Diplômé des Arts décoratifs de Strasbourg et de l’ENS Louis-Lumière, Frédéric Stucin est considéré comme un maître du portrait. Depuis trois ans, il développe un projet sur le cabaret. Pour sa résidence de création au Planches Contact Festival de Deauville, le photographe a transposé son sujet à la Normandie. Sa série Le Chant des sirènes s’intéresse davantage aux coulisses qu’à la scène. Contrairement à Colette qui dans L’Envers du music-hall porte un regard acide sur la précarité des artistes, Frédéric Stucin a découvert des cabarets à l’ambiance chaleureuse. Par son art de l’éclairage, il rend hommage à ces artistes qui font vibrer d’émotion les spectateurs.

La Sirène à Barbe
Drag Show – ALonso, Sweety, Lily et Diva Beluga et shamay_flowartdancer
Dieppe, le 29 mars 2025
© Frédéric Stucin

Fatma Alilate : De quelle façon avez-vous commencé le sujet sur le cabaret ?

Frédéric Stucin : Complètement par hasard, je ne connaissais rien au cabaret, à part les grands films. Ma compagne qui est journaliste faisait un papier pour M Le Monde sur Madame Arthur, et elle m’a dit : « C’est absolument génial, incroyable, formidable. Viens voir. » Je suis curieux, mais je ne m’attendais pas à grand-chose. Et je me retrouve chez Madame Arthur, à la grande scène du Divan du Monde, je prends une claque. Le spectacle est drôle, irrévérencieux, politique, drôle je le répète parce qu’il y a vraiment un côté rigolo avec des artistes complets qui chantent, dansent, font du piano, du violon. Sur scène, il y avait Grand Soir, Androkill, Odile de Mainville et Martin Poppins. Et ça a cassé tout ce que j’imaginais du truc gentillet, en playback, se rapprochant de Dalida ou de Sylvie Vartan. J’avais donc des Créatures – elles sont appelées comme ça dans le cabaret de chez Madame Arthur -, qui faisaient un spectacle différent de ce que je connaissais. Et j’ai hurlé de rire ! J’ai eu aussi beaucoup d’émotion, par les chansons. Je sortais justement de la résidence en milieu psychiatrique pour la Villa Pérochon, et j’ai eu envie de photographier cette scène-là. Les photos de spectacles, ça ne m’a jamais attiré. Des portraits, c’est ce que je sais faire, mais faire des portraits d’artistes au cabaret, ils en ont déjà, ça ne va pas les amuser. Et je me suis dit : « Je vais les emmener ailleurs mais dans leur milieu naturel – le choix du lieu étant défini avec chaque artiste. »

Dancing. Troyes, le 18 juin 2020
© Frédéric Stucin

FA : Au niveau de la résidence Planches Contact, comment ça s’est déroulé ?

FS : J’ai proposé de continuer mon projet. Et ce qui était très amusant, c’est qu’il n’y avait pas en Normandie que des cabarets interdisciplinaires comme à Montmartre, mais plutôt des cabarets transformistes. J’ai appliqué le même procédé sur la dizaine de cabarets : photographier les artistes hors du cabaret. Et j’ai toujours voulu garder une trace du cabaret, la salle. C’est pour ça que j’ai toujours photographié la salle vide, pour l’aspect documentaire. Pour le show, je me suis très vite posé la question de comment photographier l’ambiance cabaret. Figer un art vivant, c’est compliqué. C’est-à-dire que je fais une photo en deux dimensions, il n’y a pas le son, les rires, l’émotion de la chanson. Mais en mettant des temps de pose longs, je peux recréer une atmosphère. 

FA : Par un focus sur les coulisses des cabarets, vous approchez une forme de mise à nu de ces personnes ?

FS : C’est une question que je me pose. Non, la mise à nu, je ne sais pas si je me permettrais de dire que je les mets à nu. En fait, j’essaye de les mettre en lumière par mon système photographique, d’éclairage, de les glorifier quelque part. Pour moi, ce sont des artistes très talentueux et j’ai envie de montrer leur talent. La mise à nu, je pense que c’est plus quand je fais des portraits extrêmement simples, cadrés photomaton, un regard caméra assez simple. Oui, on voit dans le regard une humanité, je l’espère, qui est très présente. Mais c’est l’idée de… les mettre à l’honneur.

Cabaret le Puits Enchanté
Tony Apert /// Vicky Vendôme
Saint-Valery-en-Caux, le 25 mars 2025
©Frédéric STUCIN

FA : Est-ce qu’il y a un jeu aussi avec ces lumières artificielles ?

FS : Totalement. Je travaille essentiellement qu’avec les lumières artificielles pour recréer des scènes un peu oniriques. C’est travailler à partir du réel et essayer de le transformer par la lumière pour l’emmener dans la fiction, du rêve, ne pas juste faire une photographie. J’essaie toujours de garder de la distance, une frontalité, de rester le plus simple possible, de mettre en avant, et dans le fond, de donner des éléments sur cette personne. Parce que je ne suis pas là pour révéler la vérité de leur âme ou qui sont réellement ces artistes. Mais par des petites pistes, montrer la complexité d’un personnage, que ce soit un tout petit film dans l’image.

FA : C’est vrai qu’il y a finalement l’arrière-plan, avec des indices.

FS : L’arrière-plan est hyper important. C’est ça qui est intéressant. Et je travaille effectivement beaucoup sur l’arrière-plan. Sauf quand je fais des portraits très serrés où là l’arrière-plan est neutre ou coloré. 

Les Enfants Terribles – Cabaret transformistes
Pascaline de Beauregard /// Pascal Giroud
8 Rue Théodore Chennevière
Elbeuf, le 22 mars 2025

FA : Le cabaret, c’est une histoire de passion ?

FS : Les artistes de cabaret ne se retrouvent pas sur scène, par hasard. Ils ont décidé que le cabaret c’était un peu leur vie, et ils donnent leur maximum sur scène. Corrine (nom de scène) vient du théâtre de rue, c’est un artiste qui utilise toutes les techniques du théâtre de rue parce qu’en fait, il faut attraper le public. Corrine est le DJ du Cabaret spectacle des Franciscaines. Un autre artiste est ancien attaché de presse de Canal +, j’ai aussi connu un cadre d’une grande boîte. Ce n’est pas un choix par défaut, et donc oui, il y a une énorme passion. 

FA : Vous avez dit que vous étiez tombé amoureux de cette scène.

FS : Oui. Et il y a un côté très famille dans le cabaret, c’est encore plus vrai en Normandie. Quand on va au Tambour à Saint-Vaast-la-Hougue, Corinne tient le cabaret, son mari fait la restauration et s’occupe des lumières. Leur fille qui a fait des études d’architecture a construit des loges pour les artistes. On est reçu comme à la maison. Ils m’ont tous offert le couvert, laissé entrer où je voulais. Pareil pour la Sirène à Barbe, à Dieppe. La mère de Nicolas est à l’entrée et à la caisse. Et le père fait la cuisine. On a quatre temps de résidence pour Planches Contact, je passais mon temps dans les cabarets. Alors ça faisait rire tous les photographes, parce que j’étais le seul à sortir le samedi soir et je revenais vers 3 heures, voire 4 heures du matin. Tout le monde était persuadé que je passais des nuits de débauche, à faire la fête alors que pas du tout, je faisais des photos.

– Propos recueillis par Fatma Alilate

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Fatma Alilate
Fatma Alilate est chroniqueuse de 9 Lives magazine.

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