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Carte blanche à Charlotte Boudon : Entretien avec l’artiste Paulien Oltheten

Temps de lecture estimé : 8mins

Pour sa deuxième carte blanche, la co-directrice de la galerie Les Filles du Calvaire, Charlotte Boudon, met à l’honneur l’artiste néerlandaise Paulien Oltheten (née en 1982). Si son exposition à la galerie ne peut être visitée avant le déconfinement, voici un entretien entre l’artiste, saluée par le Jury du Prix Découverte en 2018, et notre invitée, pour en connaître d’avantage sur son travail et sur ses projets en cours…

Paulien Oltheten – Série Série NON- 2017-2018 – Courtesy Galerie les filles du calvaire

Paulien Oltheten – Série Série NON- 2017-2018 – Courtesy Galerie les filles du calvaire

Quelle est la journée type de Paulien Oltheten ? Quelles sont tes routines ?

J’aime surtout mes habitudes matinales. L’été, la première chose que je fais, c’est d’aller nager dans le canal ou dans une piscine extérieure. L’hiver, je lis un livre pour commencer la journée. Les jours où je vais au studio, j’aime la route en vélo pour y aller. Il m’arrive de faire un détour par le parc où le même homme fait son Tai Chi tous les jours. Ça me réconforte : il est là, donc tout va bien se passer. Puis je traverse deux ponts qui vous font complètement sortir de la ville avec une vue sur un grand lac et l’horizon dégagé. Ou bien je prends le ferry sur lequel tout le monde se tient debout durant 8 minutes et alors j’écoute des bribes de conversations, j’observe mes compagnons de route ou je ferme simplement mes yeux et je me plonge dans mes rêveries.

Quand je travaille, j’aime me réveiller tôt, aller dehors avec ma caméra et observer les routines matinales des autres. Les parcs, quais et espaces verts sont mes terrains favoris parce que les gens y font leurs exercices matinaux. Je pense qu’un jour je me plongerai dans toutes mes archives de personnes en train de faire de la gymnastique dans ce genre d’endroits et je créerai une installation avec.

Paulien Oltheten, Reading the news, c-print. Paris 2016

Qu’est-ce qui t’intéresse dans le rapport qu’ont les gens à leur environnement dans la ville ?

Ah, c’est très simple : les gens font la ville.

Parle-moi de ton intérêt pour les objets tels que les journaux ou les mallettes ? Que disent tes images où les gens en font usage ?

Ces objets sont comme des extensions physiques des personnes qui les tiennent. Donc la manière dont ils les traitent ou les manipulent disent des choses sur eux-mêmes. J’aime la matérialité des objets, leurs plis, leurs rides, leur douceur, leur rigidité. La façon dont les gens les saisissent, les tiennent, les mènent ou les malmènent. Dans cette catégorie, le journal est un objet très particulier car il représente également le monde et ses nouvelles. Et quand une personne porte une mallette, elle porte aussi une autre part de sa vie, une autre histoire possible avec elle.

Paulien Oltheten – Série Notebooks_003 – 2020 – Courtesy Galerie les filles du calvaire

Paulien Oltheten – Série Notebooks_010 – 2020 – Courtesy Galerie les filles du calvaire

La nouvelle série que tu présentes à la galerie, « Notebooks », illustre très bien pour moi ce qui caractérise ton travail et rend compte de la diversité des matériaux qui le nourrissent. Peux-tu la décrire ?

Mes notes et croquis sont très bruts, informels, et sont initialement destinés à n’être vus que par moi-même. En quelques traits, sans trop de détails, ils résument ce que ces scènes représentent pour moi. Ce qu’il s’y est passé, mais aussi ce qui ne s’est pas produit et ce que j’aurais aimé qu’il arrive. En analysant, étudiant et organisant mes archives, je trouve d’autres choses sur le lieu ou la situation concernés.

Lorsque que j’ai préparé mon installation vidéo sur La Défense, j’ai constitué un inventaire de toutes mes petites vidéos en réalisant des croquis pour chacune d’entre elles. Comme ce garçon accroupis fusionnant avec l’ombre monumentale de l’esplanade, la ligne de désir invisible tracée graduellement par les allers-retours de piétons, ou encore la vaine expression de soi des hommes d’affaires dans le métro à l’image de l’uniformité de leurs chaussures. De cette façon, tout en montant mon film je pouvais feuilleter mon carnet plutôt que chercher dans mon ordinateur, pour déterminer quelle scène irait le mieux. Un moyen plus analogique de me connecter avec le matériel à disposition.

La série « Notebooks » exposée à la galerie propose une sélection de ces archives.

 

Paulien Oltheten, Fingertips, c-print, Londres 2007

Paulien Oltheten, listening to music, c-print. Paris 2016

À quoi ressemble l’atelier de Pauline Oltheten ?

Mon studio est organisé en deux parties. Il y a d’abord un espace de stockage où j’ai des tiroirs pour mes tirages et des travaux encadrés. Il y a des étagères remplies avec des objets, des livres, mes outils puis une énorme photocopieuse. J’adore les cartes. Je garde les cartes de toutes les villes et sites que j’ai visités. Je les regroupe et les classe afin de retrouver facilement le nom d’une ville ou d’un endroit particulier.

La deuxième partie de mon atelier est un espace plus ouvert où je travaille sur mes projets en cours et où les choses ne sont pas terminées. Je peux facilement bouger ou désinstaller mes plans de travail, mes étagères, etc, et ainsi dégager l’espace nécessaire pour tester une nouvelle installation. Je peux occulter les fenêtres pour projeter faire une projection. En ce moment, j’ai un mur couvert de photocopies d’images photo et vidéo de mon nouveau travail, réalisé à Lourdes.

Je passe devant ces images quand je vais de mon bureau à la réserve et y jette un coup d’œil. J’aime l’idée d’élaborer des connexions en partie inconscientes, intuitives, avec les images.

Paulien Oltheten, Stay Healthy, 2020, video Still2

Paulien Oltheten, Stay Healthy, 2020, video Still

Dans la série de vidéos « Stay healthy » que tu présentes à la galerie, tu montres la façon dont la crise sanitaire du COVID-19 à modifié les habitudes des habitants de ta ville, Amsterdam. Qu’est-ce qui t’a le plus surprise dans ce que tu as vu ?

Lors du premier confinement j’ai remarqué que les gens ont instantanément improvisé et appréciaient particulièrement de bavarder, ce qui ajoutait un élément intéressant à mon travail. Sur la place du Dam, par exemple, un prosélyte se servait d’une pince télescopique pour distribuer ses tracts religieux en affirmant : « Jésus viendra très près, mais je reste à 1,50 m de distance ». Assis sur le banc de leur café de quartier, des habitués assis à 1,50 m de distance, commentaient la situation d’un : « si c’est la routine, autant s’y habituer ». En improvisant et s’adaptant aux circonstances, les gens essayaient de trouver un moyen de préserver leur routine, de garder des habitudes quotidiennes qui permettent un contrôle, apportent du soutien, donnent du sens à leurs vies.

Sur quoi travailles-tu en ce moment ?

Pendant les vacances d’été je suis allée à Lourdes et j’ai passé plusieurs jours à arpenter les rues avec mon appareil. En l’absence des pèlerins et des gens malades, c’était un lieu étrange. Loin de foule habituelle, j’ai pu observer la structure, le mécanisme et les comportements sociaux de ce fameux endroit de pèlerinage, en toute tranquillité mais avec une certaine distance amusée. Excepté la routine quotidienne, pleines de règles et de rituels tels que la célébration eucharistique (en plusieurs langues) ou la procession de Marie, toutes sortes d’arrangements symboliques s’accommodaient aux croyances des gens et à ce qu’ils trouvaient normal. Par exemple, l’eau de Lourdes restera sacrée, bien qu’on l’utilise à la maison ou qu’on remplisse à nouveau la bouteille avec de l’eau du robinet.

Je suis un peu jalouse lorsque je parle avec des gens de ce que c’est d’être croyant, comme je l’ai fait à Lourdes. Cela doit être génial, à une époque où les gens doutent de la véracité des informations, de la politique, du futur, d’être capable de plaquer sur la réalité un cadre de référence vieux de plus de 2000 ans, d’y rentrer, et de dire « C’est ma vérité. C’est ce que crois. Et cela m’apporte du soutien ». Je m’intéresse aux rapports entre la foi et les doutes, et je souhaite aller plus loin en continuant à travailler sur ce sujet, à Lourdes et ailleurs. Cette toile de fond devrait inévitablement montrer les effets du corona virus sur l’espace public.

Les prémisses de ce nouveau projet seront diffusées pour la première fois en live durant le festival Winternights de Maastricht du 10 au 12 décembre 2020, si le covid-19 le permet. Ce festival est organisé par SoAP.

Documentation of the installation of Paulien Oltheten for the project Inventing everyday life part III / STREET that was part of Manifesta 10 Parallel program in st-Petersburg (RU) in September 2014.
This project is part of Inventing everyday life at The Local Library Window, July – October 2014.

INFORMATIONS PRATIQUES

ven30oct14 h 00 min2021sam30jan19 h 00 minSuitcase routines and scenes of the improbablePaulien OlthetenGalerie Les filles du calvaire, 17 rue des Filles-du-Calvaire 75003 Paris

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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