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Pour sa deuxième carte blanche, notre invitée de la semaine, la journaliste Frédérique Chapuis, a souhaité s’arrêter sur l’exposition « Borders » de Jean-Michel André, organisée par le Méjan et présentée à la Croisière dans le cadre de la 51ème édition des Rencontres d’Arles. Dans ce travail débuté en 2016, le photographe explore les notions de frontières, avec le démantèlement de la “jungle” de Calais…

La bâtisse de pierres blanches paraît solide, pourtant elle a perdu son toit et ses couleurs et sous l’effet de la lumière la roche et l’océan à l’entour ont cramé. Cette photographie, extraite de la série « Borders » de Jean-Michel André, accueille le visiteur dans l’intimité d’une maison, à Arles, où dans chacune des pièces, le photographe distribue une ambiance photographique qui passe de la nuit noire au blanc surexposé de la chaleur écrasante du jour.

Borders © Jean-Michel André

Cette série débute en 2016 à Calais, au moment du démantèlement de la jungle, et se développe sur plusieurs années. Depuis le nord de la France où il vit, le photographe a fait le trajet à rebours, en Italie, en Espagne et en Tunisie pour suivre les chemins empruntés par les exilés. Il s’est à son tour « réfugié » au fil des saisons dans les montagnes italiennes, il a observé l’océan qui claque sur les plages de Lampedusa, traversé le désert tunisien. Non pour faire en faire une histoire, dit-il, mais un recueil. « Après avoir entendu les témoignages d’hommes et de femmes partis dans l’espoir d’une vie meilleure, et passé le temps des larmes, je me suis demandé pourquoi photographier ces gens ? Car braquer mon objectif sur le malheur des exilés de Calais, sur les plages italiennes ou dans le sud tunisien, même avec sincérité, cela ne suffit pas ! »

Sans doute Jean-Michel André sait-il combien la photographie joue des tours. Il y a dans chaque prise de vue au préalable le réel. Puis une image qui se retrouve finalement enfermée dans la boîte. Et enfin ce qu’elle va montrer après le tirage, après son agrandissement ou son passage par des filtres divers et variés ; en un mot il y a l’étape que l’on appelle le style.

Borders © Jean-Michel André

Celui de « Borders » n’est pas du photojournalisme ; aucune image de corps flottant à la surface de l’eau bleue, ni cadavre de bébé syrien sur le sable que la planète découvre un matin et sert de catalyseur à la critique de la société.

Borders © Jean-Michel André

Être spectateur des désastres qui se déroulent ailleurs est la grande expérience moderne. Alors quoi opposer au flot constant des médias ? Toujours est-il que les photographies de « Borders » s’avèrent, pour un observateur en quête d’informations, illisibles. Car Jean-Michel André opte plutôt pour un vocabulaire suggestif traduisant l’espace flou de la frontière, la peur d’être découvert ou la marche forcée sur des territoires hostiles. A la manière d’un puzzle qui se démembre l’impression persistante de l’ensemble se situe aux limites du réel et de l’imaginaire. À quoi cela tient-il? À ne rien montrer ou presque, surtout pas la Jungle – terme qui suppose qu’il y aurait là-bas des « sauvages »-, ni la mort. Car c’est bien l’espoir de la liberté que le photographe, de son point de vue, tente de traduire.

Vue de l’exposition © Jean-Michel André

Il montre la montagne abrupte et caillouteuse, brûlante en été et glaciale l’hiver. Alors qu’au loin, sur le bord d’un chemin sinueux, se cache une minuscule maison blanche. Sur d’autres clichés, gros plan sur de hautes herbes sèches qui s’agitent, ailleurs une route inachevée stoppée au milieu d’une étendue de terre rouge et stérile. Et puis il y a les animaux qu’il croise, un chien assoiffé, un oiseau dans le ciel… Autant de paysages âpres traversés la journée et à toutes les saisons qui précèdent celles de la nuit, où s’esquisse une forêt, le clapot éclairé par la lune, un cheval solitaire et quelques portraits volontairement pris dans l’obscurité. À tout cela s’ajoute un très beau texte de l’écrivain Wilfried N’Sondé. Poétique et rageur, il dit le rêve que l’espoir fait tenir au delà des souffrances du corps et de la peur qui tenaille le ventre : « S’en aller, un déchirement, pour respirer, vivre, plus tard là-bas, au-delà des frontières. Et un jour enfin, le voyage à l’aube, comme une nouvelle naissance, avec le cerveau qui bourdonne. La poitrine bat la chamade, les genoux tremblent – beaucoup de courage et encore plus d’appréhensions ? Quand l’heure du départ sonne, en vérité c’est le glas qu’ils n’entendent pas »

Borders © Jean-Michel André

Dans l’exposition comme dans le livre, ce récit inachevé, modestement dialectique par un assemblage d’images et de textes, donne libre cours à une lecture transversale, sans début ni fin. Où les images dispersées comme autant de petites lumières sont là pour résister à la nuit.

À la question : Qu’évoque pour vous Le titre de cette édition, “Arles 2021, un été des Lucioles”, Jean-Michel Pierre répond : « Il m’évoque le livre de Denis Roche La disparition des Lucioles (réflexion sur l’acte photographique). J’adore ce passage : “Les lucioles disparaissent peu à peu, cantonnées dans quelques réduits occasionnels de la nature. Mais tandis que ces charmants animaux à la lumière se font rares, nous autres photophores prenons le relais. La fabrication des photos ne laisse rien dans l’ombre, et surtout pas l’instant de folie pure qu’abrite le déclenchement de la photo.” Les Rencontres d’Arles seront l’un des grands événements culturels et festifs de cet été, un espace de rencontre, de réflexion, et de liberté retrouvée : oui les photographies seront nos lucioles ! » »

INFORMATIONS PRATIQUES

dim04jul(jul 4)0 h 00 mindim26sep(sep 26)0 h 00 minLes Rencontres d'Arles 2021Les Rencontres d'Arles, 32, rue du Docteur Fanton 13200 Arles

A LIRE :
Carte blanche à Géraldine Lay : Borders, l’ouvrage de Jean-Michel André
Focus Bourse du Talent : Jean-Michel André, Borders

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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