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Rencontre avec Etienne Bernard, directeur du Frac Bretagne : « Faire archipels »

Temps de lecture estimé : 8mins

Directeur de Passerelle Centre d’art contemporain à Brest de 2013 à 2019, co-commissaire avec Céline Kopp de la 6ème Biennale de Rennes « A cris ouverts », Etienne Bernard diplômé d’un master en esthétique (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) entend bien faire bouger les lignes dans ce bâtiment-œuvre souvent jugé austère et froid d’Odile Decq. Gouvernance horizontale et participative à tous les niveaux avec notamment la création d’un « collège des usagers » réunissant des artistes mais aussi habitants du quartier, associations.., pour réfléchir à de grands enjeux de la société en regard de la collection.

Parmi les autres signes d’ouverture un partenariat avec le festival Les Transmusicales pour ce sympathique quadra qui entend tordre le coup à un certain nombre d’idées reçues sur l’art contemporain. Il est revenu sur sa feuille de route et sa vision d’un Frac ancré dans un territoire et à l’écoute du monde..

« La collection devient alors un outil pour amorcer une construction collective de sens autour de thématiques qui nous animent »

Quelles sont vos aspirations pour le Frac Bretagne et comment cela va se traduire dans la programmation ?

Mes aspirations sont grandes mais nous avons déjà beaucoup d’atouts en interne. Pour résumer, Catherine Elkar me lègue un magnifique outil qui mérite d’être un peu plus activé. Le Frac est une belle institution avec une vraie équipe professionnelle et un beau budget (1,8 millions €) mais il reste mal identifié localement, dans la ville et les circulations rennaises de la création. Il y là un vrai enjeu d’ouverture sur l’extérieur pour monter en gamme en terme de fréquentation et de communication en général. Nous allons travailler à une ouverture de la programmation plus internationale, dans le prolongement de ce que j’ai mené à Brest et pour la Biennale et je souhaite que d’ici un an ou deux nous arrivions à une programmation 50% française et 50% internationale. Nous amorçons déjà un travail de co-production comme par exemple pour l’exposition de Pauline Boudry et Renate Lorenz à l’horizon janvier 2021 avec la Biennale Mediacity à Séoul.
Pour favoriser un mouvement d’identification et d’augmentation de la population d’ultra proximité que sont les bassins rennais et nantais, nous organisons cet été la première rétrospective de Martin Parr en France depuis 15 ans. Cette exposition va s’inscrire dans une saison festival rennaise liée à l’art contemporain s’articulant autour de la collection Pinault au couvent des Jacobins. Nous espérons déclencher un vrai mouvement même si la programmation ensuite n’a pas vocation à se focaliser que sur de grands blockbusters type Martin Parr, le Frac ayant avant tout une vocation prospective que je revendique avec des prises de risque dans la programmation.

Sans Réserve. Quel regard portez-vous sur la collection ?

Je me retrouve beaucoup dans cette belle collection (4800 œuvres au total) qui a été l’une des raisons de ma candidature.
Tout est parti d’un incident sans gravité dans les réserves ce qui a conduit à la restauration d’une cinquantaine d’œuvres. Un grand chantier autour de la collection que nous devions de toute façon entreprendre et qui se décline dans cette saison Sans réserve.
La collection s’organise autour de grands axes : la peinture abstraite sur 4 décennies et à un niveau international, par effet miroir en quelque sorte une grande collection de photographie documentaire, (l’objectivité photographique regardant ainsi l’abstraction picturale), avec entre les deux, un axe conceptuel autour du paysage et enfin autre trait caractéristique de la collection du Frac Bretagne l’édition de livres d’artistes avec 2200 références. Avec autour des œuvres qui gravitent et ne rentrent pas spécifiquement dans ces axes, le Frac Bretagne n’ayant pas de thématique à proprement parler contrairement au Frac Centre, par exemple.
J’ai souhaité avec la partie exposition de Sans réserve exposer des œuvres du Frac en revendiquant leur fonction d’amorces de discours, à rebours de sa réputation de collection d’art autonome et hors sol, supposément loin des préoccupations du monde. Le dispositif tend au contraire à proposer des œuvres à partir desquelles on peut tisser des fils thématiques en écho à de grands sujets sociétaux qu’il s’agisse du climat, de l’interculturel, de l’identité, des conflits, de la montée des extrêmes, des luttes sociales… que l’on s’y connaisse ou non en art. Penser la collection comme un socle de pensée citoyenne et collective pour un directeur qui arrive est déjà un acte politique en soi.

Quelles synergies nouvelles comptez-vous mettre en œuvre avec le territoire pour « faire archipels » ?

Toutes les actions du Frac sont pensées désormais en archipels et en collaboration avec des acteurs ou structures tiers, par exemple Martin Parr déjà cité en correspondance avec la saison contemporaine à Rennes mais également le lancement de toute une saison photographique à partir de notre collection sur l’ensemble du territoire avec comme partenaires les Champs Libres, le festival de la Gacilly, l’Imagerie à Lannion, Guingamp, Daoulas… Au total une quinzaine d’expositions seront proposées. Nous pensons également nos actions pédagogiques sous cette approche. Nous sommes comme un îlot central à Rennes qui trouve ses ramifications un peu partout sur le territoire. Nous allons nous inscrire dans une circulation régionale, nationale et internationale systématique, ce qui peut paraitre classique à un certain nombre d’institutions mais est relativement nouveau ici. Le Frac a l’assise structurelle et les moyens pour y prétendre.

Quelles rencontres ont-elles été décisives dans votre parcours ?

La personne la plus importante à mes yeux est Jean François Millier qui fut coordinateur général de la Fête de la musique aux côtés de Jack Lang. Dans les années 2000 il devient délégué général du Festival international de l’affiche et du graphisme de Chaumont et je l’assiste. A son décès en 2007 je suis nommé alors délégué général. Cet homme m’a tout appris.
Je citerai également Bénédicte Ramade, historienne de l’art, journaliste et commissaire, mon professeur à Paris 1 qui m’a donné sans doute le virus de l’art contemporain alors que je regardais plutôt du côté du cinéma. Elle a fait du prosélytisme efficient !

A quand remonte votre 1er choc esthétique ?

Grâce à Bénédicte Ramade en 2ème année de fac je suis allé en voyage de classe à Barcelone en 2001 où nous avons visité le Macba qui proposait alors une grande exposition Tacita Dean. Je suis tombé amoureux de ce travail qui liait la question du cinéma qui m’intéressait alors à la question de l’art avec cette double projection fascinante « Disappearance at Sea » 1997, tourné dans un phare en Ecosse où l’on voit en close up la lentille Fresnel qui croise le rayon de lumière. Presque 20 ans plus tard, je dirige une collection dans laquelle cette œuvre est conservée !

Directeur de Passerelle Centre d’art contemporain à Brest de 2013 à 2019, Etienne Bernard a notamment réalisé les premières expositions personnelles en France de Fredrik Vaerslev, Goldschmied & Chiari, Koki Tanaka, Laëtitia Badaut Haussmann, Laura Aldridge ou Ming Wong. De 2015 à 2017, il était président de d.c.a – association française de développement des centres d’art contemporain. Précédemment, il a dirigé le Festival International de l’Affiche et du Graphisme de Chaumont ainsi qu’un programme d’expositions au CAPC Musée d’Art Contemporain de Bordeaux (2007-2009). De 2010 à 2013, il a mis en place et coordonné le programme de recherche et de résidence Fieldwork : Marfa aux Etats-Unis. De 2013 à 2015, il a été membre du comité d’acquisition du Fonds National d’Art Contemporain et intègre celui du Fonds régional d’art contemporain Bretagne en 2016. En tant que critique d’art, Etienne Bernard a notamment collaboré aux revues françaises Archistorm ou 02 et publié dans de nombreux ouvrages (Cura books, Les Presses du Réel, Exit, etc.). En qualité de commissaire indépendant, il a mené différents projets en institutions en France comme à l’étranger notamment à la Krabbesholm Højskole au Danemark, au Parc-Saint-Léger à Pougues-les-Eaux, au Musée de l’Objet à Blois ou au JAUS Art Space à Los Angeles. En 2018, il est commissaire de la 6ème édition des Ateliers de Rennes – Biennale d’art contemporain aux côtés de Céline Kopp.

ACTUELLEMENT AU FRAC BRETAGNE :
Sans réserve
Jusqu’au 26 avril 2020
Le pédilove d’Anaïs Touchot
Le mur du fonds
Horaires : de 12h à 19h du mardi au dimanche, fermé le lundi Documentation ouverte de 14h à 18h du mardi au vendredi et sur rendez-vous le matin Restaurant ouvert du mardi au dimanche de 12h à 17h
Tarifs : 3 €/ 2 €
19 avenue André Mussat, Rennes
Accès : En bus : ligne c4, arrêts cucillé, Dulac, Léonard [www.star.fr] En VéloSTAR : station 55 – Préfecture En métro : direction J.F Kennedy Arrêt Pontchaillou et continuer 15 mn à pied ou arrêt Villejean – Université et continuer en bus.
https://www.fracbretagne.fr

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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