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Pour leur deuxième carte blanche, nos invités de la semaine, les membres de Savage Collective, nous présente le photographe et galeriste John Craven. Son œuvre devait être présentée au public à la galerie Berthet-Aittouarès dans le cadre de la manifestation Photo Saint Germain. Cette exposition curatée par Savage Collective est qui espérons le, ouvrira au moment de la levée du confinement…

La galerie Berthet-Aittouarès* invite Savage Collective à s’emparer de l’œuvre de John Craven à l’occasion d’une exposition Beauté terrible, dans le cadre de Photo Saint-Germain. L’exercice consiste à apporter un prisme de lecture original sur l’histoire du personnage, ses fulgurances artistiques et prémonitoires, ses vastes observations photographiques sur le monde.
On pourrait invoquer Johannes Kepler pour arriver jusqu’à John Craven : calculer la distance qui nous sépare de lui pour comprendre ce qu’il fut. Et pour y arriver mieux vaut y pointer plusieurs observateurs. Voici donc Savage Collective sur le sujet.

Une espèce d’enquête

John Craven est une énigme dont il nous faut recomposer un récit à partir d’empreintes. Contraints d’abandonner un temps les archives directes, nous avons accompagné le presque-rien qui entoure John Craven par une contre-enquête composée d’assemblages et d’enchâssements qui n’échappent pas à l’esprit d’escalier. Nos explorations tombent parfois sur des élucidations. Cinq axes principaux animent les prémices de cette exploration avec de nouvelles correspondances autant informatives, poétiques, critiques que politiques. Ce que vous trouverez ici est une invitation à voyager à travers les vies de John Craven. Une invitation qui, au fur et à mesure et à terme de nos recherches, prendra la forme conceptuelle d’une bible – une récurrence dans notre pratique curatoriale.

Qui est John Craven ?

Il y a peu de chevauchements chez John Craven, plutôt des ruptures radicales. S’il est autant photographe reporter, auteur, éditeur, galeriste, commissaire d’exposition, c’est surtout par une approche minimale de son œuvre qu’il est connu. Celui de photographe industriel dont deux grandes expositions organisées dans sa propre galerie, fondée en 1950 rue des Beaux-Arts à Paris, rendront compte. La première Beauté Terrible est préfacée ainsi par André Pieyre de Mandiargues : « En John Craven, je me plais à saluer un futuriste de la photographie. Je lui rends grâce d’avoir si bien vu et de si bien faire voir la beauté terrible d’un univers machiné par des hommes qui sont entrés dans l’avenir. » . Suivra en 1956, Le fantastique monde du pétrole, accompagnée avec force par les textes de Jean Giono, à ce titre exemplaire de la pratique artistique et esthétique de Craven. le photographe y privilégie la précision du cadre et des contrastes, celles des lignes parfaites au beau milieu du sujet explosif des complexes pétroliers. Ces  « cathédrales » ainsi qu’il les nomme, avertissent de « cette guetteuse patiente, derrière tout paysage qui a pris l’aspect futuriste et laqué de notre vie elle-même et des ambitions planétaires » ainsi que le commente François Nourissier. Son goût pour des compositions architecturées le rapproche d’un Lucien Hervé. Il se trouve qu’ils travailleront tout deux à formaliser l’architecture moderne de Fernand Pouillon, répondant à ses commandes comme à celles des Frères Peret.

John Craven, rolleiflex en bandoulière, consacre ses matinées aux commandes d’entreprises, entre parfumeries et raffineries. Lors d’un entretien, il confiera : « quand je fais des photos, je pense : ça c’est un Hartung, un Poliakoff, un Viera da Silva… ». Ce sont les artistes dont il visite les ateliers et dont il fait le portrait auxquels on peut ajouter Fautrier, Dubuffet, Duffy, Nicolas de Staël, Gaïtis, Riopelle, Avril, Wols…. c’est que, l’après-midi, il les expose dans sa galerie où se côtoient les avant-gardes et autres collectionneurs américains. Il promeut avec passion « cet art d’aujourd’hui qui sera celui de l’an 2000 », tel qu’il l’énonçait en 1969, lors de l’inédite est folle aventure au Palais des Papes à l’invitation de Jean Vilar pour le festival d’Avignon : L’œil écoute. Il n’oublie pas la photographie, parallèlement à L’œil écoute, il organise « Elles » une projection audio-visuelle sur les murs du Palais de 500 photographies de Boubat, Jean-Philippe Charbonnier, Robert Doisneau, Jean Dieuzaide, Jacques Henri Lartigue, Sabrina & Roland Michaud, Jean-Louis Michel, Marc Riboud, Jean-Loup Sieff.

Ses diverses collaborations l’amènent entre autres de Jacques Kerchache, qui ouvre sa première adresse non loin de la sienne. Leur association donne lieu à deux catalogues depuis lors devenus des incunables : Art primitif, Amérique du Nord en 1965, puis Le M’boueti Des Mahongoue – Gabon en 1967; Claude Roy en signe les textes, John Craven la maquette et les photographies. Son approche des œuvres n’est pas sans rappeler celle de  Walker Evans, lorsque le MOMA lui commanda en 1935 un portfolio à l’occasion de la première exposition d’art africain qui se tint dans un musée.

Mais il est un ouvrage qui scellera son renom de grand reporter et de directeur artistique: 200 millions d’Américains, publié en 1967 chez Hachette. Il recevra pour ce livre, le prix Nadar ainsi que la médaille Lénine puis le lion d’or du reportage à Venise. Il en a assuré l’entièreté des photographie, des textes, de la conception jusqu’à la stratégie publicitaire. Ce livre est la somme d’un périple de treize mois et de 80 000 kms entamés en 1963 à travers les USA. Il en résulte 12 000 négatifs, parfois tirés au long cours dans le fond de baignoires au gré des Motels de 50 états, quatre années pour en préparer l’édition. Salué unanimement par la critique, ce livre est « le meilleur reportage photographique qu’on ait publié sur les ETAS-Unis » selon le Nouvel Observateur, d’une Amérique « dans un zone fascinante entre ce qu’elle est et ce qu’elle voudrait être » selon Le Monde. Pour Nourissier « cet album, contient discrètement l’équivalent d’un essai sur les Etas-Unis… Ce tournis, cet éblouissement soudain de nos sensibilités usées et grises d’Européens, de la couleur, du gigantisme, de la foule, du fracas, de la nonchalante vitesse, de la sereine brutalité, de la redoutable innocence… (Craven) n’aura fermé les yeux sur aucun ridicule, sur aucune ignominie de la société américaine (…) ». Ses prises de vues on la vivacité d’un Garry Winogrand et l’humour Elliott Erwitt. Il connait bien le continent américain. C’est en 1930 qu’il débarque à New York, rejoignant son frère, il exerce en tant que photographe et réalisateur des actualités cinématographiques. Il y reviendra régulièrement pour des commandes et autres reportages life style and People entre les années 50’ et 60’, notamment pour photographier Françoise Sagan ou pour saisir les urbanités nouvelles.

Lorsque John Craven quitte Digne-les-Bains pour New York, il s’appelait alors Louis Conte. Il avait 19 ans. A la déclaration de la guerre, il rejoint les forces spéciales britanniques et participe à l’opération Dynamo : il dira plus tard qu’il y aura manquait sa meilleure photo, son appareil ayant été pulvérisé lors d’une attaque. Colonel dans les services secrets : il devient alors John Craven.

– Savage Collective

* John Craven (1912-1981) dirigera trois galeries. La première ouverte en 1950 au 5 rue des Beaux-Arts, rachetée par Claude Bernard lorsque Craven part aux USA en 1963. En 1971, Arts/Contacts créée à l’initiative d’Information et Publicité, régie de RTL France, située au 31 rue du Colisée, fait appel à lui pour mener une expérience d’un lieu inédit. Le propos est de rendre plus familier l’art contemporain au grand public et à la jeunesse. En 1973, il ouvre rue de Messine, à proximité des anciennes adresses de la galerie Louis Carré, galerie Ariel et Raymond Creuze, un nouveau lieu où il monte autant d’expositions contre-point de l’art contemporain.

* Galerie Berthet-Aittouarès
Etablissement actuellement fermée suite au confinement
John Craven
Beauté terrible, une entrée dans l’enquête John Craven
14 Rue de Seine
75006 Paris

https://www.galerie-ba.com/
http://www.photosaintgermain.com/editions/2020/parcours/galerie-berthet-aittouares
https://savagecollective.one

INFORMATIONS PRATIQUES

jeu07jan(jan 7)10 h 00 minsam23(jan 23)19 h 00 minPhotoSaintGermain 2020 OrganisateurPhotoSaintGermain

jeu07jan11 h 00 mindim07fev19 h 00 minLa Beauté TerribleJohn CravenGalerie Berthet-Aittouarès, 29 rue de Seine 75006 Paris OrganisateurPhotoSaintGermain

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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