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Demain, le premier événement du réseau LUX, ouvre ses portes à Paris. Ce nouveau réseau professionnel national de festivals et de foires qui œuvre à la diffusion et la valorisation de la photographie, réunit 23 membres. Durant un mois, le public est invité à découvrir, pour la première fois, les festivals et foires photo dans un seul et même lieu à travers une exposition par structure mettant en avant un·e artiste soutenu. Pour en savoir plus sur ce réseau et sur ce nouvel événement, j’ai rencontré Sylvie Hugues, Présidente de LUX, Marion Hislen, secrétaire générale du réseau, Emilia Genuardi, administratrice et Anne-Eléonore Gagnon, membre du réseau LUX*.

Leaving and waving, 7/1991 © Deanna Dikeman (présentée par le festival du Regard)

Ericka Weidmann : À l’occasion de la dernière édition des Rencontres d’Arles, vous avez annoncé la naissance de LUX, un réseau national de foires et festivals de photographie. Pour en revenir à la genèse du projet, comment et pourquoi est née cette volonté de faire réseau ?

Marion Hislen : Et bien l’idée est venue d’une réunion organisée par Robert Lacombe, Sous-directeur de la création artistique à la Ville de Paris. Il avait convié tous les acteurs de festivals et de foires pour parler du Mois de la Photo, et il a trouvé dommage que toutes ces structures ne soient pas réunies sous la forme d’un réseau. Je me suis dit qu’il avait complètement raison, et je me suis tout de suite investie pour lancer le projet. Ce qui est intéressant pour le réseau, je pense, c’est que je connais tout le monde et je ne suis pas juge et partie, je n’ai plus de festival, je ne gère pas de foire, donc, j’étais un bon interlocuteur pour organiser tout cela. Evidemment, il n’était pas question de réduire ce réseau à la seule ville de Paris, il fallait que ce soit national. Lorsque je travaillais au ministère de la Culture (ndlr : Marion a été déléguée à la photographie au sein de la Direction générale de la création artistique de 2019 à 2021), je me suis rendu compte à quel point il était important pour la politique des arts visuels d’avoir des interlocuteurs pour représenter les différents métiers et structures. Et donc, il n’y a jamais eu autour de la table au ministère de la Culture un membre d’un festival ou d’une foire parce qu’ils ne sont pas représentés. Alors j’ai pris mon téléphone et j’ai appelé tout le monde en demandant aux principaux intéressés si l’idée d’organiser ce réseau leur plaisait et ensuite Sylvie Hugues est arrivée.

Sylvie Hugues : On se rend compte que dans les autres pratiques artistiques, ces réseaux existent, c’est le cas pour la bande dessinée ou les arts vivants par exemple. Et comme souvent, en photographie, on joue moins en collectif. À quoi cela tient ? Je ne sais pas. Mais le fait est qu’aujourd’hui, je me demande comment ça se fait qu’on ne l’a pas fait avant !

Emilia Genuardi : Et il est important de rappeler qu’en France, on a un écosystème inouï. Je pense qu’on peut même dire que ça n’existe nulle part ailleurs. Il y a un nombre très important de festivals, et puis on a Paris photo, qui est l’une des plus grandes foires photo au monde. Et moi aussi, avec a pp roc he et UnRepresented, petits mais costauds, et ensemble on défend un point de vue commun, une scène, une époque… Et ce réseau permet de rayonner à l’international et de promouvoir notre scène au-delà de nos frontières.

E.W. : Comment a été accueillie cette initiative auprès des structures concernées ?

E. G. : Personne n’a hésité une seule seconde! Lors de la première réunion, nous étions une petite dizaine, et on s’est tous dit que c’était une idée formidable, mais se posait la question de piloter cela avec notre surcharge de travail. Alors la présence de Marion a été une réelle chance, car c’est une super chef d’orchestre et tout d’un coup, on avait un véritable potentiel, ça nous a permis de faire les choses vite et bien et de se rassembler.

© Arina-Essipowitsch / ADAGP (présenté par le festival Nicéphore+)

Anne-Eléonore Gagnon : On l’a bien vu également avec l’arrivée des Etats Généraux de la Photographie, il y a de vrais enjeux dont il faut se saisir. Et faire réseau, c’est aussi une opportunité de faire compte commun. Nous avons la chance d’avoir un maillage territorial, national qui est extrêmement riche et à travers tous les acteurs du réseau il y a une volonté commune de défendre les photographes, les droits de monstration, et les enjeux écologiques également au niveau de la monstration. Comment fait-on pour collaborer et faire sens ? Pour moi, le réseau, c’est aussi ça et c’est ce qui crée sa nécessité.

S. H. : Pour revenir à ta question, Ericka, on a remporté l’adhésion de pratiquement tout le monde très rapidement. En un mois, on avait constitué les 23 membres. À ce jour, il y a des festivals qui n’y sont pas encore, certains attendent peut-être pour adhérer. Créer ce réseau, c’était la bonne idée au bon moment avec les bonnes personnes

Canton 2005 © Laurent Gueneau (présenté par Les Villes Invisibles)

M. H. : Le réseau Diagonal nous a fortement aidé parce qu’il a prouvé qu’un réseau dans la photographie pouvait fonctionner. Cela nous a permis d’avoir des adhésions plus rapidement. On ne venait pas de nulle part. On duplique un modèle existant et fonctionnant. Ça aide à la prise de décision. Et j’aimerais ajouter une chose, c’est qu’au moment du Covid, nous avons eu des réunions au ministère concernant les festivals et le seul représentant était Les Rencontres d’Arles. Et la directrice adjointe, Aurélie de Lanlay m’a confié qu’Arles n’était pas du tout représentatif des festivals photo en France. On lui a demandé de parler au nom de tous les autres, alors que c’était impossible. Arles ignore ce que vit un festival qui gagne 60 000 € et qui est uniquement géré par des bénévoles. Mais on se rend compte que ce n’est pas parce que c’est un gros festival qu’ils n’ont pas besoin de faire réseau. Parce que finalement, le fait d’être l’un des plus importants, les plus riches… crée une forme d’isolement.

E. G. : Et pour parler du pendant Foire, je ne suis pas RX France (ndlr : organisateur de Paris Photo). Je suis une société indépendante qui produit du contenu culturel et je paye ma liberté dans le sens où je refuse de devenir le salon d’une grande marque, puisqu’on sait que le mécénat aujourd’hui, dans les arts visuels et l’art contemporain, c’est souvent les marques de mode et de luxe. L’économie est loin d’être facile et des projets comme le réseau LUX, en ce qui me concerne, permettent non seulement de nous fédérer pour des échanges de discussions, de moyens d’idées, mais c’est aussi très utile pour être informé de ce qui se fait dans la création contemporaine, des échanges sur les scénographies et autres. Je table beaucoup sur le réseau pour inventer de nouveaux modèles dans le futur. Il y a beaucoup de choses à inventer, et tout ça est important pour que chacun puisse garder son indépendance.

A.E.G. : Cela nous permet de nous rendre compte des enjeux et des difficultés auxquels chacun est confronté, quelle que soit sa taille, on s’aperçoit bien qu’il y a des convergences. Donc, on a toujours intérêt à réfléchir, à penser ensemble et à collaborer pour s’apporter des choses les uns, les autres. Je pense que ça fait vraiment avancer tout le monde.

© Aurélia Frey (présentée par le festival Itinéraire des Photographes Voyageurs)

E.W. : Quels sont les actions et missions du réseau LUX ?

S.H. : Parmi nos missions, nous souhaitons donner une photographie de nos métiers, parce qu’aujourd’hui, il n’existe pas de chiffres sur l’événementiel photographique. On souhaite créer un observatoire pour établir la masse salariale de nos activités et de nos métiers. À ce jour, nous n’avons même pas le nombre précis de festivals photo en France.
On a un très gros chantier, c’est celui qui concerne toute la partie écologique, on doit développer des solutions pour pouvoir partager nos ressources (comme les cimaises), voir comment on peut travailler ensemble. C’est énorme et très vaste.
Nos missions concentrent des valeurs communes sur la manière de mieux produire ensemble et comment on peut se partager nos expériences, que ce soit au niveau d’éducation à l’image, de mutualiser les ressources, de faire circuler les expositions également. C’est un enjeu très important. L’idée qu’une expo qui a été produite et montrée quelque part, ne peut pas ensuite circuler ailleurs, c’est quelque chose qu’on doit absolument arriver à combattre. Cette idée mortifère de la production pour un seul festival, c’est vraiment dommage, il faut casser ce système-là pour faire tourner les expositions. Combien d’expos dorment dans des caves !?? D’autant plus que les photographes en ont vraiment besoin, c’est souvent le fruit d’années de recherche et de travail, ils ont besoin d’être exposés, que ce ne soit pas un one shot et ils peuvent percevoir des droits d’exposition supplémentaires !

Réserve forestière des crêtes du nord, relique de forêt primaire et refuge des chauves- souris roussettes et des lémuriens bruns.
© Franck Tomps (présentée par la Quinzaine Photographique Nantaise)

E.W. : Qui peut intégrer ce réseau ? Est-ce qu’il y a une charte de bonne pratique ? Des engagements comme par exemple l’obligation de rémunération des photographes en droit d’auteur pour les festivals… ?

M.H. : En fait, quand tu rentres dans le réseau, tu signes un document où tu t’engages en effet à respecter les droits d’auteur pour les photographes. La seule chose que nous exigeons également, c’est au moins trois années d’existence. L’un des prochains chantiers c’est justement de rédiger une charte. Pour le moment, on a copié le mode de fonctionnement du réseau Diagonal, c’est le conseil d’administration qui rentre les dossiers et qui décide du rythme. Normalement, c’est une fois par an. Des structures nous ont déjà sollicités bien sûr, mais pour le moment, pas de nouvelles adhésions avant janvier prochain. Donc bientôt, nous serons rejoints par 4 nouveaux festivals.

© Olgaç Bozalp (présenté par Les Mesnographies)

E.W. : Le 6 novembre, vous inaugurez le premier événement du réseau à Paris, dans un ancien centre de distribution du courrier. Pouvez-vous nous raconter ce que les visiteurs pourront y découvrir ?

S.H. : Je pense que c’est une première historique que des festivals et foires de photographie se réunissent pour montrer une de leurs productions. Ça ne s’est jamais fait en France, ni à l’international. C’est un événement qui est en entrée libre, tout est gratuit, c’est important de le souligner. Et pendant un mois, les visiteurs vont découvrir les expositions de nos membres et participer à des animations : des studios photo le week-end pilotés par le festival Circulation(s), un studio photo le mercredi après-midi avec des familles en difficulté, précaires, des migrants, etc.
Puis, il va y avoir des rencontres, des talks et des lectures de portfolios gratuites avec l’instance des membres du réseau.

Livre photo : L’Arbre-machine, un monde en mue – Sylvie Bonnot (présentée par le salon a pp roc he)

M.H. : La base de cet événement, c’est que chaque festival et foire du réseau présente un·e photographe d’une production déjà effectuée, excepté Emilia qui présente Sylvie Bonnot, qui a réellement créé une œuvre in situ. Ce n’est pas un artiste qui est présenté, c’est le festival qui présente un artiste. Ce sont vraiment les festivals et les foires qui sont mis en avant à travers un·e artiste.
On souhaite vraiment que cet événement soit une espèce de hub de la photo, on a invité d’autres structures à participer comme le réseau Diagonal, les Filles de la Photo, MYOP, Tendance Floue… pour venir s’emparer du lieu. C’est tellement dur de trouver des lieux à Paris pour faire des événements. Donc tout le monde apporte ses idées, et va permettre de faire vivre cet ancien centre de distribution du courrier de manière très dynamique.

A.E.G. : Ce qui m’a marquée lorsque je suis allée faire le montage, c’est que cet événement LUX#01, ce n’est pas un agglomérat factice des différentes structures qui viennent se faire briller ensemble. Moi, je l’ai vraiment ressenti comme un véritable événement collectif où dès que chacun avait cinq minutes, on allait aider le collègue, discuter ensemble, voir au niveau de la monstration ce qu’on pouvait faire, prendre des conseils et être là. Pour moi, c’était vraiment représentatif de tout ce que porte ce réseau. On n’est pas là pour se faire de la publicité individuellement. On est là pour construire ensemble quelque chose qui fonctionne et ramener ces synergies-là qui sont fondamentales et dont on a profondément besoin.

E.W. : Pourquoi avoir choisi de faire cela en Novembre, dans un calendrier déjà très chargé à Paris niveau photo ?

S.H. : On s’est posé la question à savoir si c’était le bon moment, mais justement lors de la semaine de Paris Photo, tous nos membres sont présents. Ça facilite les choses. Et puis, finalement, je crois que c’est une bonne idée parce que cela va drainer du monde. Le défi, ça va être aussi de faire vivre ce lieu durant un mois entier.

INFORMATIONS PRATIQUES

mer06nov(nov 6)11 h 00 mindim08déc(déc 8)19 h 00 minRéseau LUX #121 festivals et foires de photographie s ’exposentLa Poste Rodier, Ancien centre de distribution du courrier, 30-32, rue Louise-Emilie de la Tour d’Auvergne 75009 Paris


https://reseau-lux.com/

*Sylvie Hugues est également directrice du festival du Regard, Emilia Genuardi est la fondatrice des salon a pp roc he et UnRepresented et Anne-Eléonore Gagnon est commissaire d’exposition pour la Biennale internationale de la Photographie à Clermont-Ferrand, Nicéphore+.

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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