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Pour sa troisième carte blanche, notre invitée de la semaine, la directrice de la Galerie Dix9, Hélène Lacharmoise, continue son escapade à Marseille. Après l’exposition de Camille Fallet au Centre Photographique Marseille, elle nous fait visiter l’exposition de l’artiste et réalisatrice franco-algérienne Katia Kameli au FRAC PACA. Intitulée « Elle a allumé le vif du passé », cette monographie est organisée dans le cadre de la Saison Africa 2020 et en partenariat avec Les Rencontres d’Arles.

Entrée de l’exposition- plateau 1

Le Frac est ouvert le dimanche, ce qui m’a permis de voir l’exposition personnelle de Katia Kameli, artiste et réalisatrice franco-algérienne que j’admire et dont j’ai présenté quelques œuvres dans La Fabrique du temps, acte 1 et 2. Sa pratique repose sur un minutieux travail de recherche, notamment iconographique, qui me fait penser à l’Atlas mnémosyne d’Aby Warburg (dont j’ai eu le bonheur de voir l’intégralité exposée à Berlin en 2020). A travers l’image, l’artiste cherche la manière dont on regarde l’histoire. Dans ce travail de traductrice où sont mises en question les notions d’original et de copie, Katia Kameli réécrit des récits et ouvre une voie réflexive et génératrice d’un regard critique sur le monde.

Au Frac, l’accueil est chaleureux, la scénographie épurée laisse toute leur place aux œuvres face au regard du spectateur. Peut-être un peu froid ? L’exposition se déploie sur deux plateaux, chacun consacré à un projet spécifique. Le plateau 1 présente Le Roman algérien, sous forme d’une installation de trois films, sobre, sans trop d’explications, où le visiteur bien assis face à l’écran, a tout loisir de comprendre le propos. Trois films comme autant de chapîtres d’un projet qui ne cesse de s’enrichir. Et qui soulignent la nécessité d’une relecture constante des archives comme moyen de réactiver le sens de l’Histoire.

Plateau 1 – Le roman algérien

Le chapitre 1 s’annonce comme la source de ces images sur l’Algérie qui, telles des archives, alimentent le sujet des chapitres suivants. Il se déroule à Alger où l’artiste a depuis longtemps repéré un kiosque nomade rue Larbi Ben M’Hidi, toujours trés fréquenté par un public local des plus variés. Ce kiosque est tenu par Farouk Azzoug et son fils qui inlassablement, chaque jour, installent et affichent de façon aléatoire des cartes postales pas chères, où les gens peuvent rester une seconde ou des heures à regarder une image.Découverte? Souvenir ? Nostalgie ? Le travail de mémoire sur l’histoire de l’Algérie commence ici. Cette prolifération éclectique d’images illustre des aspects de l’histoire pré-coloniale, coloniale et post-coloniale et autorise beaucoup d’associations. Katia Kaméli a elle-même composé une série photographique (non montrée ici) à partir de ces cartes postales : à travers un tissage complexe de clichés qui petit à petit recouvrent des manuels scolaires algériens, Soyez les bienvenus* offre une lecture dynamique faisant circuler le regard sur l’écriture de l’Histoire et le rôle des images dans la fabrication d’un récit national.
*Soyez les bienvenus est une formule de politesse bien connue des Algériens qui rappelle ironiquement la violente colonisation française lors du débarquement en 1830.

Le kiosque – extrait du Roman algérien, chapitre 1

Car ces cartes postales sont bien des images en attente de sens dans la constitution d’un récit. Le deuxième chapitre est ainsi construit comme une mise en abîme. Katia Kameli filme Marie-José Mondzain, philosophe des images elle-même née en Algérie, qui observe et commente les images du kiosque en tant que matière visuelle. Dans un second temps on la voit assise à son bureau face à une tablette, où elle analyse « l’invu » que sont les rushes collectés au cours du premier chapitre. Dans son livre L’image peut-elle tuer, la philosophe définit l‘invu comme « ce qui est en attente de sens dans le débat d’une communauté », une sorte d’archive non exploitée qui attend le regard pour se déployer.

Le Roman algérien, chapitre 2
image extraite de Le Roman Algérien – Chapitre 2, 2019, Vidéo HD
© Katia Kameli, ADAGP, Paris, 2020.

Dans le chapitre 3, la trame narrative devient plus complexe. S’y croisent acteurs du passé, du présent et de l’avenir. Des images d’archives s‘entremêlent à des relectures contemporaines et des présences manifestes de l’actualité. Marie José Mondzain pénètre l’image pour en déceler le signifiant dans la constitution d’un roman national et familial. Apparaissent des mémoires occultées, telles les images des manifestations politiques du Hirak en 2019 qui ont conduit Bouteflika à démissionner, ou des séquences du film « La Noubz des Femmes du mont Chernoua » tourné après la décolonisation par le réalisateur Assia Djebar. Interviennent aussi d’autres figures témoins telles la photographe-reporter Louiza Ammi pour parler de la décennie noire dont il ne reste pas de trace iconographique.

Katia Kameli, image extraite de Le Roman Algérien – Chapitre 3, 2019, Vidéo HD, 45 min.
© Katia Kameli, ADAGP, Paris, 2020.

Vue d’installation, plateau 2

Sur le plateau 2, Katia Kameli présente Streams of stories, une installation nourrie de ses recherches sur les sources multiples et croisées qui ont pu nourrir les Fables de La Fontaine. La sobriété de la présentation peut paraitre un peu froide sur ce vaste plateau, très différente de la scénographie conçue pour la Biennale de Rabat où fut présenté le projet en 2019. On y retrouve néanmoins cette unité née de ce fond vert très particulier voulu par l’artiste , presque une signature.

Vue d’installation, plateau 2

Des fac similés de manuscrits originaux illustrent les différents jalons historiques des fables : l’Inde d’abord, puis l’Iran, le Maroc et enfin la France. L’accent est mis sur le Kalîla wa Dimna, l’un des textes les plus connus de la littérature arabe médiévale et l’un des plus illustrés du monde islamique. Deux vidéos mettent en scène la comédienne Clara Chabalier qui incarne une conteuse et le médecin Borzouyeh, premier traducteur du sanskrit vers le pahlavi du Pañchatantra (un recueil de contes dont serait issu le Kalîla wa Dimna).

L’exposition monographique au FRAC PACA est organisée dans le cadre de la Saison Africa 2020 et en partenariat avec Les Rencontres d’Arles. Commissariat de Eva Barois De Caevel.
Exposition ouverte jusqu’au 19 sept 2021
https://www.frac-provence-alpes-cotedazur.org/Katia-Kameli

Plateau 2 – vue d’installation

Viennent en fin de parcours les œuvres plastiques de Katia Kaméli (montrées lors de l’exposition « La Fabrique du Temps » à la Galerie Dix9) : des collages combinant des iconographies issues de différentes versions d’une même fable, dont l’artiste souligne l’intertextualité par des interventions de dorure à la feuille.

Plateau 2 – vue d’installation

Katia Kameli, Les Animaux malades de la Peste ; La Tortue et les deux canards, 2016, impression fine art et dorure à l’or 22 carat sur papier Bamboo. 49,5 x 45,5 (encadré) © Katia Kameli, ADAGP, Paris, 2020. Crédit photo : Aurélien Mole.

INFORMATIONS PRATIQUES

jeu20mai(mai 20)11 h 00 mindim19sep(sep 19)18 h 00 minElle a allumé le vif du passéKatia KameliFRAC PACA, 20 Bd de Dunkerque 13002 Marseille

La Rédaction
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