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Ode à la masculinité : Monika Macdonald présente Hulls chez André Frère éditions

Temps de lecture estimé : 6mins

À l’occasion de son exposition à la galerie VU’ – suspendue par la crise sanitaire du covid-19 mais visible depuis le déconfinement – la photographe suédoise Monika Macdonald vient de publier son ouvrage Hulls chez André Frère éditions. Un travail brut et frontal qui repousse les codes de la masculinité.

Cette ancienne photographe de presse basée en Grand Bretagne, ce concentre depuis son retour en Suède, en 2007 à son travail personnel. Alors qu’elle achève sa série « In Absence », un travail autobiographique sur la féminité, Monika Macdonald poursuit sa recherche photographique avec ce nouvel opus « Hulls ». Loin des stéréotypes sur la virilité inhérente aux hommes, Monika Macdonald choisi ici de montrer leur imperfections et leurs vulnérabilités.
La directrice de la galerie VU’, Caroline Bénichou a interrogé l’artiste sur ce travail inédit.

Quelle a été la genèse du projet ? Combien de temps as-tu consacré à la série ?

Quand je travaillais à mon précédent projet, In Absence, j’écoutais beaucoup de chansons parlant de la perte de l’amour. La plupart des auteurs étaient des hommes et leurs chansons étaient très sensibles, elles parlaient de la volonté de vivre, du sentiment d’être perdu, de celui de se sentir exclu. Ils avaient des liens très forts avec leur convictions intimes, tout en étant assez fragiles pour écrire des chansons. J’ai commencé à explorer des textes de chansons et des biographies écrits par des hommes, surtout par Bruce Springsteen. Je me suis beaucoup intéressée à sa relation à son propre désir, sa maladie mentale, sa faible estime de soi, mais aussi à sa croyance absolue dans les rêves et l’être humain.
Alors, j’ai commencé à visualiser des images d’hommes, à ressentir l’envie de capter leur moi sensible. C’est ainsi que tout a commencé… Pendant environ deux ans, j’ai travaillé d’arrache-pied pour trouver le langage que je voulais parler.

Pourquoi ce titre, Hulls ?

Hulls est un mot magnifique. C’est quelque chose de vide, quelque chose qui est toujours présent, mais vide.
Une grande construction ou une grande destruction, ce mot recouvre des significations différentes, quelque chose qui a été en mouvement, mais qui est maintenant abandonné et silencieux. Quelque chose de perdu. Quelque chose d’échoué sur un rivage, où il n’a peut-être pas sa place.
Je peux m’identifier à l’homme de cette façon.

Tu montres les hommes comme rarement en photographie, dans leur intimité mais aussi dans une forme de vulnérabilité. Comment as-tu travaillé avec ceux que tu as photographiés ?

Nous avons travaillé en plusieurs séances, souvent plus de quatre, deux ou trois heures à chaque fois. Avant de les rencontrer, j’avais fait des esquisses de ce que je voulais photographier. Je suis toujours très préparée, mais quand je trouve ce que je cherche, et quand nous « connectons », je lâche prise et pousse les limites aussi loin que possible et aussi loin qu’ils le souhaitent. Sans sentimentalisme. Ces hommes, que l’on voit dans le livre et l’exposition, ont travaillé très dur. Ils ont été patients avec moi, nous avions une confiance réciproque à chaque rencontre. Ils ont travaillé avec moi autant que j’ai travaillé avec eux. Vous devez être proche de ceux dont vous faites le portrait, avec confiance et compassion.

J’ai le sentiment que tu procèdes un peu comme un entomologiste dans ton processus de travail, que tu t’empares d’un spécimen dans un environnement clos et que tu l’observes comme il évolue ? D’ailleurs, pourquoi as-tu inséré des photographies d’insectes dans la série ?

Je visualisais des hommes dans un aquarium quand j’ai commencé le projet. Dans une pièce très intime et privée, où l’on est observé sous toutes les coutures et dans tous les sens. Comme un objet. Les hommes savaient qu’ils étaient des objets dans ce travail, autant que des êtres humains, comme pour raconter une histoire avec des insectes. De cette façon, il leur était plus facile de comprendre et de s’engager dans l’intention.
Finalement, c’est un peu la même chose d’être un insecte ou un être humain. D’être fragile, observé, avec la même urgence à s’échapper, la même volonté de survie. Et d’être si facilement vulnérable.
Je ne veux pas raconter une histoire sous forme de séquence, mais produire des images isolées, solitaires, d’hommes. Dans la série, les insectes eux non plus ne racontent pas d’histoire. Ils sont volatiles et sensibles et en même temps irritables, proches et sans sentiments.

Tes nus masculins nous ramènent à la peinture classique, certes un peu bouleversée. As-tu des référence picturales pour ces série ?

Je me suis toujours intéressée à la peinture. J’aime l’image ou le sentiment immédiat que procurent les peintres puissants, sombres, suggestifs et majestueux du 15e au 17e siècle. En photographie, Boris Mikhailov est une grande source d’inspiration pour moi.

Tu as travaillé à la conception du livre avec Greger Ulf Nisson, comment avez-vous procédé ?

J’ai montré mon travail à Greger très tôt, et il a voulu concevoir le livre. Il a un grand sens esthétique. Nous n’étions pas intéressés à l’idée de travailler ensemble à la mise en page. Comme les images ne sont pas liées à une séquence ou à un récit, je l’ai laissé travailler à sa façon, sans interférer.

Quel est le lien avec In Absence, ta série précédente ? Tu l’avais consacré à des femmes qui ont fait le choix de vivre seules, avec là encore une façon de montrer les femmes très neuve. Considères tu que Hulls est le pendant masculin de In Absence ?

In Absence était une histoire avec des femmes sur un mode autobiographique. Et un premier livre très important pour moi. Les images dans In Absence étaient assez sombres et tendaient à montrer les femmes avec beaucoup d’intégrité. Cependant, à cause de mes besoins du moment, la série était dénuée de chaleur. Hulls, c’est le contraire. La série est pleine d’humour et de chaleur, mais garde cette intention d’intégrité. Je me sens très libre avec ce projet, peut-être avec un peu moins de responsabilité.

INFORMATIONS PRATIQUES :
Hulls
Monika Macdonald
André Frère éditions
80 pages, format 24 x 29 cm, relié
37 photographies couleur
ISBN : 979-10-92265-92-7
29 €
https://www.andrefrereditions.com/
http://www.monikamacdonald.com/

ven13mar(mar 13)12 h 30 mindim31mai(mai 31)18 h 30 minHullsMonika MacdonaldGalerie VU', 58 rue Saint-Lazare, 75009 Paris


La Galerie VU’ réouvre, uniquement sur rendez-vous individuel : mardi, mercredi et jeudi

Caroline Bénichou
Après des études d’arts plastiques et sciences de l’art à la Sorbonne, Caroline Bénichou collabore pendant plus de dix ans aux éditions Delpire, elle y travaille avec Robert Delpire à la conception et la coordination de livres et d’expositions. En 2013, elle rejoint la Galerie VU’ dont elle est aujourd’hui responsable. Elle est par ailleurs autrice de textes pour des ouvrages ou des expositions de photographie et du blog lesyeuxavides.com et accompagne des photographes dans leurs projets.

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