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Une 3ème édition réussie pour Chaumont-Photo-sur-Loire 3/3
Manolo Chrétien et Henry Roy

Temps de lecture estimé : 9mins

Pour cette troisième édition de Chaumont-Photo-sur-Loire, la commissaire, Chantal Colleu-Dumond, a réuni six photographes autour de la thématique de la nature. Après avoir voyagé en Corée, au Soudan, au Mexique et sur les bords de la Loire, voici dans ce troisième et dernier volet le domaine de Chaumont-sur-Loire vue à travers le regard de Manolo Chrétien et Henry Roy.

Manolo Chrétien présente Fusions dans les galeries de la cour des jardiniers, de grands formats photographiques, couleurs cuivrées, argentées, sable, grises et noires, d’argents sur les mouvements rapides de la Loire, Aqua Forte, Eau Forte.

Un regard amoureux s’éprend de l’or des soleils en réflection sur les eaux vives du fleuve. Et cette promenade amène le spectateur à un paysage autrement plus près de cette intimité créatrice qui fait cette photographie précisément picturale, vitesse lente de l’obturation, chemin de l’eau qui court ainsi dans le temps sur le grain du film, en composant des lignes, nervures de feuilles, pinceaux de lumière, mouvement des flots rapides, dessins d’une une précision qui enchante le trait, le destine à toute la présence, l’attention du regard. On se croirait à ‘intérieur d’une toile de Maître tellement la précision de la lenteur du trait accuse la fertilité de l’oeil qui accorde à cette photographie, la précision du point, du jeu, du mouvement. Un oeil devient main gravant par la taille la douceur angevine du remords, la surface de l’onde devient peau de loutre, fourrure, dans une mutation pérenne qui surprend et enchante.

© Manolo Chretien

Un regard “pensif” s’éprend des reflets du soleil sur la Loire dans un traitement assez plastique pour en faire naître une instantanéité picturale. Celui ci, azuréen plonge au coeur de la matière, et navigue aux points où ses effets optiques en font tout autre chose. Les tirages légèrement contrastés accusent le roulis de ce regard ailé et accompagnent comme une main de tailleur ce mouvement de transformation qui glisse sur la surface de métal, le brosse, le tire, le plonge vers une sorte de transmutation. La Loire devient étuve, forge, on y entend se froisser discrètement ce bonheur des matières qui glissent et se résorbent au regard. Un double effet interroge cette poétique profonde des alliages dans une dimension où l’imagination créatrice opère ses transformations en profondeur de l’intimité rêvée du photographe. Manolo est happé par ces mouvements de l’eau en ces remous de vague immobile et par ce chant de l’invisible, un regard glisse sur l’eau en fusion, y relève cet effet peau de sardine, cet aluminium cher au photographe parce qu’il sature les gris et polarise les blancs dans une séduction des sels d’argents insolés, tirant du medium un effet de polarisation si photographique – ces noirs légèrement sépia -, où se dédouble et se couche simultanément l’ effet d’image, comme un corps transparent à son âme.

C’est dire que le regard emporte au delà du visible et en son centre (un regard circulaire?) la profondeur de la matière, vécue ici comme une épouse de la lumière et et de l’eau mouvante, vivante, puissante, de l’onde plus poétique qui offre sa mutante chaleur à la percée du regard. Un effet peau de sardine, effet de soies, disent alors ces transmutations, l’eau est devenue animale au delà de ce premier magma du à l’or des soleils somptueux, se divinise en quelques sortes. Tout cela est possible parce que Manolo se rêve en ce processus de traversée de la matière en fusion et assiste dynamiquement dans ses possibilités créatives cette genèse enchantée, vastes amours entre le ciel, l’eau, la lumière, dynamiques des fusions où tout un art poétique s’établit inconsciemment pour offrir au photographe ces noces élémentaires. Là s’éprouve l’indicible hiérogamos, ce mariage entre la Nature et le regard de Manolo Chrétien, accomplissant les joies d’un ciel inversé, champagne solaire d’une Loire nerveuse, toute versée au destin de ces mutations profondes.

Regis Durand ans le regard pensif écrit:” L’aura d’une oeuvre c’est cette distance (spatiale et temporelle) qui donne à l’oeuvre son caractère “sacré”… Or l’”aura” d’un objet c’est aussi “l’ensemble des images qui, surgies de la mémoire involontaire tendent à se grouper autour de lui.C’est ce qui assure la circulation des regards, de l’observateur à la chose, de la chose à l’observateur:” Sentir l’aura d’une chose, c’est lui conférer le pouvoir de lever les yeux”. Nous sommes toujours dans le droit fil d’une psychologie de la jouissance artistique, celle là même que Worringer appelait “la jouissance objectivée de soi.”

Une lecture optique linéaire sautillante, métaphorique se conjugue à une lecture haptique, ce toucher du regard dans sa dimension corporelle, organique se lie à cet autre touché, parfois s’éprend de telle partie de l’image et s’y enfonce, tandis que cette lecture optique précipite vitesse, intellect, légèreté, dans une jouissance de langage et de corps. Alors nul doute que la Loire, ce fleuve indomptable et sauvage ne rêve lui aussi de se voir plus fluent dans les grandes photographies de Manolo Chrétien et de rire de ces tendresses profondes que l’oeil et la main du photographe ont su faire joué dans cette part indivise pour offrir au dieu fluvial, la présence de ces contes, de ces transmutations orphiques.

© Henry Roy

Ce tour de Chaumont-photo sur Loire serait incomplet sans évoquer le travail d’Henry Roy, auteur et photographe, où une voix décrit par un long texte habité, réflexif, toute l’intimité de ses présences aux jours passés en résidence dans le château et le parc, aux quatre saisons. S’en suit un portrait animiste d’un château, ses dépendances et son parc, publié dans un beau format sur papier grège dans un grammage qui densifie le texte aérien, presque pulmonaire, ce recueil à la déambulation intérieure descriptive, interrogative. Henry Roy relève par l’écriture la source même de ses photographies venues en renfort pour rendre au visible la prégnance poétique de cette voix intérieure, tout au dé-paysement de sa situation bi-culturelle. La lecture animiste du château, de ses dépendances et de ses alentours, fait surgir à la butée de son regard , le Haîti lointain et proche, formations perceptives, dé-ambulation enchantée, retour aux sources de cette voix intérieure qui s’est éprise de Chaumont, et qui traverse le temps. Henry Roy s’est accordé le ” luxe ultime” de ne se fier qu’au “radar de son intuition pendant toute la durée de ce voyage intérieur. ” et pour ce faire, il “se livre aux rituels d’un culte inventé, à un cérémonial, un acte psycho-magique, comme une force d’incarnation adressée aux forces de guérison de notre planète dévastée.” écrit-il.

Le château et son parc deviennent alors un sanctuaire , un point central à travers le temps. La résidence dans son apport au texte commence en hiver, un 22 Novembre 2018 et se clôt le 10 Septembre 2019. Le photographe écrivain parcourt le temps sur les ailes des mots et sur l’écheveau de sa photographie. Il relève ainsi le fondement de ce qui fait voies et voix, parcourant les soleils de percale, s’adressant aux nuages,” aux merveilleux nuages”, écoutant le bruissement intérieur de la terre, l’hiver, le printemps vert dans le concert des oiseaux et des fleurs aux insectes virevoltants, aux joies joviennes et sonores des jardins parés d’enfants, la lente plainte de la terre assoiffée, puis le retour mélancolique des brumes apaisantes de l’automne.

Les quatre éléments sont aux sources de cette rêverie poétique tout en délicatesse des rêves qui traversent les mots et qui font la langue fleurie, délicate, précise, broderies, souffles, le langage est ici le vecteur de l’énonciation, première instance active au propos afin de saisir le voir et son objet par une photographie qui s’émerveille, éveille la lumière, corolle solaire d’une fleur aux roses de ses pétales, arbre pluri centenaires qui lance ses bras au devant des brumes automnales, feu de la lumière projetée sur un mur de pierre, dansante, flamme intérieure des vitraux qui colorent et qui chauffent la pierre tendre, explosion des verts qui ont mangé la cabane comme une forêt luxuriante, retour d’Haïti, palmes qui se consument sous la lumière rouge de la nuit bleue estivale, banc de sable où rit l’onde azuréenne , nervures vertes des feuilles évoquant cette forêt primaire, parcourue de rivières, comme vue du ciel et de très haut….

La photographie ramène Henri Roy au souvenir de son île, à lui, dans le sommeil perdu du texte où se lit cette présence occultée du souvenir; cela sonne très juste comme une promesse à l’insatisfaction dérangeante, Parfois il note qu’il “passe et repasse, suivant ma ronde obstinée, toujours aux mêmes endroits. Cette besogneuse répétition n’a décidément rien de monotone. Elle manifeste une insatisfaction chronique, doublée de l’espoir inébranlable d’être surpris, enthousiasmé. Jamais un lieu ne respecte tout à fait le souvenir que l’on en garde. La stabilité des êtres et des choses n’est qu’apparence trompeuse. Et il me plait de naviguer aveugle sur l’océan du perpétuel changement.”

Il faut lire ce beau texte, compagne de cette photographie, la voix d’Henri Roy y fait moisson de sensations dans l’éligible attention qui fut la sienne, comme l’écrit Aimé Césaire dans Nouvelle bonté :” Il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube.” Ce qui fait résolution de l’écrivain engagé en lui même par l’écriture, cette lente approche de soi même plus lucide qu’il n’y parait et sans complaisance; il est question d’approcher par couches, les traces de ses pérégrinations, ce qui fait oeuvre et sens, au delà des apparences comme il faut savoir naviguer aveugle c’est à dire voyant sur l’océan du perpétuel changement.

Domaine de Chaumont sur Loire © Pascal Therme

Reste à parler de Madame Chantal Colleu-Dumond dans la portée de ce festival. Ambassadrice complice des artistes et des oeuvres, Chantal Colleu-Dumond sait assembler les artistes et rassembler les oeuvres dans une direction artistique riche et profonde, avec cet esprit électif moralement, eu égard à l’importance artistique des propos exposés. Ne s’est-elle pas montrée exemplaire dans l’échappée et le montage du voyage de Juliette Agnel au Soudan, alors en proie aux troubles, utilisant tous les rouages de la diplomatie pour que ce travail puisse exister. Chantal Colleu-Dumond fait oeuvre également dans cette cordialité qui touche et qui porte le festival depuis trois ans.

 

Retour sur le premier volet publié, mardi 26 novembre 2019 <<<
Retour sur le second volet publié, mercredi 27 novembre 2019 <<<

INFORMATIONS PRATIQUES

sam16nov(nov 16)10 h 00 min2020ven28fev(fev 28)18 h 00 minChaumont-Photo-sur-Loire 2019Domaine de Chaumont-sur-Loire Centre d'Art et de Nature, Ferme du Château 41150 Chaumont-sur-Loire

A LIRE :
La nature au cœur de cette 2ème édition de Chaumont-Photo-sur-Loire
Rencontre avec Chantal Colleu-Dumond, Directrice du Domaine et du Festival International des Jardins de Chaumont-sur-Loire

Pascal Therme
Les articles autour de la photographie ont trouvé une place dans le magazine 9 LIVES, dans une lecture de ce qui émane des oeuvres exposées, des dialogues issus des livres, des expositions ou d’événements. Comme une main tendue, ces articles sont déjà des rencontres, polies, du coin des yeux, mantiques sincères. Le moi est ici en relation commandée avec le Réel, pour en saisir, le flux, l’intention secrète et les possibilités de regards, de dessillements, afin d’y voir plus net, de noter, de mesurer en soi la structure du sens et de son affleurement dans et par la forme…..

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