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Le petit théâtre de Roger Ballen à la Halle Saint Pierre
Rencontre (1ère Partie)

Roger in the family room © Marguerite Rossouw (détail)
Temps de lecture estimé : 9mins

Jusqu’au 31 juillet, la Halle Saint-Pierre accueille l’un des photographes les plus singuliers de sa génération. « Le monde selon Roger Ballen » est sans nul doute la plus grande exposition de ses oeuvres, réunissant photographies, films et installations inédites. Notre critique Pascal Therme, l’a rencontré au sein de cette monstrueuse rétrospective.

Nous sommes avec Roger Ballen dans cette belle et très grande exposition sur deux niveaux à la Halle Saint Pierre.

En bas tout un jeu d’installations renvoie à une mise en scène de votre inconscient dans des tableaux en volume qui semblent figés, mais qui, intrinsèquement se mettent en mouvement comme dans un rêve, un cauchemar de sorte que le visiteur perçoit assez vite qu’il est en relation avec une production tendue en miroir à ses peurs, ses résistances, ses phobies propres, à cet univers décalé, mais pas seulement…. Tout s’articule à travers une pénombre de cinéma, un peu de la tension qui prévaut aux films noirs, à Hitchcock, – Psychose pour nommer un point d’ancrage et ici, en haut votre travail plus photographique dans une composante nettement “Ballenesque” faite de références à toute un réalité psychologique, très directement, un peu comme l’Art Brut dont vous récupérer les codes, dit-on, sans en être vraiment, un peu comme votre clone parait “surveiller” ces installations au premier étage.

Discussion, 2018 © Roger Ballen

« C’est là que les choses vont de travers en art, nous n’entendons plus le mot poésie, nous n’échafaudons pas de philosophie« . – Roger Ballen

D’un point de vue stylistique… les photographies exposées témoignent d’une énergie, d’une vitalité où s’effacent les repaires et où se superposent les questions, dans une tension qui met mal à l’aise, qui dérange, qui effracte et qui, pourtant rend compte de ce Malaise dans la civilisation dont parle Freud et que vous approchez dans votre quotidien en Afrique du Sud où vous vivez la plupart du temps.

Est ce dire qu’une instance documentaire traverse tout de même votre production, qui est de fait composite entre les objets au rebus, les dessins et peintures, les poupées et les chiffons, les animaux empaillés, bref tous les matériaux qui servent à l’étage inférieur à vos installations, pour nourrir cette photographie là, particulière et arrêtée sur elle même, dans un constat ouvert aux problématiques citées plus haut. Votre approche de la normalité, de la photographie, un théâtre d’ombres où se profile tout un univers assez large et très personnel, inspiré de Beckett, du théâtre de l’absurde, qui semble être votre grande référence, s’égraine ici dans une très large proportion.

Cette exposition plonge inévitablement le « spectateur » celui qui regarde dans un climat où le bizarre, l’inquiétante étrangeté, l’absurde, l’anormalité s’imposent assez largement pour questionner celui-ci.

Superman, 2018 © Roger Ballen

Pascal Therme : Dans cette prolifération d’ œuvres dont la tendance est un envahissement de tout l’espace d’exposition, combien de pièces cette salle assemble t-elle et quelle importance cela requiert-il pour vous ?

Roger Ballen : À l’étage, nous disposons d’environ 90 photos, de plusieurs installations et de plusieurs dessins. Il s’agit donc d’une exposition assez vaste à l’étage en relation avec les installations situées au rez-de-chaussée.

Pascal Therme : A la Halle St Pierre donc dans le joli quartier de Montmartre, quel est votre lien privilégié avec cet endroit?

Roger Ballen : Eh bien je m’intéresse à cet endroit depuis de nombreuses années. Je viens ici depuis 10 ans. C’est l’un de mes musées préférés à Paris. Parce qu’il s’agit d’un musée, d’art authentique ou de véritable art psychologique. Ce n’est pas un art de la mode, un art du contemporain. C’est un art qui a une valeur durable et une qualité humaine, en partie un art du subconscient. Peut-être un musée de l’expression subconsciente, ce type de travail et d’œuvres exposées au fil des ans m’a toujours séduit.

Pascal Therme : Oui, quel est votre lien privilégié avec l’Art Brut car c’est l’un des lieux parisiens dédiés à l’art brut et je pense qu’en partie votre travail comporte ce type d’expression directe, vous projetez votre inconscient sur plusieurs supports.

Roger Ballen : Oh, vous savez, le concept « outsider » d’Art Brut se résume à quelques concepts centraux:
1- Il traite avec des personnes et des lieux qui sont en dehors du monde de l’art commercial
2- Il traite des personnes, des lieux et des expressions. Il y a une sorte d’expression subconsciente qui n’est pas nécessairement impliquée dans les problèmes contemporains.
3- Il s’agit de lieux extérieurs, que la personne normale ne fréquente pas ou ne veut pas fréquenter. C’est donc un endroit à la périphérie et c’est un endroit que les gens font psychologiquement de leur mieux pour éviter. La plupart des gens veulent essayer de trouver ou de s’associer à cette norme de la soi-disant normalité et ils deviennent très anxieux lorsqu’ils doivent s’occuper d’un lieu différent où se projettent les formes directes du subconscient.

D’une certaine manière, c’est ce que je fais depuis longtemps, des décennies et des décennies. C’est l’expression de l’esprit intérieur d’une manière ou d’une autre, qui est associée au type d’art que les artistes d’Art Brut ont tendance à faire.
Vous savez que le mot Artistes de l’Art Brut couvre un grand nombre de types de personnes. Ce sont des œuvres directes aussi bien, de l’art fait par des enfants , des personnes qui vivent en hôpital psychiatrique, qui sont en prison, ou isolées, des expressions de sociétés primitives. C’est de fait assez large… un mot qui a de nombreuses associations.

Je pense simplement que c’est une forme d’expression qui n’est pas nécessairement liée au monde contemporain tel que nous sommes censés le vivre et l’habiter.

Pascal Therme : Il y a un critique politique de ce monde, ce sens de la réalité, ce qui est supposé être réel ou irréel? Et dans quel sens votre travail typique fait-il une différence entre toutes ces références, où se situe-t-il exactement?

Roger Ballen : Il remet en cause le statu quo de l’esprit. Et si vous défiez le statu quo de l’esprit, vous remettez en quelque sorte en question le statu quo de la société. Et à moins que le statu quo de l’esprit ne soit remis en question et transformé d’une certaine manière, il n’y aura pas d’avancement politique. C’est le problème de l’histoire humaine. Il ne s’agit pas nécessairement des gouvernements. Les gens sont généralement responsables de leur gouvernement dans leurs pays. Les gens dans une société sont en partie responsables de ce pouvoir … Jusqu’à ce qu’il y ait une révolution psychologique globale où le conscient et l’inconscient, où le refoulé et le soi-disant esprit conscient ou normal se rencontrent d’une manière intégrée, organique . On ne peut pas s’attendre à trop de changements dans la société au cours des temps à venir. Il faut donc une révolution psychologique, un effondrement de l’état de répression des individus.

Altercation, 2012 © Roger Ballen

Pascal Therme : Comment vous viennent les images, comment se font elles, quel est votre processus de production?

Roger Ballen : Je fais des photos depuis plus de 50 ans maintenant, mais lorsque je sors et que je prends des photos, je n’ai aucune idée en particulier. Je ne planifie pas mes photos, je ne sais pas ce qui va se passer pendant la journée, je ne sais pas ce que je vais utiliser ou je ne sais vraiment pas qui je vais rencontrer. Alors, j’arrive à un endroit et j’essaie de trouver l’image, j’essaie de construire l’image. Et je trouve – comme on dit en anglais – un chemin dans la forêt, un chemin dans la porte. Alors, par où commencez?
C’est toujours le gros problème quand vous arrivez à un endroit, que faites-vous? Qu’y a-t-il en premier, quel est le premier pas, comment construisez-vous l’image? Qu’y a-t-il là?

Vous voyez maintenant que je ne suis pas une personne qui ne s’intéresse qu’au contenu. Je suis vraiment quelqu’un qui est orienté formellement. Je crois qu’une photographie doit être totalement organique comme un être vivant. Donc, si je vois quelque chose d’intéressant là-bas … Snap! Snap! Snap! Je claque des doigts! Comme un enfant qui souffle les bougies pour son anniversaire. Je dois regarder ce qui se trouve en haut de l’image du côté de l’image au bas de l’image. Donc, premièrement, je me préoccupe de la forme dans laquelle tout fonctionne ensemble et, deuxièmement, ce qui est très important, je me préoccupe de la signification de l’œuvre. Cela a-t-il une signification complexe?

Donc, si je devais dire quelle est ma philosophie, la philosophie ultime, la philosophie, en photographie, c’est une forme simple, des formes précises – vous pouvez voir que toutes ces formes sont vraiment claires et précises – et complexes. La signification complexe signifie parfois des significations opposées, des significations multiples et, surtout, les significations sont de nature visuelle.

Tant de gens viennent à mes expositions et veulent savoir «quel est le sens du travail?». Je dis qu’il n’y a pas de signification, qu’il y a plusieurs significations et qu’elles sont de nature visuelle et parfois opposées. Donc, vous devez trouver un sens pour vous-même, que ce soit sans mots ou en rêve; vous pouvez rentrer à la maison et écrire à ce sujet ou s’il s’agit de se parler à soi-même. Mais il n’existe pas de façon simple, voire simpliste de comprendre ces images, elles sont un moyen ou si je pouvais utiliser ce mot un modus operandi pour frapper immédiatement, très rapidement l’esprit du spectateur et entrer dans son subconscient.

Et je pense que c’est pour cela que mon travail est intéressant, que très peu de gens s’éloignent de mes images et les oublient. Ils se souviennent de ce qu’ils ont vu. Ça les fait réfléchir…

Waif, 2012 © Roger Ballen

Rendez-vous lundi prochain pour la suite de notre rencontre…

Interview faite en langue anglaise, traduction d’Anne et Jean Pierre Simard.

A LIRE
Le Musée de la Chasse et de la Nature accueille Roger Ballen et Hans Lemmen

INFORMATIONS PRATIQUES

sam07sep(sep 7)11 h 00 min2021dim03jan(jan 3)19 h 00 minLe Monde selon Roger BallenLa Halle Saint Pierre, 2 Rue Ronsard, 75018 Paris

jeu14nov10 h 30 min2020sam14mar18 h 00 minThe Theatre of the BallenesqueRoger BallenCENTRALE for contemporary art, Place Sainte-Catherine 44, 1000 Bruxelles

Pascal Therme
Les articles autour de la photographie ont trouvé une place dans le magazine 9 LIVES, dans une lecture de ce qui émane des oeuvres exposées, des dialogues issus des livres, des expositions ou d’événements. Comme une main tendue, ces articles sont déjà des rencontres, polies, du coin des yeux, mantiques sincères. Le moi est ici en relation commandée avec le Réel, pour en saisir, le flux, l’intention secrète et les possibilités de regards, de dessillements, afin d’y voir plus net, de noter, de mesurer en soi la structure du sens et de son affleurement dans et par la forme…..

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