L'Invité·e

Carte blanche à Béatrice Tupin : « Je ne suis pourtant pas centenaire »

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Pour sa première carte blanche, notre invitée de la semaine, la fondatrice du  festival Les Femmes s’exposent Béatrice Tupin, a rédigé pour nous un texte sur l’évolution du métier de la presse sur ces 30 dernières années. Il y est question de changements, d’abnégations, mais aussi de ras le bol, avec une furieuse envie de faire bouger les lignes. Il y est bien évidemment question de la place de la femme photographe, mais aussi et surtout celui du métier de photographe.

C’était il y a presque 30 ans maintenant lorsque j’ai commencé à travailler dans un service photo. C’était l’âge d’or de la presse, les agences photo fonctionnaient à plein régime, les photographes avaient des commandes ou des parutions bien payées, ils partaient en reportage avec des garanties. J’ai connu le temps où pratiquement tous les journaux avaient des photographes salariés, j’ai connu le travail en argentique, les frais de laboratoire, l’excitation d’ouvrir les boites d’ektas ou de tirages à la sortie du laboratoire, j’ai connu les choix photos sur des planches-contacts avec un compte-fils sur des tables lumineuses, j’ai connu l’arrivée des bandes témoins plus pratiques que les planches–contacts… J’ai connu les moments où nous devions envoyer un motard récupérer des films à l’arrivée d’un avion quand un photographe en commande à l’étranger avait confié ses pellicules à l’équipage ou à un passager. J’ai connu le temps où pour faire une recherche photo on appelait les iconographes dans les agences ça prenait parfois trois jours entre la demande et la réception par coursier ou par les nombreux vendeurs des agences qui envahissaient quotidiennement les services photo pour y déposer tirages ou ektas, puis ils sont passés de moins en moins souvent jusqu’à pratiquement disparaître. À mes débuts, je n’ai pas connu beaucoup de femmes photographes elles étaient peu nombreuses. Et puis j’ai connu l’arrivée de la photo numérique avec une qualité médiocre et puis le moment où les boitiers sont devenus compétitifs jusqu’à devenir ultra-performants, j’ai connu la période où les journaux ont bénéficié de ne plus avoir à payer les frais de labo sans pour autant augmenter les photographes. J’ai connu les journaux qui cherchaient de plus en plus « économie et rapidité » et en ont trouvé l’occasion avec le numérique ce qui a enlevé du travail à certains reporters mais les photographes locaux dans différentes régions ou pays ont bénéficié de ce changement et de nouveaux talents sont apparus. Avec la photo numérique j’ai connu l’arrivée de nouveaux et nombreux photographes dont beaucoup de femmes sans en prendre vraiment conscience et sans les faire travailler pour autant. J’ai connu la crise de la presse, l’augmentation du papier, la diminution des publicités, les licenciements, le montant des piges photo resté figé pendant de trop longues années jusqu’à diminuer depuis quelques années pour différentes raisons comme la baisse des budgets photo, la baisse du nombre de tirages des journaux. J’ai connu la reprise de la presse par des hommes d’affaires qui ont trouvé normal de différer le paiement des factures de plusieurs mois voire d’un an ou deux parfois… J’ai connu l’arrivée des ordinateurs, les recherches qui se font en quelques clics, les journaux en ligne et les photos sous-payées comme parfois l’équivalent de 0,30 € et des directions qui voulaient imposer des fotolia and co avec une grosse préférence pour les photos libres de droits…avec toujours l’idée de gratuité qui l’emporte sur la qualité et là je pense sincèrement que les photographes et les agences n’ont pas su prendre le virage, ils auraient dû imposer des tarifs décents. J’ai connu à ce moment-là le début des forfaits entre certaines agences et les journaux ce qui a provoqué la fermeture de plusieurs structures. Il aurait fallu une action collective mais certains ont privilégié leurs propres intérêts, c’était et c’est toujours aux plus offrants pour le plus grand plaisir des groupes de presse ….J’ai connu les photographes qui partaient en commande avec un seul film pour des raisons financières le plus souvent. Aujourd’hui les photographes hommes ou femmes sont nombreux et je les trouve plus talentueux avec comme première raison le numérique qui permet de multiplier les prises de vue, de travailler sans lumière, à grande vitesse etc …alors je m’étonne parfois de voir de mauvaises photos ou de mauvais reportages. il y aura toujours celles et ceux qui feront la différence avec leur regard, leur angle journalistique et leur sensibilité, le matériel ne fait pas tout mais je me demande souvent si les bons photographes d’autrefois ne seraient pas noyés dans la masse aujourd’hui.
Depuis quelques années les photographes subissent de plein fouet la crise de la presse et la Covid est une sorte d’achèvement pour certaines et certains mais le point commun entre mes débuts et aujourd’hui c’est que les photographes qui s’en sortent sont peu nombreux et encore moins nombreuses et sont malheureusement toujours les mêmes.

INFORMATIONS PRATIQUES

ven07aou(aou 7)10 h 00 minven25sep(sep 25)18 h 00 min3ème édition Les Femmes s'exposent OrganisateurLes Femmes s'exposent

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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