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Rencontre avec Vincent Sator, Paris Photo 2017 (Prismes)

Temps de lecture estimé : 6mins

De formation littéraire, Vincent Sator a pris des chemins détournés pour trouver sa voie de galeriste. Après les ors du Ministère de la Culture et deux tentatives au concours de conservateur de patrimoine, il réalise que les allées toutes droites ne sont pas pour lui ! Il se lance dans une première aventure en avec « Blue Square » comme co-directeur avant que la crise de 2008 ne le rattrape. Loin d’être découragé, il ouvre seul en 2011 dans le marais, Passage des Gravilliers un espace à vocation internationale. C’est là que je le rencontre avec l’artiste Raphaël Denis exposé actuellement. Vincent répond à mes questions avec cette élégance et précision du langage qui le caractérisent.

9 lives : Pourquoi avoir choisi Evangelia Kranioti pour ce solo show qui vous permet d’intégrer le secteur Prismes/Paris Photo et quels en sont vos objectifs ?

C’était une évidence par rapport à sa démarche et aussi le fruit d’une rencontre avec Christophe Wiesner directeur artistique de la foire qui a vu à la galerie l’exposition d’Evangelia *L’Extase doit être oubliée, au printemps dernier, (photos et sa vidéo qui a remporté le prix Loop) aboutissant sur un échange autour d’un projet présentant cette double écriture. Ou comment montrer par rapport à d’autres propositions plus classiques dans leur approche, une autre forme d’art contemporain.

9 lives : Quelles évolutions récentes avez-vous noté dans le secteur et marché de la photo élargie au rapport contemporain à l’image, votre ADN ?

A mon avis il y a plusieurs phénomènes. D’une part et on le remarque depuis de nombreuses années, on assiste à une reconnaissance progressive et manifeste par le marché de la photographie. Des foires comme Paris Photo montrent qu’il s’est consolidé et affirmé pour devenir aujourd’hui un curseur décisif face à un moment très important du marché ici mais je le vois aussi à l’international avec des galeries qui travaillent en Chine et ailleurs. Parallèlement j’avais tendance à penser que ce marché se développait à côté de l’art contemporain. On observait et encore aujourd’hui des dynamismes et façons de collectionner différents. On sent au contraire à présent et grâce notamment à l’action de Paris Photo que les démarches se recoupent, que la photographie est une pratique qui fait partie intégralement de l’art contemporain et par conséquent introduit des écritures différentes : photographie plasticienne, documentaire, support photographique utilisé pour des installations etc. Cette ouverture des champs est d’ailleurs un moteur assez excitant !

9 lives : Où en sont les collectionneurs face à ce phénomène de valorisation de la photographie par rapport à l’art contemporain ?

Il y a encore ce doute qui persiste chez les collectionneurs face à la multiplicité et les éditions et je peux être confronté en tant que galeriste en art contemporain parfois à une résistance assez forte de la part de certains collectionneurs qui peuvent avoir une émotion assez puissante vis à vis d’une œuvre photographique et ne pas vouloir l’acheter du fait de l’absence d’unicité. Cela incarne un certain rapport à l’objet et rapport à la collection ; pourquoi on achète, pour l’émotion, pour l’appropriation ? Tout ce questionnement se travaille mais reste sous-jacent.

9 lives : Comment jugez-vous la place des artistes émergents français à l’international et quels seraient les axes à développer en ce sens  ?

Déjà au niveau national il y a très peu de liens entre les universités et écoles d’art et le marché. J’ai même l’impression (peut-être est-ce un fantasme ?) que les jeunes artistes sont entretenus dans une distance, voir un désintérêt quasi total par rapport au marché. J’ai suivi un parcours universitaire classique (Sciences Po et histoire de l’art) avec une distanciation du monde de l’entreprise, ce qui est un vrai problème en soi. J’ai pu intervenir à l’Ecole des Beaux-Arts de Nîmes il y a quelques années et on sentait bien à l’époque que les étudiants avaient besoin de tout découvrir. Mon sentiment est que quand vous êtes dans une école comme les Beaux-Arts vous êtes très suivi et accompagné mais à la sortie qu’est ce qui se passe ? J’ai du mal à comprendre pourquoi les galeristes sont peu associés à la vie des écoles d’art pour qu’un accompagnement intelligent se mette en place.

La question internationale est bien entendu cruciale également. Une des choses magnifiques de la culture française est cette appétence pour l’universalisme qui fait que l’on peut défendre aussi des artistes français que sud-américains, chinois, italiens… On sent une curiosité permanente chez tout le monde pour les scènes étrangères. C’est une très grande force, c’est l’école de Paris qui participe de l’attractivité française. Rappelons que Léonard de Vinci était italien à son arrivée en France.

Cette ouverture sur le monde est au cœur de notre identité.

La contrepartie c’est que n’avons pas ce sentiment protecteur vis à vis de nos artistes, de peur du chauvinisme, que les autres pays pratiquent. La Suisse par exemple avec l’agence Pro-Helvetia extrêmement dynamique, les Etats Unis avec l’exposition du MoMa à la fondation Vuitton qui rappelle les grandes expositions financées par le gouvernement américain en Europe comme stratégie culturelle. L’Italie ou la Chine également. Nous restons dans une sorte d’ambivalence plus intellectuelle que politique face à cette situation. Faut-il garder cet universalisme à la française ou faire évoluer les mentalités ? Il y a vraisemblablement un équilibre à trouver.

9 lives : Pour revenir à Paris Photo à partir de quel moment jugerez-vous l’ expérience positive ?

C’est déjà le cas et le challenge est de taille avec un stand de plus de 40m² dans le secteur Prismes sur lequel on travaille considérablement sur une vraie installation immersive autour de la photographie, du son. C’est divinement stimulant pour l’artiste et moi ! On note déjà chez les collectionneurs beaucoup de curiosité, d’envie, d’excitation et de soutien. Et en plus en terme de couverture médiatique on a déjà eu les honneurs de magazines comme Art Press, Le Monde, Sotheby’s…Une visibilité très forte que l’on n’aurait pas nécessairement sinon.

Bien sûr la gageure et l’engagement financier sont énormes, c’est la foire la plus chère que je réalise mais je suis convaincu de sa pertinence et la justesse de ce que nous ambitionnons.

9 lives : Question subsidiaire (et non des moindres) – Quels conseils à donner à un jeune galeriste qui souhaite se lancer ?

Un travail acharné et passionnant. L’engagement et bien comprendre, notamment dans l’époque dans laquelle on vit, que c’est un travail à très long terme. C’est quelque chose que l’on construit, qui prend du temps, que l’on met en œuvre avec conviction, passion et envie avec un vrai esprit d’endurance. A mon niveau cela porte ses fruits maintenant de manière beaucoup plus intéressante qu’il y a quelques années, ce qui a le mérite d’avoir du sens.

Pour résumer les qualités au quotidien :
L’engagement, l’endurance et aller jusqu’au bout de sa pensée et son intégrité.

INFOS PRATIQUES :
Paris Photo
Stand N° P06 (Prismes)
Du 9 au 12 novembre 2017
Grand Palais
Avenue Winston Churchill
75008 Paris
http://www.parisphoto.com/fr/Exposants
• A la galerie : EUROPA, Raphaël Denis
Poursuivre avec ma prochaine interview avec lui.
https://www.galerie-sator.com/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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