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L’Olympe d’Alexis Cordesse à Malakoff

Temps de lecture estimé : 9mins

À l’occasion du Mois de la Photo du Grand Paris 2017, la nouvelle série « Olympe » du photographe Alexis Cordesse est présentée à la maison des arts centre d’art contemporain de Malakoff jusqu’au 21 mai 2017.

Alexis Cortesse est représenté par Les Douches la Galerie, photo-reporter ayant couvert les conflits des années 90 en Afrique et en Europe, son travail est publié depuis dans la presse française et internationale. Il reçoit le prix Arcimboldo et le prix Lucien & Rodolf pour la série Bordeliness en 2011. Durant ces années le photographe ne cesse d’interroger le médium photographique par une interprétation de la durée et un débordement du statut de l’image de presse, « ses travaux photographiques sont souvent des objets hybrides qui explorent la part manquante des images et leur relation au récit historique ».

L’Aventure, le voyage.

Lors d’un voyage en Grèce où Alexis Cordesse se rend pour réaliser un travail documentaire sur la crise, Passant aux abords du mont Olympe, l’impérieuse nécessité d’en gravir les pentes le détourne de son objectif premier.

« Gravir l’Olympe. L’idée me vint et s’imposa telle une promesse. Le lendemain, j’entamais, sous une pluie fine, ma première ascension. Le massif était recouvert d’un épais brouillard. Je montais sans visibilité. Avec l’altitude, la pluie se transforma en neige. La pierre devint glissante. Finalement, j’arrivais au refuge situé en haut du plateau des Muses. Lorsque les nuages se dissipèrent, je découvris l’impressionnante théâtralité du site….Je contemplais l’infini et l’éternité face à face. Le spectacle était total. Rien, en bas, ne laissait présager de cette grandeur. Puis mon appareil tomba en panne et je redescendis vers la plaine. Je rentrais transformé par ce premier séjour sur l’Olympe. »

Retour au centre.

On le voit, s’évadant du monde politique et social, fait de divisions, le photographe connait, suite à une ascension difficile l’ expérience intime d’un retour à l’unité fusionnelle avec la Nature. La marche le délivre et le rend à lui même, dans une unité plus fondamentale de corps et de regard. La contemplation unifie les forces intérieures et les accordent au puissant paysage, le regard se nourrit de la paix du site, l’esprit du photographe s’apaise. Tout en haut de l’Olympe l’infini s’éprend de l’éternité. Alexis Cordesse écrit « Je contemplais l’infini et l’éternité face à face »

Dialogue avec l’Infini

Face à cette expérience d’ordre poétique et esthétique, le photographe livre une expression qui s’attache à l’émerveillement et à la part contemplative, plongeant aux sources de l’écriture photographique. Ce temps de l’immédiateté procède d’une mise à distance des images de commandes, les photographies exposées au centre d’art contemporain de Malakoff sont le creuset d’un langage visuellement poétique, et dans leurs propositions changent de statut. Un éclair jaillit, éclair de conscience d’être dans un présent issu du Tout Vivant, rochers, arbres, animal, et témoin du souffle du monde. Alexis Cordesse vit en lui la fusion de l’harmonie universelle et de son propre regard. Il fait oeuvre. C’est pourquoi la beauté de ces grandes photographies touche comme la peinture de Rothko, Soulages, Tapies.

Expérience intérieure fondamentale, résurgence de l’infini.

Il écrit : » j’avais soudain décidé de fuir la violence du monde et de gravir une montagne. Le rythme de la marche, l’altitude et le froid, la présence de la nature, ma présence dans la nature, la densité du minéral, avaient modifié mes états de conscience. La séparation entre le sujet et l’objet s’était progressivement effacée, laissant émerger un sentiment de fusion avec les éléments….L’Olympe était devenu le territoire d’une quête spirituelle et esthétique. Dans cet état d’extrême présence au monde, j’ai réalisé des images qui s’apparentent à des visions oniriques ; leurs dimensions poétiques et méditatives en sont l’essence. »

Total Simul

Alexis Cordesse évoque un Total Simul aristotélicien, une forme de l’éblouissement, pris dans un présent immobile, libre de toute successivité. la traversée du miroir en quelques sortes, le photographe, en ce lieu « magique » établit et reçoit en direct la beauté sidérante du Mont Olympe, établie par la transparence de la lumière et la proximité du monde, qui se donne à lui, totalement. Il s’agit alors d’une expérience métaphysique liée à l’éblouissement poétique. le poïen grec. Quelque chose a uni en profondeur l’être et le monde et produit l’art d’un langage iconique qui rend compte d’ une harmonie. Qu’est ce qui fait oeuvre dans ce travail exposé? sinon la juste perception transmise de l’expérience vécue, photographie ou la totalité s’exprime dans la manifestation pleine de la singularité.

Métapsychologie et Genèse de l’oeuvre.

Ce qui est proposé ici est une description des conditions d’un éblouissement et le rapport au récit littéraire, à un récit fondateur d’une transformation intérieure profonde. Faut il nommer une méta-psychologie? Ce récit décrit l’ expérience métaphysique et renseigne une psychologie, donne à comprendre, non pas l’effet mais les raisons de la production de l’oeuvre. Ces beaux formats photographiques ont une genèse. Si l’on a suivit le récit de l’ascension du Mont Olympe, qu’y trouve t on? L’expérience de l’unité primordiale. Tout cela a lieu dans une forme d involonté. Il y a correspondance entre le désir inconscient et l’événement qui s’impose au terme d’une ascension douloureuse, physiquement, que l’on pourrait interpréter déjà comme une catharsis, libération du sacrifice fait au monde d’en bas, puis, Illuminations au sens rimbaldien. « l’éternité, c’est quoi, c’est la mer allée avec le soleil » écrit Rimbaud. On doit noter qu’une épreuve pré existe à l’illumination. Le corps, durant l’ascension est soumis aux quatre éléments, l’eau (la pluie) au feu du froid (la neige) à l’air (l’altitude) et à la Terre (rochers glissants), le brouillard dissout ensuite la notion de repaires, le photographe ne sait pas où il est, son horizon s’est réduit a quelques pas, il s’est perdu. » je montais sans visibilité. Finalement, j’arrivais au refuge situé en haut du plateau des Muses. » Cette perte peut s’entendre comme un passage au noir, une traversée du miroir, de ce point aveugle et régénérant, va suivre l’éblouissement suivant. Lorsque les nuages se dissipèrent, je découvris l’impressionnante théâtralité du site. » Ceci apparait comme la preuve du tutoiement esthétique du photographe avec l’infini. La vision établit la fusion entre le Ciel et la Terre, le chant des Muses accompagnent et dirigent la quête essentielle.

Scénographie

Interpellé par le sens de sa démarche, Alexis Cordesse organise une installation, une dispersion en boucle des oeuvres, la scénographie. Celles ci sont accrochées selon un réseau d’énergies précis. Alors qu’est il donné à voir au visiteur, si ce n’est déjà cette perte de repères précédant la lecture de l’oeuvre, puis, la rencontre de ces regards larges, parlant le chant secret de l’infini. La lecture des oeuvres semble aléatoire, une déréalisation se fait, l’exposition apparait comme un chant poétique global. Nous sommes de l’autre côté du miroir.

Le visiteur est pris dans une circulation des énergies et du sens, même si un récit, voix off, introduit cette exposition aux images, le regardant est touché par ces énergies, par la quête esthétique et spirituelle du photographe. D’images en images, une déambulation, corps écrivant, se crée, le regardant revient inlassablement au même point de l’exposition, après plusieurs tours.

Alexis Cordesse a pensé cette mise en scène, la raison est aussi de voyager dans le temps d’une citation de ses travaux antécédents, boucle de l’espace de la scénographie, boucle du temps et du regard, de l’évolution du travail. L’exposition revient également sur le parcours du photographe, les origines, fixe le projet d d’Olympe en redonnant une continuité « historique » à sa production sur 25 ans, donnant à lire l’évolution de la démarche de celui-ci. Vision panoptique qui revient à Olympe dans une boucle asymptotique…

Diptyque en Noir et Blanc, les eaux matricielles, abstraction contemporaine. Reflets I et II, 176×235 cm fois 2

Expérience qui s’affirme pleinement et dont la synthèse, le point d’orgue se retrouve dans le grand diptyque en Noir et Blanc du rez de chaussée, début et fin de l’exposition, c’est dire un mouvement perpétuel dont la boucle se ré-initialise en permanence, signe de l’infini ouvrant et fermant l’exposition, symboliquement directeur de l’intention du photographe.

Ce diptyque est une contemplation des eaux matricielles de la création, survenues aux confins de l’aventure poétique du photographe dialoguant avec l’infini, l’illumination est devenue Abstraction. Poésie pleine, chant universel.

Par cette modernité, retrouvant la physique du monde grec ancien, Alexis Cordesse entreprend une lecture du Cosmos prit dans les eaux matricielles. D’ordre littéral et symbolique, ces deux champs se conjuguent, la contemporanéité de son expérience émet, par ce qui s’y déploie et par l’identification qui en serait faite, une interrogation ouverte sur le mystère de la création. Le peintre Soulages dit: « Quand on regarde une surface, une tache avec son contour, sa transparence, son opacité, son côté rugueux, soyeux, le rythme qui se crée d’une tache à l’autre, quand on regarde une toile abstraite, c’est toute l’expérience qu’on a du monde qui est concernée. » cette adresse est déjà formelle et c’est bien ce qui intéresse Alexis Cordesse, laissant aux visiteurs le soin de produire leurs interprétations, l’oeuvre étant ouverte au sens.

Mais ce qui est pour moi le plus intense, le plus fécond, au delà de la volonté d’associer plusieurs images dans des relations de sens entre les grains de la peau, l’astre du jour, grain de lumières, grain de beauté, des jeux de confusion d’échelles portant le trouble vers une perte de repères entre macrocosme et microcosme, c’est justement cet incroyable regard qui prend acte de la Création, mouvements profonds de l’éternité et du temps, quand le mouvement giratoire des eaux matricielles s’empare de l’infini de la voûte céleste et de ses étoiles, et que se formule dans Reflets I et II, l’impressionnante puissance de la vision, une plongée ascensionnelle dans le mythe de la création du monde grec. l’union de Gaïa et d’Ouranos. C’est le point nodal de l’exposition, ainsi le rêve a t il traversé la nuit, Olympe s’affirme comme un voyage au delà…des mondes physiques, vers l’infini et s’entend comme une Odyssée secrète, poème visuel faisant épiquement retour à la naissance de la civilisation et à l’esprit du monde occidental à son point d’origine. Trois mille ans nous contemplent.

INFORMATIONS PRATIQUES
Olympe
Alexis Cordesse
Dans le cadre du Mois de la Photo du Grand Paris
Du 19 avril au 21 mai 2017
Maison des arts, centre d’art de Malakoff
105, avenue du 12 février 1934
92240 Malakoff
http://maisondesarts.malakoff.fr
http://www.alexiscordesse.com
http://moisdelaphotodugrandparis.com

Pascal Therme
Les articles autour de la photographie ont trouvé une place dans le magazine 9 LIVES, dans une lecture de ce qui émane des oeuvres exposées, des dialogues issus des livres, des expositions ou d’événements. Comme une main tendue, ces articles sont déjà des rencontres, polies, du coin des yeux, mantiques sincères. Le moi est ici en relation commandée avec le Réel, pour en saisir, le flux, l’intention secrète et les possibilités de regards, de dessillements, afin d’y voir plus net, de noter, de mesurer en soi la structure du sens et de son affleurement dans et par la forme…..

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