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Promenades Photographiques, Vendôme 2020 : Entretien avec Cyrus Cornut

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« Les Végétales » dans ce petit miracle de l’après confinement qu’est le festival de Vendôme marque un nouveau chapitre pour ces Promenades étendues à d’autres lieux cette année dont le Domaine du Plessis Sasnières qui outre son Jardin remarquable, accueille le photographe Cyrus Cornut. Les mystères du vivant et sa préservation habitent les pensées de cet arpenteur du réel, qui de Chine ou de Paris nous livre une leçon d’humilité et de patience.
Il a répondu à nos questions.

« Marcher dans les forêts primaires.
S’y perdre, comme dans nos pensées.
Comprendre que le monde originel, fragile et beau, ne nous demande rien (..)
Marcher dans les forêts primaires
S’y retrouver, sur leurs modestes sentiers.
Comprendre qu’elles sont tout sans nous, que nous ne sommes rien sans elles« , Cyrus Cornut

Comment avez-vous réagi à l’invitation du Festival de Vendôme et quel a été votre parti prix scénographique pour Sasnières où vous exposez deux séries ?

C’est toujours un plaisir d’être invité à exposer quelque part car c’est une des principales manières de montrer son travail à un public lorsque ce travail n’est pas de l’ordre du reportage.
Cette année particulièrement où la grande majorité des évènements ont été annulés ou reportés, avoir relevé le défi de maintenir ce festival est une chance pour les photographes exposés qui sans cela n’auraient pas eu de visibilité et donc d’éventuelles retombées qui permettent de continuer à faire ce métier.

Dans un premier temps, c’est uniquement la série « Lost in the forest » qui devait être exposée, dans le cadre de la section « Les végétales ». Mais en dernière minute, ma série « Le refuge », produite lors d’une résidence à Montpellier, dont l’exposition venait d’être annulée avec la suppression du festival des Boutographies en raison des évènements sanitaires, a été remarquée par Odile Andrieu, qui m’a proposé de l’exposer également.
Les deux séries entrant dans la thématique « les végétales », il était assez facile de les rassembler dans un même espace. Malgré tout ces séries étant assez différentes, j’ai choisi de bien les distinguer l’une de l’autre dans l’exposition.
Côté scénographie je me suis contenté de faire le choix d’un accrochage assez classique et efficace pour laisser la place uniquement à la photographie, l’espace étant déjà suffisamment réduit pour y ajouter en plus de la densité.

En parallèle à votre témoignage sur l’impact de l’industrialisation galopante en Chine sur le paysage, vous vous penchez sur le végétal à l’occasion de la résidence/commande Mutation 1 du collectif Transit à Montpellier, y a t-il des résurgences ou des points communs ?

Lorsque l’on m’a contacté pour cette résidence, c’était dans l’idée de me proposer de travailler sur la ville de Montpellier et ses évolutions, en référence notamment au dernier travail que j’avais fait en Chine.
Il est vrai que je travaille sur le paysage urbain, mais je ne retrouvais pas dans l’agglomération de Montpellier les thématiques que je traite habituellement, à savoir la construction à grande échelle, les différences d’échelle entre le bâtit et l’humain, etc…en fait je travaille surtout sur des villes ou l’homme est écrasé par l’urbanité. Ce n’est évidemment pas le cas à Montpellier. Après on peut discuter du type de métamorphoses que subit la ville, mais j’ai eu beau chercher, je ne savais pas par quel angle appréhender le sujet.
Mes déambulations urbaines me ramenaient souvent vers le Lez, ce petit fleuve d’une trentaine de Km qui traverse l’agglomération. J’ai fini par en faire mon sujet, mon « refuge » et traiter de la mutation du paysage de ses berges de sa source à son embouchure.
Les photos présentées ici sont des tirages pigmentaires sur papier Lokta. C’est un papier fait main avec les fibres d’un arbuste, le Daphne Papyracea, ou Lokta qui pousse sur les hauteurs
du Népal. Son irrégularité et ses aspérités le rendent quasi incompatible avec l’impression. Sa teinte naturelle se situe dans celles des variations saisonnières du végétal et des sols. Elle
évoluera sans doute de manière aléatoire dans le temps permettant à l’image d’incarner les mutations de la nature.
Il y a finalement peu de points communs avec mes sujets précédents, si ce n’est la vision architectonique du paysage que je traite parfois en y incluant des infrastructures ou d’autres architectures.

Lost in the Forest : la genèse et les enjeux du projet

« Lost in the Forest » n’est pas un travail au sens strict. C’est plutôt un recueil de photographies réalisées lors de mes pérégrinations dans des forêts primaires.

Avant de m’intéresser aux villes, j’étais passionné de forêts tropicales. Cette attirance date d’une époque où je n’étais pas photographe. J’ai entre autres fait des études de biologie dans l’idée de travailler sur les écosystèmes de ces forêts. Mais la première fois que j’y ai dormi, à Bornéo, j’ai vite compris que je n’étais pas chez moi.
C’est presque vingt ans plus tard que je suis allé avec un appareil photo dans les forêts de Bébour Bélouve, à la Réunion, ou de Yakushima au Japon, non pas pour travailler mais pour le plaisir. J’ai néanmoins ramené des images. C’est la création de la thématique « Les Végétales » du festival de Vendôme qui m’a permis de rassembler ces images dans une même exposition.
J’ai choisi de tirer ces images dans un format suffisamment grand, sur un papier mat, de les encadrer dans une teinte de bois sombre, et sans vitre pour que le spectateur puisse plonger dans le paysage de la forêt.
C’est le fragile équilibre et la beauté de ces écosystèmes très architecturés que j’ai souhaité montrer. Notre propre organisation urbaine s’inspire largement de ces structures du vivant. Mais dans ces forêts, l’homme doit garder un rôle humble et discret au risque de les voir péricliter.

Quel bilan faîtes-vous de cette période de crise ?

Pour moi, la différence majeure ayant été l’absence de commandes, la possibilité d’avoir eu du temps pour traiter mes travaux personnels a été le point positif essentiel de cette période.
Dans le quotidien habituellement ponctué d’obligations, les travaux non immédiatement rémunérateurs passent trop souvent en second plan. Pour une fois j’ai pu profiter d’un temps long, et d’espace (mes 7 collègues de l’agence étant absents pendant le confinement), pour m’attacher à réfléchir et traiter mes images faites pendant ma résidence montpelliéraine.
Aussi, comme beaucoup, cette période m’a permis de réaliser que les vrais luxes qui me manquent quotidiennement sont le temps et la nature.

Quels autres projets vous animent ?

Cet hiver je suis allé à deux reprises dans le cercle polaire, aux îles Lofoten en Norvège. J’y ai fait un travail à la chambre grand format 4×5’’. Il va maintenant falloir trouver le temps de m’occuper de ce travail pour le restituer.

Je travaille également sur la ville de Paris, travail difficile car il s’agit d’arriver à s’extirper de mon quotidien pour prendre le recul nécessaire pour arpenter et regarder ma ville. Ce sujet habite mes pensées depuis longtemps et j’ai essayé de le traiter de différentes manières à travers plusieurs tests jusqu’à l’année dernière où je suis arrivé à préciser mes objectifs : établir un corpus exhaustif avec dans chaque une image à la fois le paysage urbain : bâtiments, façades.. et aussi le niveau de la rue : les gens, types vestimentaires, moyens de locomotion.. pour tenter de montrer Paris sous tous ses aspects. Je précise que quand je parle de quartiers il ne s’agit pas que d’un arrondissement mais plusieurs. Au départ j’ai fait un appel sur les réseaux sociaux pour trouver des personnes prêtes à m’accueillir une nuit pour pouvoir me réveiller dans un autre quartier que le sien avec un regard forcément neuf. L’exil ou la déambulation hors de son quotidien permettent ce regard inédit. J’ai établis une carte de 40 lieux et finalement comme cela s’est avéré techniquement compliqué j’ai loué l’année dernière un appartement dans le centre de Paris sur la place des Innocents aux Halles quasiment au croisement entre le Cardo et Documanus de la ville et de là j’ai commencé à vadrouiller faisant des photos toute la journée pendant un mois dans le centre et la périphérie. C’est un travail personnel assez fastidieux et de longue durée que j’ai mis en pause et dois reprendre. J’ai travaillé à la fois à la chambre et au numérique avec des optiques à décentrement et je pense plutôt à un rendu classique, documentaire. Je vais également entamer des travaux sur le Grand Paris.

Bien d’autres projets m’animent, mais j’ai déjà pas mal à faire avec ces deux là en plus du travail habituel de commandes.

INFORMATIONS PRATIQUES

sam04jul(jul 4)10 h 00 mindim20sep(sep 20)19 h 00 min16ème édition des Promenades PhotographiquesEloge de la Lenteur OrganisateurAssociation Promenades photographiques

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Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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