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Hélène Guenin nous avait accordé un interview il y a tout juste un an pendant la période du premier confinement. Nous la retrouvons autour des « Amazones du Pop », une exposition exceptionnelle de par ses enjeux et qu’elle a réussi à prolonger tout l’été. A l’occasion des 30 ans du MAMAC et d’une relecture de ses collections, l’invisibilité des femmes dans l’histoire du POP est interrogée alors que leur contribution à ce mouvement est réelle. Un phénomène dont elle évoque quelques mécanismes en hors champ de la visite. Cette exposition s’inscrit dans un contexte plus large de réhabilitation des femmes artistes, qui passe notamment par la mise en valeur de leurs parcours et des archives autour de leur travail, comme le met en place AWARE, partenaire de l’exposition.

Sans tomber dans le piège de l’essentialisation, ce récit d’une émancipation en marche qui passe par l’affirmation d’un désir, en butte aux manipulations du marché et contradictions de l’époque, trouve un écho singulier à l’heure du mouvement #MeToo et des revendications des jeunes générations féministes.

Dans un parcours très immersif, conçu avec Géraldine Gourbe, l’autre commissaire de cet ambitieux projet, nous découvrons d’abord des héroïnes puissantes et flamboyantes dont le sex-appeal envahit les bandes dessinées, les chansons, les films…, nous basculons peu à peu, au-delà du miroir, dans d’autres registres plus graves sur fond de décolonisation, de conquête de l’espace, de questionnements de genre et de classe. Au-delà de Niki de Saint Phalle, Sturtevant Martha Rosler ou Yoko Ono, ces amazones redécouvertes viennent de l’Europe entière avec une place importante des françaises et des italiennes.

Evelyne Axell, Ice cream 1, huile sur toile, collection privée Adagp Parisc

Genèse et enjeux de l’exposition

Pour les 30 ans du MAMAC nous avons souhaité mettre en valeur une dominante de notre collection : le face à face entre un Pop américain et un nouveau réalisme européen à travers la figure emblématique de Niki de Saint Phalle. Nous souhaitions élargir cette relecture et nous interroger sur la présence dans son sillage, d’artistes femmes dans le mouvement Pop à cette période dit des « trente glorieuses » qui correspond à un entre deux vagues du féminisme, avec d’une part, l’essoufflement du féminisme de l’après-guerre rattrapé par les politiques de natalité et la vague suivante qui émerge à la fin des années 1960, début des années 70 dans le contexte de la révolution sexuelle. Dans cette sorte de bulle temporelle entre 1961 et 1973, il était intéressant d’interroger comment ces artistes ont pu s’emparer de cette esthétique dominante qu’est le pop art, profondément liée aux signes et symboles de la société de consommation ; comment elles ont contribué à ces changements en cours dans la société et vérifier notre interrogation de départ. Lors de nos recherches avec Géraldine Gourbe, nous sommes rapidement parvenues à une centaine d’artistes potentielles au niveau international. Nous avons décidé alors de nous concentrer sur une géographie d’Europe de l’ouest et des regards nord-américains – notamment New York, rejoignant ainsi la géographie de la collection – pour resserrer notre approche à une quarantaine d’artistes.

Pourquoi une telle invibilisation de ces artistes ?

C’est lié à une conjonction de phénomènes. D’une part l’époque n’était pas prête. Nous sommes au lendemain de la guerre dans une société encore très conservatrice avec une limitation très forte des droits des femmes et de leur autonomie. La situation des femmes et des femmes artistes entre l’aube et la fin des années 1960 va progressivement évoluer. Il faut se remémorer qu’en France il faut attendre 1965 pour qu’une femme puisse ouvrir un compte en banque ou exercer un métier sans l’autorisation de son père ou mari. C’est dans ce contexte encore très conservateur que nos « Amazones » œuvrent. Le point de bascule se fera à la fin de la décennie avec la révolution sexuelle, l’évolution des droits et des décolonisations en marche. Elles s’inscrivent tant bien que mal dans des écoles d’art, subissant un premier plafond de verre avec les pratiques « autorisées » ou non – beaucoup se voient découragées de suivre les cours de peinture -, et à la sortie des écoles d’art des opportunités très faibles d’exposition. La plupart des femmes artistes de l’exposition ont été montrées en même temps que leurs homologues masculins dans des expositions dédiées au pop art mais de manière parfois plus marginale.

De plus la loi du marché a encouragé à se concentrer sur un certain nombre d’artistes prometteurs et si certaines ont pu ébrécher le plafond de verre comme Niki de Saint Phalle à partir d’un geste très iconoclaste qui est celui des « peintures – tirs », les grandes expositions pop qui vont se tourner vers l’international vont vite refermer leur liste aux artistes prescrits par les galeries, les collectionneurs et la critique. Et les femmes, de fait, se retrouvent à la marge d’une histoire du Pop écrite au masculin, à l’exception de Marjorie Strider, Marisol et Niki de Saint Phalle qui parviendront un peu mieux à tirer leur épingle du jeu.

Dans la période suivante avec l’art minimal, de la performance, de la photographie conceptuelle et des formes plus radicales plus affirmées ou plus auto centrées sur l’art, la vague pop va s’essouffler et l’on oublie peu à peu ces artistes dont la charge critique de l’œuvre n’est pas ou insuffisamment perçue. Leur pratique, encore une fois, offre une forme de contre-discours ou de subversion au cœur même d’une esthétique dominante et en ayant recours à ses propres codes – mais pas une remise en cause profonde et frontale, à l’exception notoire de Niki de Saint Phalle et Martha Rosler notamment. Cela sera aussi reproché à certaines d’entre elles.

Vue de l’exposition She-Bam Pow Pop Wizz ! Les Amazones du Pop, Musée d’art moderne et contemporain, MAMAC Nice photographie Cécilia Conan

En quoi cette exposition résonne- t-elle pour les nouvelles générations ?

Cela rejoint le pari fait avec la co-commissaire Géraldine Gourbe de proposer une exposition historique, une ouverture des canons du pop, tout en faisant ressortir des enjeux qui peuvent résonner aujourd’hui, comment le parcours de ces artistes qui ont été des véritables pionnières et se sont fait leur place, peut parler aux générations actuelles même si le contexte a profondément évolué. Elles ont eu une approche des enjeux sociétaux de leur époque : elles anticipent la question du « male gaze », prennent position sur les guerres de décolonisation, les fantasmes technologiques ou de conquête d’autres planètes et la production de masse, dans une sorte de flamboyance et vision très constructive et positive qui est tout sauf naïve. Elles ont essayé de trouver de l’espace et des moyens d’expression qui ont été incompris ou jugés parfois comme manquants de radicalité alors que leur tentative de faire bouger les lignes n’a pas été vaine au final.

Alors que de nouvelles formes de féminisme apparaissent, certaines connexions se font autour d’enjeux que ces artistes ont défendu à leur manière et dans ce contexte d’une société en profonde transformation.

Nous avions aussi le sentiment qu’il pouvait y avoir des résurgences auprès d’une jeune génération d’artistes autour de recherches formelles, d’explorations de matières, d’un rapport au langage et à des formes d’écriture militantes.

Vue de l’exposition She-Bam Pow Pop Wizz ! Les Amazones du Pop, Musée d’art moderne et contemporain, MAMAC Nice photographie Cécilia Conan

Comment avez-vous relevé les défis lancés par cette crise en termes d’organisation et de programmation ?

Cette année a été comme une sorte de jeu de Tétris pour tout le monde où l’on a à la fois avancé en aveugle tout en essayant de garder un maximum de souplesse pour pouvoir maintenir ou reporter les projets. Nous avons à la fois dû mener un travail sur le long terme pour tenter d’assurer l’avenir et faire face à un refaçonnage permanent du présent. S’il y a bien une chose que l’on a apprise cette année, c’est l’impermanence et le défi a été de se donner les moyens de cette impermanence dans une sorte de grand vaisseau qu’est le MAMAC avec des contraintes administratives assez fortes mais avec l’envie de maintenir les engagements pris avec les artistes.

Vue de l’exposition She-Bam Pow Pop Wizz ! Les Amazones du Pop, Musée d’art moderne et contemporain, MAMAC Nice photographie Cécilia Conan

Les Amazones du Pop représentent 3 ans de travail et de recherche pour une exposition qui n’a pas d’équivalent, c’est pourquoi je me suis battue avec les équipes pour que l’on puisse la garder. Elle a été déplacée une première fois, de l’été 2020 à l’automne, avec 10 jours seulement de visibilité pour le public. Nous avons passé deux mois de négociation avec tous les prêteurs pour la reporter une 3ème fois de sorte qu’elle devienne l’exposition de cet été. Nous avons de ce fait dû négocier également les prêts de toutes les expositions qui suivent. C’est un vrai choix que nous avons pu nous permettre grâce à l’engagement de l’équipe, des artistes et à la solidarité de tous les prêteurs qui ont massivement répondu présents. Ce choix s’expliquait d’autant plus face à une génération d’artistes déjà invisibilisée, ce qui engageait toute notre volonté quelles qu’en soient les conséquences pour se donner les moyens d’y arriver.

Vue de l’exposition She-Bam Pow Pop Wizz ! Les Amazones du Pop, Musée d’art moderne et contemporain, MAMAC Nice photographie Cécilia Conan

Vue de l’exposition She-Bam Pow Pop Wizz ! Les Amazones du Pop, Musée d’art moderne et contemporain, MAMAC Nice photographie Cécilia Conan

Expositions et programmation à venir

Dans le cadre des 30 ans du MAMAC et comme pour les amazones du Pop dans cette idée de revenir aux fondamentaux de l’histoire du musée, nous allons proposer une exposition sur Daniel Spoerri sous la forme d’une grande rétrospective autour de ses protocoles, ses travaux collaboratifs, tableaux pièges, festins- performances. Ce sera une première à l’échelle du MAMAC.

Puis l’été 2022 nous proposerons un grand panorama sur la scène italienne des années 1960-1970 pour tenter de relire et réviser aussi les canons de cette histoire et ne pas la circonscrire à l’arte povera mais au contraire, montrer la richesse et la dimension politique très forte de la scène italienne de cette époque. C’est Valérie da Costa qui en sera la commissaire.

Nous présenterons aussi en galerie contemporaine cet automne, l’artiste allemande Isa Melsheimer, avec qui nous menons un projet en résonance avec le territoire et une autre histoire de la modernité sur la Côte d’Azur. Certains autres de nos projets ont dû malheureusement être reportés à 2023.

Comment mesurez-vous la période en ce qui concerne le soutien aux artistes ?

C’est une situation compliquée à laquelle on ne peut être insensible et que l’on vit à plusieurs niveaux. Depuis le mois de mars 2020 et le début de la crise sanitaire, la Ville de Nice a mis en place de nombreuses mesures, économiques et de soutien à la création, pour accompagner le secteur culturel. En ce qui concerne le MAMAC, nous avons essayé de trouver de nouvelles modalités de collaboration sur différents volets autour de programmes de performances, de projets de médiation à partir des pratiques des artistes, d’initier des séries de podcasts, faire des captations filmées avec des comédien.nes et chorégraphes que l’on partage avec notre public, autour de la collection ou des créations sonores. Nous travaillons également actuellement à un nouvel accrochage des collections dans l’une des salles du MAMAC, dans lequel deux artistes liées à ce territoire Sud, Katrin Ströbel et Aicha Hamu ont été invitées à entrer en dialogue. Cet accrochage sera visible dès réouverture du musée et l’envie en est née pendant ce nouveau confinement : poursuivre des dialogues avec des artistes ; faire du musée un terrain de jeux pour elles et pour l’équipe ; faire maintenant mais pour un temps long qui échappe à la pression des dates de réouverture ; partager enfin et dès que possible le plaisir et la stimulation de ce dialogue avec les publics.

Je me suis aussi impliquée dans plusieurs commissions d’aide à la création et d’achat exceptionnels que ce soit à un niveau national et local pour être présente dans ces dispositifs de soutien. En France, beaucoup a été fait au niveau des collectivités et de l’Etat, via des commissions d’achat notamment mais ce n’est pas la seule réponse et la période a rendue plus criante que jamais la précarité des artistes, l’absence de statut équivalent à ce qui existe dans le spectacle vivant, et la fragilité de certaines galeries qui sont des acteurs clé dans l’écosystème artistique. Par ailleurs, l’annulation ou report de nombreux montages d’expositions ont privé les artistes de sources de revenus qui sont souvent une solution pour maintenir la pratique.

Catalogue aux couleurs Pop, aux éditions Flammarion, 160 pages, 35 € avec les contributions de : Helène Guenin et Géraldine Gourbe, Didier Semin et Sid Sachs. » Notices biographiques par AWARE.

Egalement lors de votre future visite, ne pas manquer en galerie contemporaine, l’exposition « Savoirs indigènes-fictions cosmologiques » de l’artiste suisse Ursula Biemann dans le cadre de Manifesta 13.

INFOS PRATIQUES :
She-Bam Pow Pop Wizz !
Les Amazones du Pop
Visionner la chaîne Youtube du MAMAC
Jusqu’au 29 août 2021
MAMAC de Nice
Place Yves Klein
06000 Nice
mamac-nice.org

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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