une photographie de Jean-François Bauret

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