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Rencontre avec Gabriel Bauret, commissaire général de la Biennale des photographes du monde arabe contemporain

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La troisième édition de la Biennale des photographes du monde arabe contemporain a ouvert ses portes les 11 septembre dernier. Elle réunit 50 photographes autour de 9 expositions collectives ou individuelles. Pour cette édition 2019, c’est le Liban qui a été choisi pour être le pays mis à l’honneur. Nous avons rencontré Gabriel Bauret, commissaire général, pour qu’il nous présente cet événement qui fédère institutions et galeries du cœur de Paris.

Gabriel Bauret et FLORE © Adrian Claret-Pérez

9 Lives magazine : La 3ème Biennale des photographes du monde arabe contemporain vient d’être inaugurée. À travers une dizaine d’expositions présentée en institution et en galerie, vous souhaitez présenter la scène artistique des pays arabes. Comment les 50 photographes ont-ils été sélectionnés ?

Gabriel Bauret : Sur l’ensemble des 9 lieux d’exposition de cette troisième édition sont présentés les travaux de près de 50 photographes. Et comme ce fut le cas dès la première édition, il s’agit de croiser les regards sur le monde arabe : ceux que portent les photographes originaires de cette région avec ceux de photographes « étrangers », empreints d’une autre culture et d’une autre sensibilité. Et cela afin de diversifier les approches du monde contemporain.
La sélection des artistes s’opère différemment selon la nature des lieux qui participent à la Biennale. L’IMA et la MEP n’ont évidemment pas la même vocation que les galeries, ni les mêmes contraintes. En tant que coordinateur, il s’agit donc de concilier ces préoccupations différentes. Pour cette édition, avant même que s’engagent les échanges entre l’IMA et la MEP – les deux institutions qui ont été à l’origine de la création de la Biennale en 2015 –, le nouveau directeur de la MEP, Simon Baker, avait formé le projet d’exposer Hassan Hajjaj. On a fait coïncider les dates pour intégrer son exposition au programme de la Biennale. L’IMA, en revanche, a conçu une exposition en fonction de ce qui avait pu déjà être montré antérieurement, avec l’idée d’explorer de nouveaux territoires de création. Lors de l’édition précédente par exemple, une place significative avait été accordée à des photographes tunisiens. Il s’agissait donc de s’orienter dans une autre direction que le Maghreb, souvent représenté à travers les artistes marocains.

9 Lives magazine : Dans cette programmation 2019, on remarque une parité parfaite, est-ce un hasard ou une volonté ?

G. B. : Ce n’est ni une volonté, ni un hasard. La présence des femmes dans cette Biennale me semble être l’expression d’une réalité. Nous n’avons pas cherché à rééquilibrer quoi que ce soit. Ce qui se passe dans le monde arabe est en un sens à l’image de la photographie contemporaine. Du moins en ce qui concerne le champ de la pratique artistique qui nous intéresse ici. Dans l’exposition sur le Liban présentée à l’IMA, on peut constater que les femmes ont beaucoup à dire : elles s’approprient la photographie pour développer des propos assez engagés. Peut-être même plus engagés que les hommes.

9 Lives magazine : Cette année, le pays mis à l’honneur est le Liban. Pourquoi votre choix s’est-il porté sur ce pays en particulier ?

G. B. :  Le choix s’est porté sur le Liban à la suite de la visite par la directrice des expositions de l’IMA, Aurélie Clemente-Ruiz, de la Beyrouth Art Fair consacrée en 2018 à la photographie. Il lui est apparu que le Liban connaissait une certaine effervescence dans ce domaine et cela a constitué le point de départ des réflexions, avec l’intention de montrer des artistes moins vus et moins connus que des figures comme Fouad Elkoury, Akram Zaatari ou Ziad Antar. Il faut dire aussi que le Liban a une histoire photographique plus importante que dans d’autres régions du monde arabe. Et qu’il bénéficie aujourd’hui de la présence de galeries, d’un marché de l’art et de collectionneurs.

Le Liban a longtemps porté les stigmates des années de la guerre civile, de nombreux photographes mettaient ces 15 ans de conflit au cœur de leurs préoccupations artistiques, mais il semblerait que la jeune photographie cherche à s’en détacher. Lors de la recherche de photographes et de sujets à présenter avez-vous repéré cette différence entre les générations ? Quelles sont les thématiques choisies par les jeunes photographes ?

Dans l’exposition de l’IMA, nous avons réuni des travaux qui datent pour la plupart des années 2010, c’est-à-dire très récents. Des images qui rendent compte de réalités contemporaines. Car même s’il s’agit de démarches artistiques, cela ne veut pas dire pour autant que les questions sociales, les conflits, les rapports hommes – femmes, les migrations, le mélange des communautés, soient absents des propos visuels, bien au contraire. Une partie de l’exposition témoigne assez directement de ce type de questions par des photographes comme Omar Imam ou Maria Lamia Abillama. Cela ne veut pas dire non plus que ces artistes ignorent le passé et notamment les conflits qui ont marqué le pays à la fin du siècle dernier. Je pense à Dalia Khamissy qui a travaillé sur les disparus de la guerre civile.
Une jeune photographie cherche sans doute, non pas à ignorer, mais à oublier le climat d’insécurité, d’intranquillité, pour reprendre un terme de l’écrivain Fernando Pesoa, qui règne dans le pays. C’est le sens des images de Myriam Boulos qui photographie les fêtes organisées par la jeunesse dans des lieux improbables. Le Liban d’aujourd’hui est un pays fragile et les artistes restituent à travers leur œuvre ce climat.
On dit souvent qu’il y a un avant et un après cet épisode de la guerre civile qui a profondément marqué le pays et les mentalités. Elle a aussi laissé physiquement des traces dans le paysage urbain de Beyrouth. Beaucoup de photographes ont relevé les impacts des combats. Mais nous avons préféré montrer un certain désordre urbain que photographie de façon assez compulsive cette artiste d’origine lithuanienne, Ieva Saudargaité Douaihi, venue s’installer dans la capitale libanaise.

9 Lives magazine : Quelles vont être les découvertes de cette année ? Les moments forts de cette édition ? Quelle est pour vous L’exposition à ne pas manquer ?

G. B. : Il y a des découvertes à faire à l’IMA : certains artistes n’ont encore jamais été exposés en France. Mais il faut aussi mentionner la présence des jeunes égyptiens réunis à la Cité internationale des arts par Bruno Boudjelal. En revanche, certaines œuvres bénéficient d’une certaine reconnaissance, comme par exemple celle de l’artiste Hassan Hajjaj. Celui-ci partageant sa vie entre le Maroc et l’Angleterre, c’est sans doute pour cette raison que son travail a acquis une certaine notoriété. À la galerie XII, deux coloristes dialoguent dans une exposition intitulée « Un Orient alors en paix » : Dolorès Marat que l’on ne présente plus, aux côtés de Patrizia Mussa qui montre un travail inédit en France. Certaines expositions sont aussi l’occasion de donner une vue d’ensemble d’un travail qui avait été auparavant montré de façon fragmentaire : je pense à Lynn S.K. dont on a regroupé à la Mairie du 4e plusieurs séquences qui racontent son retour en Algérie.
Difficile pour moi de pointer l’exposition à ne pas manquer. Je suis mal placé pour cela. Je pense que c’est l’ensemble qu’il faut considérer. Toutes les expositions ne bénéficient pas des mêmes espaces et des mêmes moyens. Il y a une grande diversité de propositions et qui ne s’adressent pas forcément aux mêmes publics, ne répondent pas nécessairement aux mêmes attentes.

9 Lives magazine : Les œuvres présentées ont toutes été réalisées ses 10 dernières années. Pourquoi ce choix ?

G. B. : La Biennale s’est d’emblée positionnée comme une manifestation dédiée à la création contemporaine. Cette édition continue dans la même voie. Et la matière est riche. Il y a encore beaucoup de choses à explorer dans cette région du monde.

Quatre et deux ans nous séparent respectivement de la première et seconde édition, est-ce que la Biennale a participé à une meilleure visibilité de la scène des pays arabes ? A t-on vu plus de photographes publiés ou exposés en France depuis la manifestation ? Y a t-il eu des photographes qui ont été « lancés » grâce à elle ?

Difficile de mesurer l’impact d’une telle manifestation. Je n’ai pas vraiment cherché à savoir si les photographes exposés jusqu’à présent avaient tiré profit de leur présence dans le cadre de cette Biennale. Ce que l’on peut dire, c’est que celle-ci est unique en son genre ; à ma connaissance, il n’y a pas d’autre manifestation qui tous les deux ans se donne comme objectif d’explorer la création photographique dans cette région du monde. Et qui, à travers ce projet artistique, porte un éclairage décalé sur ces pays, en marge de la photographie de reportage. Nous avons la chance que deux institutions en France soutiennent cette démarche et soient également accompagnées par des galeries et des lieux comme la Cité internationale des arts ou la Mairie du 4e. . Dans une époque où l’on cherche de plus en plus souvent à exploiter les valeurs sûres et à prendre un minimum de risques, je trouve formidable de pouvoir tenter cette aventure avec pour essentiel objectif d’explorer des territoires de création peu connus, mais aussi d’aider des artistes à montrer ce qu’ils font ; alors que dans leur pays les occasions et supports de diffusion de leur art sont souvent limités. Nous n’avons pas la prétention de « lancer » des artistes mais d’abord de leur offrir des espaces qui mettent en lumière leurs travaux.

INFORMATIONS PRATIQUES

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Détail des expositions

mer11sep(sep 11)10 h 00 mindim24nov(nov 24)18 h 00 minLIBAN, RÉALITÉS & FICTIONSExposition CollectiveInstitut du Monde Arabe, 1 Rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris

mer11sep(sep 11)11 h 00 mindim17nov(nov 17)20 h 00 minHassan HajjajLa Maison Européenne de la Photographie, 5/7 Rue de Fourcy 75004 Paris

mer11sep(sep 11)10 h 00 mindim24nov(nov 24)18 h 00 minHakawi حكاوي Récit d’une Egypte contemporaineRécit d’une Egypte contemporaineCité Internationale des Arts, 18 Rue de l'Hôtel de ville, 75004 Paris

mar10sep(sep 10)14 h 00 minsam19oct(oct 19)19 h 00 minLe DonGiorgia FiorioGalerie Agathe Gaillard, 3 Rue Du Pont Louis-Philippe 75004 Paris

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mer11sep(sep 11)10 h 00 minsam16nov(nov 16)18 h 00 minAller, RetourLynn S.K.Mairie du 4ème arrondissement, 2 place Baudoyer 75004 Paris

mer11sep(sep 11)10 h 00 minlun18nov(nov 18)19 h 00 minAin Diab ou La Source des LoupsKaren AssayagGraine de photographe, 14 quai de Béthune (île Saint-Louis) 75004 Paris

mar10sep(sep 10)14 h 00 minjeu31oct(oct 31)19 h 00 minUn orient alors en paix : Syrie, Yémen, Égypte et Jordanie Dolorès Marat & Patrizia MussaDolorès Marat & Patrizia Mussa Galerie XII Paris, 14 rue des Jardins Saint-Paul 75004 Paris

mer11sep(sep 11)14 h 30 minlun04nov(nov 4)18 h 30 min« Beyrouth ou le Silence des Dieux » Et « Fragment »Anne-Françoise PélissierGalerie Basia Embiricos, 14 Rue des Jardins Saint-Paul, 75004 Paris

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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