En une journée, on découvre deux femmes puissantes au WIELS (Nairy Baghramian et Evelyn Nicodemus), un géant de l’art conceptuel (John Baldessari) et la sculptrice danoise Nina Beier à Bozar, une demolition party au Jewish Museum (30 artistes) et un portrait de la ville de Johannesburg à la Fondation A (9 jeunes photographes). C’est parti !

WIELS : Nairy Baghramian, une réponse à l’in situ

Vue de l’exposition Nairy Baghramian, Nameless, courtesy de l’artiste WIELS photo Eline Willaert

Dirk Snauwaert, directeur, est le commissaire de l’exposition « Nameless ». L’artiste iranienne basée à Berlin qui avait participé à l’exposition inaugurale du WIELS revient avec un corpus d’œuvres inédites engageant des matériaux et dispositifs renouvelés comme avec la série des « Side Leaps ». Le titre « Nameless » renvoie à l’absence de nom, d’état, à ce qui a été refoulé, révoqué, l’innommable. Des choses et des objets dont l’indétermination et l’instabilité, la fragmentation et le déplacement irriguent toute la démarche de l’artiste en écho aux traumatismes des guerres et de l’exil. L’intervention dans la cage d’escalier sur l’ancien silo du bâtiment est très impressionnante : comme une enseigne lumineuse privée de sa fonction et détournée en glyphes éteints et muets, d’une écriture qu’elle est la seule à maîtriser.

Nairy Baghramian, nameless, 2025 courtesy of the artiste, Marian Goodman gallery, Hauser & Wirth and Kurimanzutto

Dessins, photographies, maquettes, assemblages tubulaires « en suspension », ces œuvres sont un hommage à des artistes et designers avant-gardistes qui ont du créer dans des conditions précaires fuyant les régimes totalitaires des années 1930, tels que la sculptrice polonaise Katarzyna Kobro mais aussi le constructiviste allemand Kurt Schwitters, la peintre tchèque Toyen, le surréaliste allemand naturalisé américain Max Ernst, le franco-allemand Jean/Hans Arp…

En France l’artiste a été exposée magistralement au Carré d’art de Nîmes par Jean-Marc Prévost en 2022 avec « Misfits/ Inadaptés » et précédemment aux Beaux-Arts de Paris dans le cadre du Festival d’Automne.

Evelyn Nicodemus

Vue de l’exposition Evelyn Nicodemus, Black Bird courtesy de l’artiste photo Eline Willaert

Tout autre univers avec l’artiste tanzanienne établie à Édimbourg, Evelyn Nicodemus, qui déroule un engagement continu envers les luttes des femmes dans une perspective émancipatrice. Avoir frôlé la mort et connu différents traumatismes conditionne son œuvre.

« Black Bird » est le titre d’un manuscrit encore inédit de l’artiste, la poésie est un fil conducteur pour entrer dans son univers. Elle combine des recherches sur l’abstraction et le langage avec des assemblages textiles à partir d’une technique de tissage utilisée pour fabriquer des clôtures.

Evelyn Nicodemus, Croix d’amour (Cross of Love), 1984 Courtesy of Alexander Rhomberg

Un tournant s’opère à partir de l’ouvrage « Encyclopedia of Genocide », l’artiste cousant avec patience autour de ces témoignages de la violence. Une éthique de la réparation.

Autre projet sur 3 continents avec « Woman in the World » au Danemark, en Tanzanie et en Inde l’artiste se penche sur ce qui relie des femmes de générations et de contextes différents entre douleurs et joies.

• Nairy Baghramian, Nameless
Jusqu’au 1er mars 2026
• Everlyn Nicodemus, Black Bird
jusqu’au 1er février 2026
📍WIELS | Centre d’Art Contemporain
Av. Van Volxem 354, 1190 Forest, Belgique
https://www.wiels.org/fr

Bozar : John Baldessari

John Baldessari, Arms and Legs (Specif, Elbows & Knees),Etc, Part (One) : Arm and Leg (With Column) 2007 Würth Collection, Künzelsau

A partir du moment où l’on réalise que l’artiste déclare de façon très formelle et sérieuse : I Will Not Make Any More Boring Art à ses étudiants de CalArts on se dit qu’aborder l’humour chez John Baldessari est plus que nécessaire pour tenter d’appréhender celui qui est considéré comme un géant de l’art conceptuel (au propre comme au figuré !). Né d’un père autrichien et d’une mère danoise, il grandit en Californie proche de la frontière mexicaine. Un background culturel et linguistique qui va avoir son importance par la suite.

Après l’autodafé de 1970 où il brûle toutes ses œuvres lors de The Cremation Project, il décide alors de ne plus assimiler l’art à la peinture et se lance dans une série d’expérimentations sur l’image et le langage. Il dépasse la tyrannie du cadre et cherche à trouver des équivalents entre mots et photographies comme avec la série « à première vue/prima facie », qui est très liée à la Belgique et présente dans de nombreuses collections.

Ses liens avec le surréalisme sont l’une des portes d’entrée de l’exposition « Paraboles, fables et autres salades » comme le souligne Zoé Gray, directrice des expositions à Bozar. Le parcours volontairement non chronologique réunit plus de 60 œuvres. Si l’artiste emploie des techniques et matériaux très variés, sa signature reconnaissable entre toutes est une combinaison entre l’utilisation de points colorés (les fameux dot paintings) pour recouvrir des visages de personnages alors que dans la partie inférieure de l’image ce sont les personnages entiers qui sont cachés. Jouant avec différentes catégories d’images combinées, il se rapproche en cela de Goya dont les titres et associations le fascine. Il puise aussi dans toute l’iconographie d’Hollywood pour établir des photogrammes indéfiniment interchangeables. Cette manipulation annonce le flux des réseaux sociaux et les outils de technologie numérique actuels. Si vous ne comprenez pas tout ce n’est pas grave : il faut garder l’esprit joueur comme devant « Arms and legs (Specif, elbows & knees),etc, part (one): arm and leg (with column)» dessinant une lettre X à partir d’un bras et d’une jambe soutenant une colonne dorique. Ou bien avec « Ear Sofa and Nose Sconces with Flowers » soit une grande oreille seule pour « réduire l’identité humaine au minimum » ; les yeux et les lèvres ayant déjà été largement représentés dans l’art, précise l’artiste.

C’est la galerie Great Meert qui représente Baldessari en Belgique, à lire en complément l’interview avec son directeur Frédéric Mariën (lien).

Violence des objets ordinaires par Nina Beier

Nina Beier, Beast, 2018- 2024 Courtesy of Standard Oslo © Photo: Nina Beier

En parallèle les taureaux de rodéo de l’artiste danoise Nina Beier nous lancent des clins d’oeil depuis les Antichambres de Bozar. Posés sur ressort, ces sculptures, Beast, soutiennent des bidons en plastique contenant du lait industriel pour bébé. Il y a aussi la série Real Estate, qui donne son titre à l’exposition, ces appui-tête désolidarisés de leur support (sièges de voiture, bureau) qui deviennent comme des personnages nous invitant au soin ou encore l’armada de maquettes de bateaux de croisière suspendus au plafond, Fleet, évocation luxueuse du tourisme à portée de main même s’ils sont lestés de sable et de sucre, symboles de l’extractivisme mondialisé. Toute une série d’objets orphelins, qui, déplacés de leur contexte, dans un entre deux, laissent une sensation d’inconfort au regardeur.

Comme lors de la magistrale intervention de l’artiste pour la Nef du Capc, cette nouvelle occurence tout aussi inquiétante est une entreprise de sape des symboles de notre modernité triomphante. Tout tourne à vide comme un disque rayé !

Commissaire : Zoë Gray

Cette exposition est présentée dans le cadre de la Présidence danoise du Conseil de l’Union européenne.

John Baldessari
« Paraboles, fables et autres salades »
Jusqu’au 1er février 2026
📍Bozar
Palais des Beaux-Arts Rue Ravenstein 23, 1000 Bruxelles
https://www.bozar.be/fr/calendrier/john-baldessari

Demolition party au Jewish Museum of Belgium : « There is a crack in everything »

Vue de l’installation de Marianne Berenhaut Jewish Museum of Belgium © Isabelle Arthuis

J’ai rencontré Barbara Cuglietta à son arrivée au Jewish Museum en 2021 après avoir dirigé la Cambre avec une volonté d’ouverture et de questionnement autour de thématiques telles que l’appartenance, l’exil, le territoire, l’identité. Avant la fermeture du musée et sa complète rénovation, la directrice imagine « There is a crack in everything » à partir d’un titre de Leonard Cohen et transforme ce bâtiment aux multiples vies (prison, école, entrepôt d’instruments de musique…) en véritable palimpseste et laboratoire in situ. Comme la métaphore d’un monde en lente décomposition, la précarité devenant un sas de latence à commencer par la façade du musée investie par Adrien Vescovi avec ses tableaux suspendus et offerts aux intempéries comme lors de son intervention au Casino Luxembourg « Jours de lenteur ». Un concentré de temps qui flotte au vent. Puis l’on pénètre dans les arcanes de chaque salle et on se laisse embarquer dans un exil intérieur avec nostalgie. Le duo mountaincutters étant donné le choix de matériaux pauvres et conducteurs et leur emplacement en circuit fermé, participent à cette mise en abyme de la notion de fragilité en investissant les failles et fissures du bâtiment. De même avec Marianne Brenhaut et l’installation « à chacun sa faille » constituée de multiples miroirs tranchants est tout particulièrement agissante.

Vue de l’installation de Gustav Metzger Jewish Museum of Belgium ©
Isabelle Arthuis

Les artistes deviennent les catalyseurs d’une prise de conscience élargie du lieu et ses mémoires.

Avec : Aaron Amar Bhamra, Adrien Vescovi, Akane Saijo, Alma Feldhandler, Ari Benjamin Meyers, Christiane Blattmann, Edith Dekyndt, Ethan Assouline, Gustav Metzger, Jean Katambayi Mukendi, Jochen Lempert, John Giorno, Kanitha Tith, Marianne Berenhaut, Mariko Matsushita, Michael Van den Abeele, Mira Mann, Mire Lee, mountaincutters, Oototol, Pélagie Gbaguidi, Prinz Gholam, Raha Raissnia, Richard Moszkowicz, Stéphane Mandelbaum, Wei Libo, Yalda Afsah, Yuyan Wang.

Jewish Museum of Belgium
« There Is a Crack in Everything »
Jusqu’au 14 décembre 2025
📍Jewish Museum of Belgium
Rue des Minimes 21, 1000 Bruxelles, Belgique

Johannesburg à la Fondation A

© Alice Mann, Siphithemba Mshengu, Drummies, 2018. Courtesy AFRONOVA GALLERY

La Fondation A, Astrid Ullens de Schooten Whettnall, proche du Wiels, accueille l’exposition What’s the Word? Johannesburg ! sous le commissariat d’Emilie Demon. Le titre composé à partir des paroles de la chanson de Gil Scott-Heron et Brian Jackson écrite au moment de l’apartheid resonne autour des paradoxes que véhicule la ville « la plus inégale du monde », selon un article du Times Magazine. Les 9 jeunes photographes proposent une vision entre résilience et devenir d’un héritage rarement interrogé au cœur des luttes. A noter que 6 d’entre eux sont membres du programme de mentorat d’Of Soul and Joy, créé par le fonds de dotation Rubis Mécénat. Implanté dans le township de Thokoza, à Johannesburg, le projet vise l’insertion et l’émancipation des jeunes des communautés locales à travers l’outil photographique.

Vuyo Mabheka – Skorokoro, 2023 – Mixed media cutouts on archival fine art cotton rag © Afronova Gallery

Avec : Sibusiso Bheka, Jabulani Dhlamini, Thembinkosi Hlatshwayo, Vuyo Mabheka, Alice Mann, Dimakatso Mathopa, Xolani Ngubeni, Motlhoki Nono, Zwelibanzi Zwane.

sam04oct(oct 4)10 h 00 min2026dim25jan(jan 25)18 h 00 minWhat’s the Word? Johannesburg!Collection Astrid Ullens de Schooten WhettnallFondation A Stichting, Av. Van Volxem, 304 bte 1 1190 – Bruxelles

Agenda des expositions :
https://www.visit.brussels/fr/visiteurs/agenda/tous-les-evenements

 

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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