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Notre invité de la semaine, le co-fondateur de Photo Doc et co-créateur de l’Observatoire des nouvelles écritures de la photographie documentaire, Valentin Bardawil, consacre sa deuxième carte blanche éditoriale au photographe français, Pierre Faure. Un bruyant lanceur d’alerte dont le travail ne remporte pas les récompenses qu’il mérite. Il vient cependant d’être nommé lauréat du Prix Polka 2023. Focus sur ce grand photographe humaniste qui pose son regard et dénonce l’extrême précarité en France.

Photo Doc a présenté deux fois le photographe Pierre Faure au prix Niépce. Le personnage comme ses photographies sont plus que jamais d’une actualité brûlante, s’il n’a pas eu la récompense espérée, il vient d’avoir fin 2023 le prix Polka et je suis heureux qu’Alain Genestar reconnaisse en lui le « professionnel qui est, à sa manière discrète, un bruyant lanceur d’alerte. » Voici le texte que j’avais écrit à l’époque pour accompagner son travail à la présentation du prix.

Pierre Faure, le mal entendu

Quand on pose la question à Pierre Faure des raisons qui l’ont poussé à photographier l’extrême précarité, il répond : « la réponse est compliquée… depuis 2008, les classes populaires dégringolent, mais cette situation de pauvreté qui s’installe, avant d’être révoltante, me semble absurde. Comment accepter qu’une partie de la population de la France, un des pays les plus riches du monde, vive dans ces conditions ? Ce regard sur la société je l’ai toujours eu, il vient de l’enfance. »

Son « œil », Pierre le travail avant même d’avoir un appareil photographique qu’il achète sur le tard, longtemps après avoir fini ses études d’économie et alors qu’il est depuis 10 ans dans la fonction publique. Photographe, il le devient un jour en passant en train le long d’un camp de Roms qu’il ira visiter tous les jours sans relâche pendant presque un an.

© Pierre Faure

© Pierre Faure

Sa rencontre avec les gens du voyage est déterminante. C’est en les côtoyant qu’il quitte définitivement la sécurité de l’emploi. C’est en les photographiant qu’il tombe amoureux du noir et blanc, qu’il pose un regard tendre sur ses sujets et trouve la bonne distance en étant au plus près de ceux qu’il photographie.

Puis vient sa rencontre avec Les Gisants du Refuge, le plus grand centre d’hébergement d’urgence de France. Il fait des photos « qu’on n’a pas envie de voir » lui dira un de ses amis, mais Pierre n’est pas là pour faire plaisir à ceux qui regardent ses photos ou qu’il photographie. Il ne sait pas tricher. Il va passer trois mois sur les lieux avant de s’autoriser à prendre des photos, ce seront des photos volées qu’il fera au 28mm, c’est-à-dire au plus près de ces corps épuisés et brisés. Pierre Faure fait de la photo envers et contre tout, « c’est un travail sur la mort » dit-il mais il doute car il photographie des personnes qui ont perdu toute dignité et c’est son tireur qui lui confirme qu’il a son sujet. Quand il présentera son travail aux travailleurs sociaux et aux responsables du lieu, eux aussi le rassureront : « C’est ça. C’est terrible mais c’est la réalité. Il ne manque que l’odeur. » Ce sont les autres qui lui disent où il se situe et qu’il n’est jamais surplombant.

© Pierre Faure

© Pierre Faure

Ensuite ce sera les longues années France Périphérique, titre qu’il emprunte à l’ouvrage éponyme du géographe Christophe Guilly, « Je ne suis pas sociologue mais maintenant la géographie influe de moins en moins sur les gens ». Il photographie la fracture sociale et les déclassés dans l’hexagone qu’il parcourt inlassablement. Si la géographie influe de moins en moins sur la pauvreté, elle joue sur ses images, « Tu n’as pas le même ressenti quand tu es dans la brume des Vosges que quand tu es en Creuse au mois d’août et tu ne fais pas les mêmes photos. »

© Pierre Faure

© Pierre Faure

Mais les photographies de Pierre restent trop confidentielles et étrangement Les Gisants sont plus faciles à montrer que celles de France Périphérique, « parce que les gisants c’est les clochards. Montrer des marginaux, c’est accepté, ça ne remet pas en cause le système. Des clochards, il y en a toujours eu, très bien ! Mais France Périphérique, c’est autre chose, ce sont des classes moyennes qui sont en train de sombrer et ça on n’a pas envie de le voir. Même si j’ai eu de nombreux prix photographiques, beaucoup d’institutionnels, de journalistes, me mettent la main sur l’épaule en me disant « c’est bien, c’est salutaire, c’est utile »… et rien derrière. Le travail reste trop peu visible ».

© Pierre Faure

Pourtant quand on prête un peu d’attention aux images de Pierre Faure, on découvre vite qu’elles ne sont pas là pour véhiculer un message et si le photographe ancien économiste, pense parfois faire un travail social, ses photographies, elles, n’exposent rien. Non ! En regardant attentivement ses paysages comme ses portraits silencieux et hors du temps, on comprend que si le photographe va à la rencontre d’une France délaissée que nous mettons trop souvent sous le tapis, aux portes de nos maisons ou de nos villes, c’est uniquement dans le but de s’exposer lui-même afin de nous rappeler, pas seulement ce que nous ne voulons pas voir ou cachons mais ce que nous ratons, car cette solitude, cette finitude, toute cette vulnérabilité, ces fragilités qu’il photographie sont le cœur de notre humanité et le seul chemin vers un avenir commun.

© Pierre Faure

https://hanslucas.com/pfaure/photo

INFORMATIONS PRATIQUES

ven22mar(mar 22)15 h 00 minven24mai(mai 24)17 h 00 minPierre FaureFrance périphériqueGalerie Polka, 12, rue Saint-Gilles 75003 Paris

A (RE)LIRE :
Le photographe Pierre Faure est notre invité de la semaine
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La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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