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Pour leur deuxième carte blanche, nos deux invités de la semaine, les fondateurs du festival ImageSingulières à Sète Valérie Laquittant et Gilles Favier nous dévoilent le travail de la jeune photographe libanaise Myriam Boulos, lauréate du Grand Prix ISEM 2021. Une série réalisée le lendemain des explosions qui ont eu lieu au port de Beyrouth en 2020 faisant plus de 200 morts et 6000 blessés. Cette série sera présentée dans le cadre de l’édition 2022 du festival.

Myriam Boulos, jeune libanaise qui vit et travaille à Beyrouth, vient de recevoir le Grand Prix ISEM 2021, que nous décernons chaque année, avec nos partenaires Mediapart et l’ETPA, à un(e) photographe pour terminer un projet en cours. Sa photographie oscille entre documentaire et recherche personnelle. Sa série sur la crise contemporaine libanaise sera exposée à ImageSingulières en 2022.

Voici mon histoire.

4 août 2020 – Beyrouth, Liban
Quand l’explosion s’est produite, nous nous sommes cachés dans la salle de bain et nous nous sommes serrés dans les bras, en attendant de mourir.
Le lendemain matin, je n’arrivais pas à croire que j’étais encore en vie.
J’ai pris mon appareil photo et je suis allée dans la rue.
D’un côté, je voulais montrer d’un point de vue local ce qui nous arrivait.
D’un autre côté, j’avais le sentiment que nous devions nous écouter et nous entraider, plus que jamais.
Prendre des photos a toujours été pour moi un moyen de me rapprocher de la réalité. J’essayais de réaliser ce qui nous était arrivé. Parce que tout cela était trop, beaucoup trop, toujours trop. C’est bien plus que tout ce que nos petites têtes et nos grands cœurs peuvent encaisser.
« Mais, avec les photos, nous avons la preuve concrète que nous n’étions pas en train d’halluciner. » Max Kozloff

05/08/2020 Ahmad fait une pause pour prier à Mar Mikhael. Il fait partie d’Al Shifa’, une association palestinienne qui vient en aide aux victimes de l’explosion.

05/08/2020
Un cactus repose sur du verre brisé. Les efforts de nettoyage ont été laissés aux volontaires, avec les autorités quasi-absentes.

06/08/2020
Nour Saliba se tient dans son appartement de Mar Mikhael, deux jours après l’explosion meurtrière du port de la ville, vue depuis sa fenêtre soufflée. « Honnêtement, j’ai eu la vie facile. Je n’ai perdu que ma maison. Je fais partie des chanceux qui ont encore leur famille et leurs amis à leurs côtés », déclare cette animatrice de communauté en ligne et mannequin de 27 ans. « Le traumatisme est inscrit partout dans les fumées de cette explosion. Oui, nous sommes tous traumatisés, mais nous sommes aussi épuisés. En octobre dernier, le peuple libanais a dû éteindre des feux qui dévastaient nos forêts parce que notre gouvernement était incapable de faire son travail. En plus de l’incapacité à répondre à nos besoins humains fondamentaux (accès à l’électricité, à l’eau et à la nourriture), le pays a sombré dans une crise économique si grave qu’une grande partie de la population se retrouve dans une situation de pauvreté. La pandémie est arrivée au milieu de nos protestations de rue, réprimées par la violence et l’agression. Mardi, ce qui ne pouvait pas être pire est devenu bien pire que ce que nous aurions pu imaginer. » Saliba ajoute : « C’est un appel à la solidarité, aux dons, au partage d’informations, au soutien et à la pression sur notre gouvernement. Nous méritons mieux. Nous méritons de dire plus que ‘j’ai de la chance d’être en vie' ».

07/08/2020
Kevin Obeid coupe les cheveux de Jad Stephan à Mar Mikhael, trois jours après que l’explosion du port a envoyé une onde de choc mortelle sur la capitale libanaise. Jad a perdu son œil au début de la révolution en octobre dernier. « Cela faisait six ans que nous vivions à côté d’une bombe atomique. Nous nous promenions, nous passions à côté, mais nous n’en savions rien. Comment les responsables peuvent-ils être aussi inconscients ? Espérons que cette catastrophe ne nous détruira pas davantage, mais qu’elle nous donnera la force dont nous avons tant besoin. Car c’est notre dernière chance. Nous devons changer aujourd’hui, ou jamais. » Kevin dit qu’il s’est rendu à Mar Mikhael ce jour-là pour deux raisons : « D’abord, pour aider les personnes qui ont perdu leur maison. Comme ma famille et moi-même n’avons pas été directement touchés par l’explosion, je considère qu’il est naturel d’aider ceux qui ont été affectés. C’est le moins que je puisse faire. Et enfin, je voulais utiliser mes compétences pour aider les gens autour de moi. »

07/08/2020
Riad Hussein Al Hussein et sa femme Fatima Al Abid à Mar Mikhael. Il y achetait des légumes trois jours auparavant lorsqu’il a entendu une petite explosion. Il a demandé au vendeur s’il pensait qu’il s’agissait d’un obus ou d’une bombe, et où elle avait atterri. « Notre discussion a duré environ une minute et a été interrompue par un autre bruit de déflagration, beaucoup plus fort », se souvient-il. « J’ai crié et dit que nous devions nous dépêcher d’entrer dans le magasin, et c’est à ce moment-là que j’ai été frappé par le verre ». Il est ensuite retourné dans le bâtiment où il a été blessé afin d’aider au nettoyage. « Je voulais aider comme on m’avait aidé », a-t-il déclaré. « Je voulais rendre la pareille ».

08/08/2020
« J’ai eu l’impression d’être en enfer pendant sept heures, puis j’en suis sorti », raconte Andrea, performeur drag-queen de Beyrouth qui a été blessé dans l’explosion. « Je ne savais pas quoi penser. Avais-je perdu ma maison ? Avais-je perdu ma vie ? Avais-je perdu ma belle ville ? C’était une zone de guerre ». Le gouvernement libanais « s’est retourné contre nous », poursuit-il. « Ils ne nous aident pas à nettoyer ou à faire face aux conséquences ». Près d’une semaine après l’explosion meurtrière, le cabinet a démissionné. Depuis, Andrea, dont la maison a subi des dommages importants, a été aidé par un fond de secours qui offre un abri, de la nourriture et les premiers soins aux membres de la communauté LGBTQ de la ville qui ont été touchés par la catastrophe.

18/08/2020
La vue depuis une fenêtre de l’hôpital St. George. « Lorsque le choc s’est dissipé dans les jours qui ont suivi l’explosion, raconte Ziad Ghantous, étudiant en médecine à l’hôpital St. George, un hôpital très endommagé de la ville, un équilibre émotionnel s’est installé dans ma routine quotidienne : la tristesse, lorsque j’ai entendu les histoires des morts, des blessés et des personnes déplacées ; la colère, lorsque j’ai réfléchi à la futilité d’exiger la justice dans un pays qui n’y est pas habitué ; et l’espoir, lorsque j’ai vu des milliers de personnes se porter volontaires pour recoller les morceaux de la vie d’étrangers, ce que le gouvernement n’a pas réussi à faire. Au fil des jours, j’ai également commencé à regarder vers l’extérieur, trouvant du réconfort dans les histoires des autres. Et je me suis rendu compte que leurs expériences sont aussi valables que variées, qu’il s’agisse de ceux qui ont transcendé leurs émotions en manifestant ou en faisant du bénévolat, ou de ceux qui ont encore du mal à sortir du lit le matin. Aucun d’entre nous n’était préparé à un événement de cette ampleur cataclysmique. Et si nous avons tous été affectés différemment, nous sommes tous liés par la malfaisance criminelle de ceux qui ont été élus pour nous servir. Alors que nous essayons de reconstruire ce qu’ils ont brisé, la douleur s’estompera, mais pas le souvenir. »

04/09/2020
Soldats devant les décombres, tandis que les équipes libanaises et chiliennes cherchent un signe de vie sous les décombres.

Asma’ Al Mohammad en quarantaine depuis sa chambre :
« Au moment de l’explosion, mon mari travaillait dans un garage au port. Il a survécu en se cachant dans le sol, dans le trou d’où il répare habituellement les voitures. »

07/09/2020
Chaque jour depuis l’explosion, les gens prennent des selfies devant le port à 18 heures.

INFORMATIONS PRATIQUES

jeu01jul10 h 00 min2022sam30avr(avr 30)19 h 00 minimageSingulières : 13ème rendez-vous de la photographie documentaireCentre photographique documentaire - ImageSingulières, 17 rue Lacan 34200 Sète

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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